Chaque jour qui passe, on pense avoir touché le fond, mais des événements nouveaux viennent nous rappeler que ça peut être pire. Dernièrement, les médias du monde entier ont rapporté une actualité sur notre pays dont on se serait bien passé : Haïti est devenu un des rares pays (le seul?) à ne plus avoir ni parlement, ni sénat, ni gouvernement démocratiquement élu. En somme, notre pays n’est plus gouverné et se retrouve dans un néant politique absolu.
Cette situation est intervenue suite à la mise en retraite des 10 derniers sénateurs encore en activité et dont le mandat est arrivé à échéance. Désormais, on peut officiellement dire que notre pays n’a plus d’institution politique digne de ce nom qui puisse le représenter. En effet, en raison de l’incapacité des différents gouvernements qui se sont succédé à organiser des élections législatives, notamment en 2019, notre pays se retrouve sans président légitime, ni Parlement ou Sénat. Le gouvernement actuel est certes dirigé par Ariel Henry en tant que Premier ministre, mais ce dernier n’a pas encore fixé de date pour les élections et semble vouloir s’éterniser dans sa fonction fantomatique, un réflexe qui nous renvoie aux heures sombres de notre pays. Ceci expliquerait en partie son manque d’empressement à organiser des élections, quand bien même la situation interne est particulièrement difficile. De plus, il est accusé par les opposants d’être impliqué dans l’assassinat du président précédent, Jovenel Moïse.
L’effondrement de l’ordre constitutionnel actuel survient alors que la communauté internationale est divisée sur la demande controversée d’Henry d’une intervention étrangère armée pour contenir la violence des gangs qui a tué des milliers de personnes, déplacé des dizaines de milliers de personnes et entravé l’acheminement d’une aide humanitaire essentielle aux personnes les plus pauvres de l’hémisphère. Les gangs contrôlent de vastes zones de la capitale haïtienne, effectuant un nombre sans précédent d’enlèvements, de violences et de viols. Pire, des soupçons récurrents indiquent que le monde politique et le crime organisé entretiennent des liens étroits qui ne cessent de se renforcer. En effet, lorsqu’un parti politique a du mal à gagner des élections, il lui est plus facile d’instaurer la terreur et de déstabiliser le pays en recourant aux gangs et leurs méthodes barbares.
Aujourd’hui, notre démocratie, qui était déjà malade, a atteint un niveau inquiétant de paralysie. Depuis la fin du régime Duvalier et l’adoption de la constitution de 1987, Haïti a connu pas moins de 4 coups d’États, ce qui montre la vulnérabilité de nos institutions qui favorisent ce genre d’actions. Il y’a aussi des facteurs exogènes qui sont venus compliquer les choses, comme par exemple le tremblement de terre de 2010 qui a tué environ 250 000 personnes et aggravé la stabilité précaire dans notre pays. Sur le plan économique, la situation est là aussi dramatique, avec une inflation qui frôle les 50%, alors que presque la moitié de la population est exposée à la faim et au choléra. Autant dire que le terreau est fertile pour l’émergence d’un gouvernement populiste et dictatorial qui profitera de la précarité et du désespoir de la population pour promettre monts et merveilles contre l’obtention du pouvoir qui reste l’objectif suprême, le Graal pour tous nos politiciens qui n’ont que faire de la chose publique.
Depuis l’élection contestée de Jovenel Moïse en 2016, le pays a connu des troubles sociaux, des manifestations violentes et une instabilité croissante. Pour sortir de cette crise, plusieurs options peuvent être envisagées. Tout d’abord, il est essentiel de trouver une solution à la crise électorale qui paralyse le pays depuis plusieurs années. Les élections de 2016 ont été entachées de fraudes et de violences, et leur résultat a été contesté par une grande partie de la population. Pour sortir de cette impasse, il est nécessaire d’organiser des élections libres et transparentes, avec un contrôle indépendant des résultats. Et c’est là où la communauté internationale pourrait jouer un rôle. Au lieu de nous envoyer une armée, il serait plus judicieux de recevoir des observateurs neutres pour superviser des élections justes et transparentes.
Il est crucial de rétablir la confiance entre les différents acteurs politiques et sociaux d’Haïti. Les tensions entre les différentes tendances politiques et les mouvements sociaux ont atteint un niveau alarmant. Or, il nous faut trouver des moyens pour que tous les acteurs se parlent et travaillent ensemble. Là encore, une médiation internationale pourrait être envisagée, avec des acteurs crédibles et respectés pour jouer le rôle de facilitateurs.
Il est également primordial de mettre en place des réformes économiques et sociales qui permettent de lutter contre la pauvreté et l’injustice sociale, deux facteurs qui sont source de colère au sein de la population. Les politiques économiques doivent être orientées vers la création d’emplois, la relance de l’agriculture et la promotion de l’industrie locale. Il faut aussi mettre en place des programmes sociaux pour aider les plus défavorisés, comme des programmes de bourses d’études et de soutien à l’agriculture.
Mais tout cela est impossible à réaliser si on ne renforce pas les institutions de l’État qui sont particulièrement fragiles. Les institutions haïtiennes sont très vulnérables, alors qu’elles devraient jouer le rôle de garant de l’ordre constitutionnel et de protection des droits fondamentaux. Il est également nécessaire de mettre en place des mécanismes de contrôle pour que les responsables soient tenus de rendre des comptes. En somme, chaque Gourde dépensée doit pouvoir être tracée.
Ce qui est sûr, c’est que sans élections libres, Haïti continuera à naviguer dans le chaos. Comme disait Churchill, si la démocratie n’est pas un système qui est parfait en soit, c’est toujours mieux que les autres formes de gouvernements connues.
Stéphane Boudin