Par Dessalines Ferdinand
Les relations entre Haïti et la République dominicaine n’ont pas toujours été simples. Pourtant, les deux pays qui se partagent une seule et même île, l’île d’Hispaniola, sont obligés de cohabiter et de s’entendre. Aucun n’a intérêt à ce que l’autre soit englué dans une crise profonde. Or, depuis quelques années, on s’aperçoit que le gouvernement dominicain tourne le dos aux Haïtiens au lieu de les aider. Une politique qui peut se révéler dangereuse à moyen terme et se retourner contre la République dominicaine comme un boomerang.
Une histoire mouvementée dès l’époque coloniale
Au 17ème siècle, l’île d’Hispaniola a été le terrain d’une féroce bataille d’influence entre deux puissances coloniales rivales de l’époque : la France d’un côté et l’Espagne de l’autre. Lassés de se retrouver ballotés dans des conflits d’influence, Haïti et la République dominicaine acquirent leur indépendance à 17 ans d’intervalle (1804 pour Haïti et 1821 pour la République dominicaine).
Par la suite, les nouvelles nations ont essayé d’unir leurs forces pour mieux se construire et s’imposer sur la scène internationale. C’est la naissance de la République d’Haïti espagnole. Un mariage de raison qui n’a pas duré longtemps, ceci à cause de profondes divergences culturelles, religieuses, mais aussi raciales. Surtout, les dominicains considéraient que les Haïtiens se comportaient en persécuteurs, créant un ressentiment envers les Haïtiens qui allait perdurer jusqu’à nos jours.
Pour s’émanciper de ce qu’ils considéraient être une nouvelle colonisation, les dominicains allaient reprendre les armes durant une guerre d’indépendance qui allait durer 12 longues années, s’étalant entre 1844 et 1856.
Depuis, les relations entre les deux pays n’ont jamais été un long fleuve tranquille, entachées périodiquement par des crises plus ou moins sérieuses, comme le massacre de Persil de 1937 où des dizaines de milliers d’Haïtiens innocents furent massacrés par Rafael Trujillo avec une très grande brutalité, marquant à jamais les esprits des générations futures. Cet incident allait en effet marquer d’un fer rouge les relations entre les deux pays, les Haïtiens parlant de kout kout-a puisque le massacre a été effectué à l’arme blanche pour ne pas laisser de traces, alors que les dominicains, voulant sans doute se donner bonne conscience suite à cette boucherie inhumaine qui pourrait être classée parmi les crimes contre l’humanité, parlent simplement de ‘la coupure’ (el corte), c’est-à-dire une rupture des relations entre Haïti et la République dominicaine.
Deux pays, deux chemins
À partir du triste épisode de Persil, chaque pays allait emprunter un chemin qui lui est propre, aussi bien sur le terrain politique qu’économique. Les deux pays vont tout de même avoir des personnages qui vont profondément façonner leurs destins respectifs. D’un côté, Trujillo qui a dirigé son pays d’une main de fer avant d’être abattu et remplacé par Balaguer. De l’autre, Haïti est aux prises avec un clan sanguinaire qui a semé la corruption et favorisé le népotisme, la dynastie des Duvalier (avec Papa Doc et Baby Doc).
Les deux pays vont connaître une croissance soutenue de leurs populations qui passent de 4 millions en 1960 à près de 11 millions en 2020. Mais la plus grande différence se fera sur le plan économique. Alors que les deux pays avaient un PIB respectif de 273 millions de $ pour Haïti en 1960 contre 672 millions de $ pour la République dominicaine, cette dernière allait connaître une croissance soutenue et durable grâce à laquelle son PIB atteindra 80 milliards de dollars en 2020, contre seulement 13 milliards pour Haïti, dont une grande partie provient des transferts des fonds par la diaspora. En clair, le PIB par habitant des dominicains est 7 fois supérieur à celui des Haïtiens. Les dominicains ont en effet su diversifier leur économie en développement, notamment le tourisme et l’industrie au fil des années. Pendant ce temps, le pouvoir et les nantis haïtiens ne pensaient qu’à s’enrichir sur le dos de la population, ce qui au final, a conduit à l’effondrement total de notre pays.
Dès lors, face à un tel déséquilibre, c’est tout naturellement que les populations ont commencé à se déplacer d’un côté à l’autre de la frontière pour y trouver du travail, mais aussi pour éduquer leurs enfants et bénéficier de meilleurs soins de santé.
Selon les dernières estimations du FNUAP (Fonds des Nations Unies pour la population), il y aurait presque un demi-million d’Haïtiens qui vivent en République dominicaine, dont beaucoup dans des conditions précaires, sans parler du racisme et des discriminations qu’ils subissent en permanence du fait de leur origine. Ce racisme de tous les jours s’est même transformé en racisme institutionnel le jour où l’État a décidé de priver 200 000 citoyens dominicains de leur citoyenneté, car ils sont descendants de migrants haïtiens. Une politique discriminatoire qui nous rappelle les années sombres du nazisme outre-mer.
La République dominicaine décide de tourner le dos à Haïti
Tout le monde sait qu’Haïti traverse une période difficile. Malheureusement, notre pays a été laissé à son sort par l’OEA (Organisation des États américains) qui n’a pas fait l’effort qui lui incombe pour essayer d’améliorer les choses et soutenir la population haïtienne face à un pouvoir corrompu et démagogue. Une première chance s’est présentée en 2010 au lendemain du séisme dévastateur, mais le soutien s’est limité aux aides humanitaires, alors que les dégâts occasionnés par nos politiciens sont encore plus dévastateurs que le séisme lui-même.
Au lieu de défendre son voisin, ce qui est aussi dans son intérêt, la République dominicaine a préféré tourner le dos à Haïti de manière éhontée. Ainsi, le Président Luis Abinader, dans la lignée de dirigeants ultra-conservateurs comme Trump, a annoncé en 2021 la construction d’un mur de séparation entre les deux pays, ce que certains décrivent comme le mur de la honte. Il a également renforcé le déploiement de l’armée à la frontière pour empêcher le mouvement des migrants, en plus d’investir dans des technologies dernier cri, comme les caméras thermiques, des détecteurs de mouvement, des systèmes radar et infrarouge ainsi que des drones afin que la frontière entre les deux pays devienne infranchissable. Ce qui est illusoire lorsqu’on connaît la ruse des passeurs pour contourner les obstacles, quels qu’ils soient. Mr Abinader n’a pas compris que la meilleure façon de régler la crise migratoire n’est pas d’ériger des murs, mais au contraire, à aider son prochain pour qu’il puisse lui aussi s’épanouir et prospérer.
La population dominicaine a elle aussi un comportement de plus en plus distant avec les migrants haïtiens qu’elle accuse de tous les maux : criminalité, chômage, surpopulation, voire même choléra. Ce qu’on peut dire avec certitude, c’est que si du côté haïtien, il y a une pauvreté matérielle, de l’autre de la frontière, il y a aussi un type de pauvreté qui porte un nom : l’ignorance!
D. Ferdinand / Le Floridien, 31 janvier 2022