À chaque fois qu’Haïti traverse une crise socio-économique majeure (chose qui est devenue récurrente ces derniers temps), on se rend compte bien souvent que les origines de cette crise sont avant tout politiques. Ce triste constat fait dire à certains qu’il serait peut-être temps de changer les règles du jeu, et pourquoi pas modifier la constitution haïtienne afin de donner au pays les outils adéquats pour aller de l’avant. Car il faut bien le dire, les Haïtiens sont fâchés avec la politique, et ils ont bien raison de l’être.
Depuis l’entérinement par référendum de la constitution de 1987, édulcorée au passage par quelques amendements en 2011, Haïti dispose de textes qui promettent beaucoup sur le papier, mais qui ne sont pas vraiment adaptés à la réalité locale et au contexte haïtien. Prenez l’exemple du parlement bicaméral (Sénat et chambre des députés). En plus d’être un gouffre financier pour le trésor public, ce lieu est devenu l’emblème des magouilles et tripatouillages en tout genre. Comment expliquer dès lors que les sièges des élus soient désespérément vides lorsqu’il faut voter des lois qui touchent le bien-être des citoyens, et que comme par enchantement, ils deviennent occupés lors des règlements de compte politiques. Le dernier cas en date, celui de Céant, est révélateur de ce phénomène malsain. Il est donc tout à fait normal que le peuple ne se sente plus concerné par les séances plénières des deux chambres et réclame des changements de fond. Déjà que le fonctionnement ésotérique de notre parlement exclut d’office la majorité de la population, les manigances en son sein ne font qu’amplifier le sentiment de rejet et d’écœurement. À tel point que les citoyens ont développé aujourd’hui une allergie épidermique à tout ce qui a trait à la politique.
Il va s’en dire que notre modèle de gouvernance est arrivé à bout de souffle. Il ne propose rien de nouveau et ne fait que recycler les vieilles recettes pour les remettre au goût du jour. Le peuple a totalement perdu confiance en ses dirigeants. Haïti a besoin d’une refonte radicale de son système politique qui commence à prendre de l’eau de toutes parts. Si cela doit passer par un changement constitutionnel, alors soit ! Mais il y’a urgence, car le temps presse. Plusieurs textes de notre constitution calqués sur ceux d’autres pays n’ont pas lieu d’être. La réalité haïtienne n’est pas celle de la France ou des États-Unis. Ces pays ont mis des siècles à instaurer une chambre bicamérale, une justice indépendante, ou encore un exécutif taillé sur mesure pour défendre les intérêts suprêmes de la nation. Ceux qui ont rédigé la constitution haïtienne en faisant du copier-coller n’ont pas pris en compte les spécificités locales.
À quoi bon par exemple avoir un Sénat si on a déjà du mal à faire remplir notre parlement ? Beaucoup de pays vivent sans Sénat et s’en accommodent très bien (Grèce, Égypte, Portugal ou Nouvelle-Zélande). Chez nous, les deux chambres engloutissent chaque année des ressources matérielles et humaines énormes, avec au final des résultats plus que médiocres. Idem pour le gouvernement qui propose aujourd’hui 18 ministres et 3 ministres délégués, alors qu’un resserrement pourrait être bénéfique aussi bien sur le plan budgétaire qu’au niveau de la coordination entre les différents services. Ainsi, les affaires sociales peuvent très bien cohabiter avec la condition féminine, alors que le ministère des Affaires étrangères et celui des Haïtiens de l’étranger peuvent être chapeautés par le même ministre. Pour ce dernier cas, ça serait même un moindre mal tant le ministère des Haïtiens vivant à l’étranger se distingue par sa compétence proche du néant (voir l’enquête du Floridien à ce sujet 01- janvier-2019).
Comment procéder alors pour remettre les pendules à l’heure et réconcilier le peuple haïtien avec ses dirigeants ? Tout d’abord, il faut que notre manière de gouverner soit inclusive. Cela sous-entend que nos élus doivent être plus à l’écoute des revendications populaires au lieu de se cloitrer dans les beaux salons pour compter l’argent que leurs fonctions leur rapportent. Parallèlement à cela, une refonte de l’ensemble de l’écosystème politique est à prévoir, car les partis politiques aujourd’hui sont en total décalage avec les réalités du pays. Il faut s’inspirer de courants idéologiques basés sur de vraies valeurs haïtiennes afin que le peuple puisse faire son choix entre de réels programmes réformateurs.
Mais en attendant, alors que le Premier ministre par intérim Jean-Michel Lapin vient à peine de prendre ses marques, le recours à un gouvernement de technocrates non issu de la classe politique classique pourrait être une option à envisager. Nombreux sont les Haïtiens qui ont reçu de solides formations dans leurs domaines respectifs et qui pourraient apporter une précieuse aide grâce à leurs expertises. Qu’ils vivent à l’intérieur ou à l’extérieur du pays, les Haïtiens talentueux et compétents qui veulent contribuer au développement d’Haïti sont légion. Reste à nos décideurs d’avoir le courage politique pour aller les chercher.
Dessalines Ferdinand