Si des milliers d’Haïtiens ont quitté leur pays pour chercher un avenir meilleur ailleurs, c’est souvent par nécessité et non par choix. Personne n’aime quitter sa mère patrie, et encore moins les Haïtiens de l’étranger qui restent viscéralement attachés à leur pays d’origine malgré l’éloignement et les années qui passent. En dépit de la violence qui règne actuellement, des perspectives d’avenir sombres et de la crise économique qui s’éternise, la diaspora continue à s’intéresser au sort d’Haïti en espérant y revenir un jour. Cet amour inconditionnel, nos politiciens ne l’ont pas, et c’est bien là tout le drame.

Des potentialités infinies

Notre pays dispose d’une situation géographique privilégiée, avec un climat accueillant et des spots naturels à couper le souffle.

Non encore touchées par la bétonisation liée au développement du tourisme de masse, nos côtes restent encore vierges, un atout que l’on ne retrouve pas dans d’autres pays qui ont choisi de sacrifier l’environnement au profit des devises.

Haïti dispose également d’une culture riche et diversifiée, héritée d’une histoire singulière en tant que première nation noire au monde. Ceux qui prennent la peine de plonger dans la civilisation haïtienne pour mieux la connaître sont souvent admiratifs, voire envoutés. Le couple Clinton en sait quelque chose, puisqu’il a fait d’Haïti une de leur destination préférée dans le monde.

Sur le plan humain, le dynamisme et la vigueur de la jeunesse haïtienne ne sont plus à démontrer. Le jeune haïtien est connu pour sa créativité et sa hardiesse à la tâche. Étant proches du géant américain, on aurait pu profiter de cette proximité géographique et culturelle avec l’Oncle Sam pour sous-traiter certains services qui partent en Chine ou au Mexique. C’est autant d’emplois gagnés et de devises qui rentrent dans les caisses de l’État. L’accord préférentiel dans le domaine du textile aurait pu se généraliser pour englober d’autres secteurs ayant une meilleure valeur ajoutée tels que l’électronique, la sidérurgie ou encore l’aéronautique.

Notre pays ne manque pas d’atouts. Il a tout pour réussir, voire même de faire mieux que ses voisins. Mais par malchance, on a hérité des pires dirigeants qui puissent exister. Par dirigeants, on ne pense pas seulement aux Chefs d’État, mais aux politiciens de tous bords, qu’ils soient au pouvoir ou dans l’opposition.

Des dirigeants voyous

Nos politiciens se goinfrent à n’en plus finir et ne sont jamais rassasiés. Comme on dit, l’appétit vient en mangeant. Ils ont une faim insatiable pour tout ce qui touche à l’argent et au pouvoir, faisant passer tout ce qui concerne l’avenir des Haïtiens au second plan. Si un psychologue devait analyser ce qui se passe dans la tête de nos dirigeants, il en viendrait à la conclusion qu’ils sont narcissiques, égocentriques et, au fond d’eux-mêmes, profondément malheureux. Or, comme dirait Jacques Brel : ‘un homme malheureux fait le malheur’ !

Donnez 1 million de dollars à un ministre, il en voudra 2. Donnez-lui 2, il en voudra 4, et ainsi de suite.. l’homme politique haïtien est ainsi fait. Il aime l’argent plus que tout. Il aime aussi le pouvoir, car il s’est rendu compte assez vite grâce à son intelligence intégralement orientée vers les magouilles que le pouvoir reste le moyen le plus facile et le plus rapide pour se faire de l’argent au dos des citoyens. Cet argent censé aller à la construction des écoles, des hôpitaux, des routes et des ponts. Cet argent censé équiper nos forces de l’ordre pour mieux protéger les citoyens des malfrats et des gangs. Cet argent censé construire des centrales électriques pour éclairer les nuits sombres des Haïtiens, ou encore construire des hôtels pour donner du travail à ceux qui n’en ont pas, et dieu sait si les chômeurs sont nombreux dans notre pays.

Le dirigeant haïtien a toujours eu pour dessein d’appauvrir le peuple pour mieux l’asservir et le contrôler. En le privant d’éducation, il espère transformer l’haïtien moyen en ignorant afin de manipuler son subconscient à sa guise. En le privant de soins de santé, il veut lui faire du chantage sachant que la santé est le capital le plus précieux que tout homme puisse posséder. En le privant de travail, le dirigeant haïtien veut pousser ses concitoyens à venir quémander ce qui leur est dû de plein droit.

Lorsque l’on croise dans la rue 2 Haïtiens, l’un poussant une charrette pour ramasser les ordures, et l’autre dans un gros 4X4 rutilant fumant le cigare, on a tendance à déprécier le premier et à respecter le second. Or, comme dit l’adage, ‘n’est pas pauvre qui a peu, mais plutôt celui qui désire beaucoup’. En somme, l’homme avec sa charrette mérite notre respect, car il travaille dur pour nourrir sa famille, sans voler ni faire du mal à quiconque. On ne peut pas en dire autant pour celui qui roule sur l’or à l’origine douteuse, surtout ceux qui deviennent riches du jour en lendemain, sans avoir fourni le moindre effort.

En Haïti, la majorité des riches bâtissent leurs fortunes sur la corruption et le vol. Celui qui clame qu’il a acquis ses milliards de manière propre est un menteur. Ceci pour la simple raison que l’environnement haïtien ne permet pas de réussir de manière honnête. Pour pouvoir gagner beaucoup d’argent, il faut tout d’abord disposer d’un réseau de contacts dont se nourrit le fameux ‘’système’’. Il faut aussi savoir verser des pots-de-vin aux bonnes personnes et au bon moment. Enfin, il faut rester toujours à l’affut pour ne pas louper les occasions de détournements qui peuvent se présenter, comme lors des catastrophes naturelles qui engendrent des aides internationales qui n’arrivent jamais à destination.

Contrairement aux États-Unis où les règles de jeu sont les mêmes pour tout le monde et où les self-made-men sont valorisés et respectés, en Haïti, nous avons plutôt des self-made-hustlers, c’est-à-dire des escrocs qui évoluent dans une sorte de jungle où tous les coups sont permis. Sauf rares exceptions, un homme riche en Haïti est à la base un véreux. Autrement, il ne pourrait réussir. Pour preuve, la majorité des hommes d’affaires influents dans notre pays sont mouillés dans différents types de scandales, desquels ils sortent propres comme neige. Et lorsqu’un homme d’affaires dérange le pouvoir, il peut s’attendre à ce que la justice lui tombe dessus systématiquement. Un certain Dimitri Vorbe en sait quelque chose, lui qui a osé demander à ce que la lumière soit faite sur l’affaire PetroCaribe. Le pouvoir avait alors gesticulé de toutes ses forces pour essayer de compromettre Vorbe. Or, un pouvoir qui gesticule de la sorte a forcément quelque chose à se reprocher.

L’avenir passe par notre jeunesse

Le principal frein au développement d’Haïti, c’est sa classe dirigeante. Prenons le football comme simple exemple pour illustrer la mal gouvernance dont souffre notre pays. Les Grenadiers sont une équipe remplie de joueurs de classe internationale qui ne demandent qu’à pouvoir laisser exprimer leur talent. On a eu des bribes d’exploits ici et là lors de tournois majeurs comme ce fut le cas durant la Golden Cup. Malheureusement, notre équipe nationale manque de régularité et ces performances restent ponctuelles. La faute à un management défaillant dont le principal objectif est de s’en mettre plein les poches. Comment voulez-vous bâtir un football qui soit de haut niveau lorsque les dirigeants de votre fédération sont accusés de vols, de viols et d’autres crimes sordides? Comment voulez-vous que vos footballeurs arrivent à enchainer les victoires lorsqu’ils sont dirigés par des gestionnaires corrompus? Si notre pays dispose de ressources humaines indéniables, ces ressources sont dans la majorité du temps mal gérées.

Haïti a une population jeune et dynamique qui ne demande qu’à s’éduquer et à travailler. Mais l’État ne lui offre aucune perspective. Pire, il prive cette jeunesse d’un futur meilleur en lui mettant constamment des bâtons dans les roues. Ceux qui veulent investir dans un petit business ou qui cherchent des financements pour créer un projet ont rarement le soutien étatique. Au contraire, les jeunes entrepreneurs doivent souvent faire face à une administration corrompue qui finit par dilapider votre capital financier à force de demander des pots-de-vin. Votre capital motivation en sort lui aussi gravement affecté puisque les pratiques mafieuses de notre administration finissent par plomber le moral des investisseurs, même les plus aguerris. Pas étonnant donc que la majorité de notre jeunesse cherche à quitter le pays quoiqu’il en coûte.

En somme, ce n’est pas Haïti qui rejette ses enfants, mais ce sont nos dirigeants qui font tout pour faire perdurer un système malsain basé sur la corruption, la malhonnêteté et l’embrouille. Espérons qu’un jour, les jeunes issus de la diaspora, bien éduqués et bien formés, reviendront ‘reconquérir’ ce pays qui a été laissé entre les mains d’une mafia sans scrupules qui en a fait un champ de ruines.

Stéphane Boudin / Le Floridien 30 novembre 2021

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