Ces dernières années, les haïtiens prennent de plus en plus de risques pour fouler le sol américain. Ceux qui ont les moyens achètent un billet d’avion pour se rendre en Amérique-du-sud avant d’entamer un long périple, parfois à pied, pour atteindre la frontière américano-mexicaine. Pour les plus téméraires et les moins fortunés (que certains considèrent présomptueusement comme des migrants de seconde classe), il n’y a d’autre choix que de voyager à bord de bateaux de fortune qui n’arrivent malheureusement pas toujours à bon port.

Les boat-people haïtiens, un phénomène pas si nouveau

Durant l’ère des Duvaliers, beaucoup de citoyens haïtiens n’ont eu d’autres choix que de prendre la mer pour espérer atteindre les côtes de la terre promise, les États-Unis d’Amérique. Ainsi, les premières embarcations remplies de migrants commencèrent à accoster sur les côtes de Floride dès 1972. À cette époque-là, le gouvernement américain s’était montré impitoyable, renvoyant beaucoup de migrants haïtiens chez eux, car il estimait qu’ils ne remplissaient pas toujours les critères pour demander l’asile politique.

Parmi ces ‘malchanceux’, il y a Joseph, un commerçant de 37 ans qui vivait paisiblement à Jacmel avec sa femme et ses trois enfants, jusqu’au jour où il croise la route d’un tonton macoute. Ce dernier demande alors à Joseph s’il voulait lui louer son vélo. Joseph, ne se doutant pas à ce moment-là qu’il avait affaire à un milicien, accepte de louer son vélo pour 2$. Mais quelques jours plus tard, constatant que la personne qui avait loué son vélo ne donnait plus signe de vie, Joseph décide de se mettre à sa recherche pour récupérer son bien. Et c’est ainsi qu’il retrouve son client malhonnête, assis tranquillement avec le vélo posé fièrement à côté de lui. Joseph l’apostrophe alors et lui demande pourquoi il ne lui a pas rendu son bien comme c’était convenu. Et le milicien de lui répondre : ‘tu ne me l’as pas loué, tu me l’as loué pour 2$, maintenant fiche le camp’. Fou de rage, Joseph pousse le milicien et reprend son vélo. Mal lui en a pris, car quelques minutes plus tard, il se retrouve face à 4 tontons macoutes qui vont le rouer de coups et le laisser pour mort au bord de la route. Miraculeusement, Joseph arrive à se rendre chez lui où il se terre pendant des semaines, par peur qu’on vienne le chercher à nouveau.

Depuis ce jour, il a pris une décision irrévocable, celle de tenter sa chance et d’aller rejoindre les États-Unis. Au moins là-bas pense-t-il, il n’aura pas à subir les agressions d’un autre âge par des hommes qui se croient au-dessus de tout.

Prendre le bateau, oui, mais à quel prix?

Pas très riche, Joseph décide de vendre quelques biens qu’il a hérité de ses parents pour s’acheter un billet aller simple par bateau vers la Floride. Prix du voyage, 1500 $. À l’époque, c’était une sacrée somme. Quant au voyage en lui-même, c’était comme jouer à la loterie, car beaucoup de paramètres entraient en jeu : la météo, l’état de l’embarcation, le nombre de personnes transportées, l’expérience du capitaine à qui il arrive de se perdre en mer, et le facteur chance pour ne pas tomber sur les garde-côtes américains. Au final, Joseph est arrivé jusqu’à destination. Il a été détenu pendant un certain temps dans un centre pour réfugiés avant que sa demande d’asile ne soit acceptée. Mais tous n’ont pas eu cette chance à l’époque, et beaucoup furent refoulés vers Haïti.

Aujourd’hui, les choses n’ont pas tellement évolué. Les haïtiens ne fuient pas la dictature comme à l’époque, mais plutôt la misère et la violence des gangs. En somme, ils fuient une nouvelle forme de dictature, plus vicieuse, mais surtout plus difficile à combattre car c’est un ennemi invisible disséminé sur tout le territoire. Aujourd’hui, les tarifs d’une traversée varient selon plusieurs critères. Ils vont de 350 $ jusqu’à 5000$, voire 7000$. Beaucoup vendent tous leurs biens pour tenter le voyage de la dernière chance. D’autres empruntent auprès de leurs familles ou des voisins, en promettant un remboursement au quintuple une fois arrivés à destination. Sauf qu’il y a un autre personnage dans cette histoire qui est venu compliquer un peu plus les choses, il s’agit de Joe Biden.

En effet, une fois au pouvoir, et de manière assez surprenante, Joe Biden a serré la politique migratoire vis-à-vis des haïtiens au lieu de l’assouplir. Pourtant, c’est un dossier qu’il connait assez bien. Il sait donc à quel point la situation des haïtiens aujourd’hui est désespérée. Haïti peut même être considéré comme un pays en guerre et ses migrants des réfugiés qui veulent échapper aux violences. Même le Président de la République n’est pas en sécurité. Feu Jovenel Moïse l’a appris à ses dépens.

Joe Biden ne pourra rien pour arrêter l’inéluctable

La distance entre Haïti et les côtes de Floride est de 1337 km à vol d’oiseau. Bien sûr, cela prend des jours, voire des semaines pour arriver à destination. Mais lorsque les migrants regardent derrière eux et voient les images des gangs qui volent, violent et tuent des innocents, alors le choix est vite fait. Mieux vaut mourir en essayant d’avoir une vie meilleure que d’agoniser à petit feu chez soi. Et ça, le Président américain ne veut toujours pas le comprendre. Il n’arrive pas encore à concevoir l’idée que tant qu’ils le pourront, les haïtiens chercheront la meilleure solution pour sauver leurs vies, mais surtout celle de leurs enfants.

Aujourd’hui, Biden aura beau expulser des milliers d’Haïtiens tous les mois et ériger un blocus maritime pour empêcher toute intrusion en Floride, le phénomène des boat-people continuera, et ce aussi longtemps que les pays riches fermeront les yeux sur Haïti et refuseront de l’aider. Car d’une certaine manière, les États-Unis sont également responsables de la situation que vit Haïti aujourd’hui, puisque c’est là le fruit de leur interventionnisme passé. C’est malheureusement une fâcheuse habitude chez les américains, qui est celle de s’immiscer dans les affaires d’un pays, d’y mettre le désordre avant de se retirer en laissant derrière le chaos total. Ce fut le cas en Irak qui est devenu le nid des terroristes, en Afghanistan qui a vu le retour des Talibans, en Libye qui a plongé dans une guerre tribale sans fin, et maintenant en Haïti, où les américains n’ont cessé de tirer les ficelles pour privilégier tel candidat au détriment d’un autre, au point que certains disent que le nom du Président haïtien se décide à Washington et non dans les urnes.

On peut donc dire que d’une certaine manière, les États-Unis récoltent aujourd’hui ce qu’ils ont semé durant des décennies. Biden peut encore changer les choses et régler le problème de fond en s’investissant plus sérieusement dans le règlement de la crise socio-politique et économique que traverse notre pays. Autrement, il continuera à voir des bateaux échouer sur les côtes de la Floride tout au long de son mandat, voire au-delà.

Dessalines Ferdinand
Le Floridien, 15 mars 2022

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