MIAMI — À l’annonce de la sentence, on ne saurait dire si Jean Ridore était soulagé ou affligé, sachant que ce dernier risquait jusqu’à 40 ans de réclusion. Ce qui est sûr, c’est que son regard était empreint d’amertume et de regrets pour avoir gâché sa vie alors que tout lui souriait jusqu’à récemment. L’appât du gain facile et la cupidité ont eu raison de cet ex-directeur qui était érigé comme modèle par toute une communauté, mais qui a fini par la décevoir à cause d’une conduite éhontée. Il aura dorénavant tout le temps pour méditer sur son sort derrière les barreaux en cogitant à longueur de journée entre 4 murs.

Verdict clément au vu de la peine qu’il encourait

Crane chauve luisant sous les lumières de la salle d’audience, le regard perdu dans le vide, Jean Coty Ridore s’est présenté vêtu du célèbre uniforme orange qu’on impose aux criminels de droit commun. Lorsque le juge a prononcé la peine dans le palais de justice Richard E. Gerstein, le condamné hagard a baissé la tête, la mine déconfite, comme pour signifier sa honte et sa culpabilité face à un vice qu’il n’a pas su gérer et qu’il aurait pu éviter. Il devait sans doute s’interroger en boucle à ce moment-là si ce qu’il vivait n’était que le fruit de son imagination. La sentence de 6 ans de prison ferme elle n’avait rien d’imaginaire et a fini par le réveiller. Jean Ridore peut tout de même s’estimer chanceux puisqu’il encourait une peine qui pouvait aller jusqu’à 40 ans de détention.

La chance, Jean Ridore en a pourtant eu au cours de sa vie. Comme l’a déclaré le juge Mark Blumstein, l’accusé avait un salaire décent (plus de cent dix mille dollars américains) et un emploi valorisant. Alors, pourquoi gâcher sa vie pour si peu ? Le prévenu a en effet abusé de la confiance placée en lui pour vendre des emplois fictifs. Cela l’a rapidement placé dans un engrenage vénimeux d’avidité dont il a eu du mal à sortir. La juge Sandra Miller-Batiste, procureur anti-corruption dans le secteur public à Miami-Dade a abondé dans le même sens en soulignant que Jean Ridore a abusé de sa position pour se remplir les poches.

Le système d’emploi fictif déployé par l’ex-directeur du North Miami Adult Education Center était bien rodé. Les enquêteurs ont ainsi pu mettre à jour des emplois fantômes qui permettaient à Ridore de se faire payer une partie des salaires sans que les employés engagés ne se présentent à leur travail. Il a ainsi pu récolter pas moins de 200 000$ sur le dos des contribuables avant que ses pratiques véreuses ne soient démasquées par les autorités compétentes. Ces dernières ont en effet eu la puce à l’oreille en constatant que 2 anciens employés avaient touché 14 000$ pour un travail jamais effectué, pire, les personnes embauchées se trouvaient à l’extérieur du pays (Haïti). C’est ainsi que l’équipe anti-corruption a engagé un détective de Miami pour tendre un piège à Ridore. L’ex-directeur, aveuglé par l’appât du gain facile, s’est fait attraper avec la plus grande facilité.

Après son arrestation, Ridore a coopéré pleinement avec la justice en espérant voir sa peine réduite. Même si les informations communiquées n’apportaient aucun élément nouveau à l’enquête, cela a tout de même permis d’ouvrir une nouvelle instruction pénale comme l’a souligné la procureur Marie Perikles. À sa sortie de prison, Ridore devra tout de même purger une peine de 2 ans de résidence surveillée assortie de 7 ans de probation.

Du rêve américain au cauchemar haïtien

Lorsque Jean Ridore a débarqué sur le sol américain durant les années 80, il n’avait pas un sou en poche, mais beaucoup d’ambitions et de volonté. Des qualités qui l’ont aidé à vivre le rêve américain en gravissant progressivement les différentes marches vers le succès. Pour ce faire, il a utilisé à bon escient les multiples outils que le service public lui a offerts, notamment en matière d’éducation, pour se construire un socle solide sur lequel il a pu bâtir son avenir. C’est ainsi qu’il est sorti diplômé de la Florida International University et de la Barry University avec des qualifications qui l’ont aidé plus tard à décrocher un poste dans l’enseignement public. Il est ainsi devenu directeur du North Miami Adult Education Center, une institution de la région de Miami-Dade qui facilite l’insertion des nouveaux immigrants en les aidant à perfectionner leur anglais afin qu’ils puissent accéder plus aisément à la formation et décrocher plus tard un emploi. Le parcours de Jean Ridore était tel que plusieurs médias se sont intéressés à son cas atypique. Il est ainsi devenu en quelques années un exemple pour toute une communauté qui voyait en lui l’incarnation même du succès, du courage et de l’abnégation.

Mais il faut croire que Ridore a également ramené de son pays d’origine quelques mauvaises habitudes, puisque les fléaux qui gangrènent Haïti jusqu’à l’os, à savoir la corruption et les détournements, sont les mêmes qui ont causé sa perte.

Un exemple à ne pas suivre !

Le plus dur n’est pas d’arriver au sommet, mais bien de s’y maintenir. Une fois qu’il a débarqué aux États-Unis, Jean Ridore a trimé dur pour décrocher la lune et avoir la vie dont il a toujours rêvé. Il croyait donc avoir fait le plus difficile en arrivant là où il est arrivé. Mais c’était sans compter sur l’avidité et l’avarice, un péché pervers qui fait des ravages au sein de l’administration haïtienne et qui empêche tout un pays d’avancer.
Si le cas Ridore désole autant les Haïtiens installés en Floride, ce n’est pas seulement parce qu’il écorne l’image d’une communauté bien intégrée dans la société américaine, mais c’est aussi parce qu’il nous renvoie à des maux qui infectent le pays et brident son développement. Un peu comme si on se regardait dans un miroir et qu’on n’aime pas ce qu’on y voit. Le cas Ridore nous fait voir la corruption sous un prisme nouveau. On pensait que la pauvreté était le principal facteur qui poussait les gens à accepter des pots-de-vin ou à détourner de l’argent. Mais Ridore vient de montrer qu’on peut tout avoir dans la vie et ne pas être rassasié pour autant. Voilà donc un homme qui sait d’où il vient, qui a connu la douleur engendrée par la misère et la souffrance due aux privations, et qui a pourtant capitulé face à la plus élémentaire des tentations. À se demander s’il n’est pas mieux de vivre dans la nécessité que de céder aux sirènes de la cupidité.
Crédit photo: AL DIAZ/MIAMIHERALD.COM

Dessalines Ferdinand / LE FLORIDIEN

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