Le grand rendez-vous électoral de cette année approche à grands pas, puisqu’on est à seulement 3 mois de la prochaine élection présidentielle américaine. Le 3 novembre prochain, les électeurs sont en effet invités à aller voter pour choisir le prochain locataire de la maison blanche, sauf si le congrès suit les recommandations de Trump qui a proposé il y a quelques jours via Twitter un report des élections pour cause de Covid-19. Trump estime en effet que le vote par correspondance envisagé dans certains États pourrait donner lieu à des fraudes massives. Il faut dire que le Président américain a tout intérêt à repousser le prochain rendez-vous électoral puisque les différents sondages le donnent perdant avec un écart de 8 points en moyenne. Cet éventuel report a bien entendu provoqué une levée de boucliers dans le camp démocrate qui voit là une nouvelle façon de gagner du temps en espérant remonter dans les sondages. L’ancien président Obama a été le premier à dégainer en fustigeant les efforts de l’administration Trump à attaquer le droit de vote des Américains.
Toujours dans son allocution prononcée lors des funérailles de John Lewis, Obama a exhorté la population à ne pas se laisser voler son droit le plus élémentaire dont elle dispose : le vote. Un droit dont disposent également les Haïtiano-américains, notamment ceux vivant en Floride. En tant que swing State, la Floride est considérée comme un état clé qui risque d’être déterminant dans le choix du prochain Président, comme il l’a été lors des dernières élections, notamment en 2001 où Bush a devancé Al Gore de seulement 537 voix au bout d’un recomptage rocambolesque. Toujours est-il, les Floridiens d’origine haïtienne auront certainement leur mot à dire cette fois-ci, et leurs voix risquent même d’être déterminants. On se demande dès lors pourquoi le parti démocrate tarde à venir courtiser la communauté haïtienne. Estime-t-il que le vote des Haïtiens lui est déjà acquis? Si c’est le cas, ça serait alors une grave erreur qui pourrait lui couter cher. À défaut de voter pour Biden, les Haïtiens pourraient tout simplement s’abstenir de voter, privant Biden de nombreuses voix qui pourraient se révéler décisives lors du décompte final. Les minorités vivant en Floride, notamment les Hispaniques, les Brésiliens, et bien entendu les Haïtiens, commencent à donner de la voix et se plaignent de se sentir exclus par l’équipe de compagne des démocrates. Alors même que les derniers sondages en Floride donnent Biden vainqueur avec 51% contre 38% pour Trump, cette avance pourrait vite s’effriter si l’équipe Biden ne change pas de stratégie, notamment envers les minorités ethniques.
Rappelez-vous qu’en 2016, Trump a fait le déplacement à Little Haïti pour séduire l’électorat haïtien. Il avait en plus pu bénéficier d’une image défavorable de Hillary Clinton auprès de cette même communauté qui l’accusait à l’époque d’avoir mal géré l’aide de l’après-séisme de 2010, mais surtout d’avoir favorisé la mise en place du chanteur Michel Martelly au pouvoir. Si au final, la communauté haïtienne n’a pas voté massivement pour Trump, surtout que les comtés de Miami-Dade et de Broward sont restés dans le giron des démocrates, les quelques voix que Trump a pu glaner grâce à son déplacement à Little Haïti ont certainement été précieuses. Comme quoi, parfois, il suffit de pas grand-chose pour changer le cours de l’histoire, surtout que les sondages donnaient à l’époque Trump grand perdant de l’élection.
Récemment, le Miami Herald a publié le contenu d’une lettre confidentielle signée par 90 organisateurs où ils y critiquent la gestion de la direction locale du parti. À quelques mois de la date fatidique, cette mini-fronde fait désordre. Si les ténors démocrates ne s’en occupent pas dès maintenant, elle pourrait finir par s’étendre et faire tâche d’huile. Or, ce n’est surtout pas le moment de démobiliser l’électorat démocrate si chèrement acquis, notamment au sein de la communauté haïtienne. Cette dernière attend toujours que Biden vienne lui faire des propositions, surtout qu’elle a subi de plein fouet la crise économique engendrée par la Covid-19, à l’instar de l’ensemble de la population floridienne. Ce qui est sûr, c’est que les prochaines semaines seront décisives. L’équipe Biden devrait dès maintenant commencer à s’intéresser aux préoccupations des Haïtiens de Floride et ne pas penser que leur vote est acquis à l’avance. La bonne nouvelle est que Biden a recruté des personnes d’origine haïtienne dans son équipe rapprochée de campagne. On pense notamment à Karine Jean-Pierre qui a été nommée conseillère principale en mai dernier. Plus localement, c’est le physicien d’origine haïtienne Larry Pierre qui a été nommé chef de groupe des votants de la communauté caribéenne de Miami. En attendant de nommer son colistier, Biden doit envoyer un signal fort à la communauté haïtienne. Il est important aussi pour l’équipe de campagne locale de recruter des hommes et des femmes qui connaissent la réalité du terrain et sont proches d’eux. Autrement, c’est le scénario de 2016 qui risque de se répéter. Les démocrates ne pourront pas dire cette fois qu’ils n’ont pas été prévenus.
Dessalines Ferdinand