Les Orientaux disent que les apparences sont parfois trompeuses, et que ceux qui font le plus de bruit sont souvent les moins impliqués en besogne. Sans aller jusqu’à accuser Mr Moïse de rester les bras croisés, force est de constater que ses choix de déplacements ne sont pas toujours judicieux. Loin de là ! Le dernier en date a laissé plusieurs observateurs incrédules très perplexes quant à la pertinence de tout ce tohu-bohu. Le Président de la République est en effet parti avec tout un cortège de dignitaires et de responsables politiques pour inaugurer une salle d’arrivée d’une capacité d’à peine 300 personnes, la bâtisse en elle-même ayant une superficie de 1.100m². À côté de Mr Moïse, étaient présents ce jour-là les ministres de l’Intérieur (Brunet), des Travaux publics (Caillot), de la Planification (Fleurant), le député de la circonscription (Étienne Jean), la mairesse de la commune, le Directeur général de l’autorité aéroportuaire, le Directeur général du ministère de tourisme, le Directeur général du ministère de la Communication, ainsi que plusieurs membres de la chambre du Commerce et de l’Industrie du Nord, des directeurs départementaux de différents ministères, et d’autres membres de l’autorité civile, militaire et religieuse. Beaucoup de gesticulations pour peu, la montagne a fini par accoucher d’une souris.

En effet, personne n’a compris pourquoi il y’avait un tel déferlement de responsables pour inaugurer une simple salle d’arrivée. Tout le monde a trouvé toute cette démonstration excessive, voire un poil exubérant. Il ne faut pas oublier que pour accueillir tout ce beau monde, il devait forcément y avoir derrière toute une logistique de transport, de sécurité et d’hébergement à mettre en place. Cela engendre des coûts non négligeables que devra supporter au final le pauvre contribuable haïtien. D’autant plus que l’aéroport en question est considéré comme secondaire, dans la mesure où le trafic passager y est très faible et les lignes desservies limitées. L’aéroport international du Cap-Haïtien ne reçoit en effet que 6 compagnies aériennes (American Airlines, InterCaribbean Airways, IBC Airways, Salsa d’Haïti, Sunrise Airways et Spirit Airlines qui a entamé ses vols seulement en avril dernier) avec des fréquences de rotation assez faibles. On est bien loin des 16 compagnies aériennes qui desservent l’aéroport international Toussaint-Louverture de la capitale, avec plus de 1,3 million de passagers qui passent par ses couloirs chaque année.

Que le Président de la République se déplace personnellement pour s’enquérir de l’avancement de certains travaux, pour motiver les troupes sur le terrain, ou encore pour faire un travail pédagogique afin d’expliquer à ses concitoyens sa vision et les projets de reconstruction qu’il entend mener à bien, c’est tout à son honneur. Mais déplacer une foule de responsables en monopolisant des ressources financières et humaines conséquentes qui pourraient être plus utiles ailleurs, juste pour être sous le feu des projecteurs et faire un coup de Com médiatique, voilà qui ne passe pas auprès de l’opinion publique. Le pire, c’est que Mr. Moise n’en est pas à son premier coup d’essai. Le 27 février dernier déjà, il a inauguré un tronçon de route de 6 km – excusez du peu ! -, faisant partie de l’axe Cap-Haïtien – Labadie. Cela représente 0.35% du réseau routier bitumé total du pays (1714km). Quelques mois plus tôt, le vendredi 22 décembre 2017, il a fait encore plus fort en allant inaugurer 2 km d’une route en béton. Certaines mauvaises langues moquaient ce déplacement, arguant que le cortège présidentiel était aussi long que la route en elle-même. S’il faut prendre cette critique sous la forme de la boutade, elle démontre néanmoins à quel point le peuple ne voit pas d’un très bon œil tout ce remue-ménage pour pas grand-chose.

Le Président de la République d’Haïti, qui est également le garant de ses institutions, se doit d’être à la hauteur de son poste de prestige. À un moment où le pays traverse une période très délicate, où la population manque cruellement des services de base, où le futur parait particulièrement incertain, il est très important que chaque responsable politique, à commencer par le premier d’entre eux, à savoir Mr Jovenel Moise lui-même, joigne la parole aux actes et montre l’exemple lorsqu’il s’agit de maitriser les dépenses publiques, surtout celles qui paraissent futiles. Les Haïtiens aimeraient par exemple voir leur Président plutôt se déplacer pour inaugurer une autoroute qui puisse couvrir les 240 km qui séparent Port-au-Prince au Cap-Haïtien, ou encore un centre hospitalier régional muni des technologies médicales dernier cri (IRM, scanners, radiologie, échographie), ou bien une université pour former les ingénieurs de demain. Or, certains déplacements officiels du Chef de l’État ne sont pas toujours justifiés, d’autant plus qu’ils engendrent des coûts qui, dans un pays comme Haïti, constituent un luxe plus qu’une nécessité. Notre budget, en l’état actuel des choses, ne nous permet pas d’avoir un chef de l’État qui parade aux 4 coins du pays pour célébrer la construction de quelques kilomètres de bitume par-ci, et d’une salle d’attente par-là. Pourquoi ne pas instaurer une règle non écrite, officieuse donc, où le Président ne se déplace que pour des projets de grande envergure, qui nécessitent par exemple des investissements de 50 millions de dollars et au-delà ?

En allant inaugurer une salle d’arrivée d’un aéroport, Jovenel Moise voulait montrer aux Haïtiens que c’est un chef d’État bâtisseur qui travaille sans relâche. Malheureusement pour lui, c’est plutôt l’image inverse qu’il a projetée, puisqu’il a donné l’impression de ne pas avoir beaucoup de projets à se mettre sous la dent et de sauter sur la moindre inauguration qui se présente, quelle qu’elle soit, pour montrer son mandat sous son meilleur jour. Allons, Monsieur le Président, soyons sérieux !

Dessalines Ferdinand

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