Le pouvoir est une drogue dure dont il faut se méfier. Tous les dirigeants du monde vous diront qu’une fois qu’ils ont goûté à la puissance que leur confère la fonction suprême, ils ont le plus grand mal à s’en séparer. Privilèges, immunité, prestige.. les raisons d’apprécier la stature de chef de l’État sont diverses et nombreuses. Le problème en Haïti, c’est que nous ne disposons pas d’institutions solides qui garantissent un roulement normal à la tête du pays. Chaque Président nouvellement élu fait tout pour rester en poste aussi longtemps que possible, bien au-delà des limites de son mandat. Juste après la chute de la ‘dynastie’ Duvalier, les coups d’État militaires s’enchaînaient (général Namphy, Prosper Avril). Jusqu’au jour où la prise du pouvoir par les armes n’avait plus bonne presse au sein de la communauté internationale. Nos dirigeants se sont alors adaptés à cette nouvelle conjoncture et ont décidé d’opter pour des coups d’État électoraux, voire constitutionnels. Plus besoin de lever une armée pour s’approprier le pays. Il suffit d’un stylo, d’un peu de culot politique et d’une bonne dose d’opportunisme pour s’accaparer le pouvoir et le garder. Et c’est ce chemin que semble vouloir emprunter Jovenel Moïse pour perpétuer son emprise sur Haïti.

Si le blocage politique perdure depuis le 7 février dernier, Jovenel Moïse y est pour beaucoup. En effet, c’est le Président de la République qui impose l’agenda politique en Haïti, sans concertation ni débat, faisant fi de la constitution et des protestations de la société civile. La population haïtienne a le sentiment de vivre dans une sorte d’oppression mise en place par le pouvoir en place. Avec la violence des gangs d’un côté et l’entêtement du gouvernement de l’autre, les Haïtiens ont l’impression d’être pris dans un étau. Cela sans parler de l’impunité qui règne actuellement, puisqu’aucune condamnation n’a eu lieu pour le scandale PetroCaribe, ni pour les massacres dans les quartiers populaires, notamment celui de La Saline qui s’est soldé par la mort d’au moins 71 citoyens, y compris des femmes et des enfants. Et c’est cette accumulation d’irrégularités, d’injustice et de crime qui fait dire aux observateurs que si Jovenel Moïse parle comme un démocrate, il agit bel et bien comme un dictateur.

D’ailleurs, entre le Président et de nombreux Haïtiens, le divorce semble acté depuis le 7 février, date à laquelle il aurait dû quitter le pouvoir. Pour les anti-Moïse, le maintien du Chef de l’État au pouvoir est tout bonnement illégal. Beaucoup n’hésitent pas à dire que le pays a purement et simplement replongé dans la dictature. Ils en veulent pour preuve la série de décrets anticonstitutionnels dont le Président a abusé au cours des derniers mois. Ce qui a fini par irriter les Haïtiens, mais aussi la communauté internationale. Même les alliés historiques de Moïse comme Trump ont dû se résoudre à condamner cette façon de gouverner venue d’un autre temps. Si au début de son mandat, Moïse cachait bien son jeu, aujourd’hui, il ne fait plus semblant et dirige le pays comme bon lui semble, bien que le mot ‘diriger’ soit un peu éphémère étant donné qu’une grande partie d’Haïti échappe au pouvoir central.

De plus, depuis que Moïse a décidé que le Parlement était non fonctionnel, il a les coudées franches pour faire le ménage au sein des administrations du pays. Dès qu’un haut responsable le dérange, il n’hésite pas à le remplacer. C’est notamment ce qui est arrivé dans la Cour de cassation où le Chef de l’État a changé tous ceux qu’il jugeait trop proches de l’opposition. Et lorsque les gens sortent dans la rue pour manifester leurs désaccords, ils sont la plupart du temps réprimé avec véhémence par les forces de l’ordre. Si cela n’est pas de la dictature, cela y ressemble beaucoup!

La force excessive que les autorités utilisent chaque fois que les Haïtiens sortent pacifiquement dans la rue pour manifester leur colère est intolérable et doit être condamnée avec la plus grande fermeté. Les gaz lacrymogènes et les balles n’ont pas leur place dans un pays qui se veut respectueux des droits de l’homme. Le plus inquiétant, c’est que les signes avant-coureurs des intentions autoritaires de Moïse ne datent pas d’hier. Déjà en 2017 et 2018, les Haïtiens s’inquiétaient de voir que Moïse prenait des décisions plus que discutables. Malheureusement, les pays dits amis ont continué à soutenir l’homme fort du pays, privilégiant la stabilité à la démocratie. Résultat des courses, aujourd’hui, les Haïtiens n’ont ni stabilité ni démocratie.

Heureusement pour nous, même en tant que dictateur, Jovenel Moïse n’est pas à la hauteur. Il essaie de porter un costume deux tailles trop grand pour lui et il n’a certainement pas la carrure de l’emploi. Avec les gangs et une grande partie de la population qui lui est hostile, dans les faits, Jovenel Moïse ne contrôle pas grand-chose. N’eût été le soutien des pays alliés, les haïtiens l’auraient ‘congédié’ il y a bien longtemps. Et si Moïse connaît bien l’histoire de notre pays, il devrait savoir qu’il prend un grand risque en jouant ainsi avec la patience des Haïtiens qui peuvent à tout moment le faire partir les pieds devant!

Stéphane Boudin

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