En ces temps de Covid-19, et alors que les rassemblements de foule sont fortement déconseillés pour éviter toute propagation du virus, Jovenel a trouvé encore une fois le moyen d’irriter une partie de la population qui n’a eu d’autre choix que de descendre dans la rue pour protester et exprimer son indignation. ‘’Non à l’immoralité’’, ‘’vive la famille’’, c’est avec ces slogans que des milliers de personnes ont manifesté dans les rues de Port-au-Prince pour dénoncer la dernière modification de loi décrétée par le Président Jovenel.
Amendement du Code pénal, de quoi s’agit-il exactement ?
Depuis qu’il n’a plus d’opposition pour lui barrer la route, Jovenel agit comme bon lui semble dans presque tous les domaines et se croit tout permis. À la fin du mois dernier, il s’est transformé en juriste pour s’attaquer par décret à certains textes du Code Pénal, sans consultation aucune. Si son but était de tâter le terrain pour voir la réaction du peuple lorsqu’il s’aventure sur le domaine juridique, alors on peut dire qu’il a réussi son pari puisque la levée de boucliers a été quasi-immédiate.
Mais de quoi s’agit-il exactement? Pourquoi une partie des Haïtiens, principalement les disciples de l’Église protestante, se sont révoltés contre ce nouvel amendement présidentiel? En fait, Jovenel a voulu modifier par décret un code pénal vieux de 185 ans. Le gouvernement a donc publié au bulletin officiel le 24 juin dernier les nouvelles modifications imposées de manière unilatérale et qui devront théoriquement être appliquées 24 mois après leur publication, soit en 2022… sauf si entre temps, un parlement nouvellement élu rejette ces textes.
Ce que les protestataires reprochent au nouveau Code pénal, c’est d’autoriser implicitement des relations charnelles considérées comme immorales par une grande partie de la société haïtienne. Pour les détracteurs de cette nouvelle loi, le fait de punir les discriminations basées sur l’orientation sexuelle est une façon déguisée d’autoriser l’homosexualité, voire même la pédophilie, la zoophilie et l’inceste selon l’interprétation qu’en font certains. Car c’est bien là le problème! Le nouveau texte proposé par l’équipe de Jovenel laisse planer beaucoup de zones d’ombres qui finissent par distiller le doute dans l’esprit des gens.
Les articles les plus contestés sont les articles 301, 304, 305 et 471 qui permettent par exemple l’abaissement de la majorité sexuelle à 15 ans, faisant craindre une exploitation des mineurs par des réseaux de prostitution.
Tout cela montre que Jovenel n’a pas vraiment consulté des juristes expérimentés pour réfléchir sur ces nouveaux amendements. À se demander si le Président ne fait pas tout ça juste pour créer une nouvelle polémique qui distraira la population et lui fera oublier sa principale revendication, à savoir la démission de Jovenel. Une marchande rencontrée dans la rue pense même que Jovenel devait être saoul ou drogué pour avoir osé proposer de telles choses. L’avis de cette citoyenne montre en tout cas le fossé grandissant entre les Haïtiens et leur Président qui semble de plus en plus déconnecté de la réalité.
Pourquoi la nouvelle loi déplait-elle aux croyants ?
Tout d’abord, il faut bien faire la distinction entre le droit civil et le droit pénal. Le droit pénal est un droit répressif qui est là pour punir les gens qui ne respectent pas la loi en commettant des délits plus ou moins graves (viol, meurtre, vol, etc..). Le droit civil au contraire organise les relations entre particuliers, notamment les mariages, les successions, etc… Le nouveau Code pénal publié par décret ne modifie pas en soi le Code civil auquel les Haïtiens sont habitués. On ne risque donc pas de voir demain un prêtre célébrer un mariage entre deux femmes par exemple.
Cela dit, le nouveau texte proposé par Jovenel étant vague et plein d’approximations, la population estime que tout ce qui n’est pas explicitement interdit signifie qu’il est implicitement permis. Cette vision des choses donne parfois lieu à des interprétations farfelues que les religieux récupèrent avec joie pour en faire leur fonds de commerce.
Pourtant, Jovenel n’était pas sans savoir que l’arme la plus dangereuse enHaïti, c’est les rumeurs. Il se devait de proposer un texte qui soit clair et sans ambigüité au lieu de bricoler encore une fois un texte de loi bancal qui est à l’image de son mandat. Pour essayer d’éteindre ce début d’incendie, le Premier ministre Jouthe a endossé l’habit de médiateur. Il a été chargé par le Président d’aller à la rencontre des organisations qui critiquent ouvertement le nouveau texte afin de leur expliquer sa vision des choses et leur montrer qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Selon ses dires, il serait même prêt à revoir certains articles pour éviter toute mauvaise interprétation.
Alors que notre pays traverse une des pires crises de son histoire et que la population peine à survivre, on se demande comment le pouvoir en place trouve le temps d’aller jouer avec des textes de loi, même obsolètes, alors qu’il y a des sujets plus urgents à traiter. Pourquoi ne pas changer la loi pour donner plus d’indépendance à la justice? Pourquoi ne pas publier un décret pour fournir plus d’outils à la justice pour traquer et juger les responsables qui pillent nos richesses? Pourquoi ne pas consolider le droit pénal afin de punir les élus qui se cachent derrière l’immunité que leur procure leur fonction pour échapper à la justice? Voilà des textes de loi que le peuple aimerait voir amendés !
Jovenel a-t-il le droit de modifier les lois de la République par décret?
Jovenel use et abuse depuis quelque temps des décrets pour asseoir son pouvoir. Mais en utilisant cet acte exécutoire pour modifier la loi, n’a-t-il pas franchi une nouvelle limite? Les experts en droit constitutionnel pensent que c’est le cas. Beaucoup estiment en effet que le Président devrait faire preuve de sagesse et de retenue, et n’user du pouvoir des décrets que lors des situations d’urgence, comme c’est le cas avec la Covid-19 par exemple.
Mais Jovenel ne partage pas cet avis puisqu’il semble apprécier depuis quelque temps cette nouvelle façon de gouverner par décrets. Pour la Fédération des Barreaux d’Haïti (FBH), cette manière de diriger le pays est inconstitutionnelle. Il est vrai que le pouvoir exécutif ne peut remplacer le pouvoir législatif, et vis-versa. La FBH a d’ailleurs menacé d’attaquer les derniers décrets présidentiels en justice s’ils ne sont pas retirés.
Mais la FBH a-t-elle vraiment la capacité de gagner contre un Chef de l’État qui a réussi jusqu’ici à éliminer méthodiquement, un à un, tous les adversaires politiques qui se sont dressés sur son passage? Rien n’est moins sûr! Vivement qu’un nouveau parlement soit enfin élu pour mettre un frein à cette dérive autoritaire qui s’accentue semaine après semaine. Le comble est que nous voyons le pouvoir de Jovenel se renforcer de manière sournoise sans que personne n’arrive à l’arrêter. Reste à savoir jusqu’où il compte aller!
Stephane Boudin
Le Floridien, 31 juillet 2020