Le jour de l’investiture de Jovenel Moïse comme 58e Président d’Haïti, beaucoup découvraient l’homme pour la première fois à la télévision. Tiré à quatre épingles dans un costume trois-pièces bleu marine impeccable, le nouveau Chef de l’État inspirait presque confiance avec sa musculature de crevette et son sourire des grands jours. En ce 7 février 2017, la main sur le cœur, il promettait de réconcilier les Haïtiens entre eux. Il a également invité la diaspora à revenir sans peur au pays pour y investir, faire des affaires, créer des emplois et participer à son développement. Si les Haïtiens vivant à l’étranger l’avaient écouté, ils s’en mordraient les doigts aujourd’hui.
Plus le temps passe, plus on s’aperçoit que Jovenel avait en réalité un agenda politique inavoué qui avait pour but non pas de développer et pacifier le pays, mais plutôt d’étendre et de renforcer son pouvoir personnel, quoi qu’il en coûte ! Et à force de tirer sur les ficelles et de monter les uns contre les autres, il a mené notre nation tout droit dans le précipice. Haïti n’a jamais été aussi divisé politiquement, idéologiquement, socialement. La politique de Jovenel se base sur une ligne directrice simple, celle de diviser pour régner (divide et impera). Et il faut bien avouer que cette stratégie machiavélique lui réussit assez bien, puisqu’il a éliminé un à un tous les ennemis qui se sont dressés sur son chemin. Aujourd’hui, on se retrouve avec un pays sans Parlement ni Sénat et un Président qui gouverne par décrets. Pas besoin d’être un érudit en sciences politiques pour comprendre que Jovenel le démocrate de 2017 est devenu Jovenel l’autoritaire en 2020. Et d’autoritarisme à dictature, il n’y a qu’un pas que le Président semble bien vouloir franchir.
Car maintenant qu’il n’a plus d’adversaire de taille pouvant lui barrer la route, Jovenel entend s’attaquer à la constitution qui est le dernier obstacle sur son chemin vers les pleins pouvoirs. Le problème est que la manière dont il compte s’y prendre est elle-même anti-constitutionnelle. Au début de l’année déjà, le Président avait distillé lors de ses discours quelques pistes sur son éventuel projet. Il a ainsi parlé d’une “loi-mère” qui l’aiderait à court-circuiter les textes qui contrarient encore son plan. À ses yeux, la constitution actuelle est en adéquation avec les besoins du peuple et ses attentes, et doit par conséquent être changée au plus vite. Pour ce faire, quoi de mieux que d’organiser un référendum. Or, l’article 284-4 stipule explicitement que toute consultation populaire visant à modifier la Constitution du pays par voie de Référendum est formellement interdite. Cela ne pouvait être plus clair.
En 1987, des compatriotes ont sacrifié leurs vies pour que nous puissions jouir de la constitution qui est la nôtre aujourd’hui. Celle-ci a permis à notre pays de tourner la douloureuse page de la dynastie Duvalier. Certains la trouvent peut-être imparfaite, soit, mais elle symbolise tout de même la résilience de tout un peuple face à une des dictatures les plus sanguinaires du siècle passé. Notre mémoire collective reste encore traumatisée par des décennies de tyrannie et d’absolutisme. Il est donc hors de question pour les Haïtiens de substituer une lignée autoritaire par une autre. Jovenel ne voit pas les choses de la même façon. Tel un bulldozer, il avance et rase tout sur son passage sans exprimer la moindre empathie pour ses concitoyens. Les insoumis sont écartés sans ménagement et remplacés par des compères plus dociles. Ceux qui pensaient au départ que les dévoiements du Président n’étaient que des accidents de parcours ont depuis revu leur jugement. Il devient clair que Jovenel a pour objectif final de remodeler la fonction présidentielle qui doit bénéficier selon lui de pouvoirs élargis.
Si cette démarche de refonte constitutionnelle émanait d’une personnalité intègre et respectée de tous, elle pourrait éventuellement trouver un écho favorable auprès de la population. Mais Jovenel est tout sauf un saint. Impliqué dans le scandale PetroCaribe qu’il essaie d’enterrer au plus vite, son pedigree maculé ne plaide pas en sa faveur. Surtout, il convient de rappeler qu’il a été porté au pouvoir avec les voix de seulement 11% des électeurs haïtiens. Ce n’est donc certainement pas le mieux placer pour dire ce dont les Haïtiens ont besoin ou non. D’ailleurs, la situation dans laquelle se trouve le pays actuellement prouve que sa politique intérieure est un véritable fiasco. Ce qui est sûr, c’est que Jovenel a développé au fil du temps une cuirasse qui le rend insensible aux critiques et plus entêté que jamais. Pour ainsi dire, tout le monde redoute une confrontation frontale avec la population, un scénario qui ne peut que déboucher sur un bain de sang. Avec le Coronavirus en plus qui menace de débarquer à n’importe quel moment, l’avenir à court terme semble assez sombre.
Stéphane Boudin