C’’est bien connu. Parmi les nombreux maux qui entravent le développement d’Haïti, la corruption occupe la première place. Tous les haïtiens, sans exception, sont malheureusement confrontés à ce mal qui ronge notre société à tous les niveaux. Mairie, hôpitaux, tribunaux, ports… où que vous allez, vous trouverez toujours quelqu’un qui vous demandera un petit quelque chose en contrepartie d’un service qui vous est pourtant dû. Mais comment en est-on arrivés là? Pourquoi le haïtien est-il plus enclin à donner un bakchich qu’un suédois ou un japonais par exemple? Explications.
En Haïti, l’argent a remplacé l’État de droit
C’est un fait. Tout pays où la corruption est endémique n’arrive pas à se développer. En effet, les richesses se retrouvent entre les mains d’une poignée de privilégiés, alors que la grande majorité de la population reste plongée dans la pauvreté et la misère. Ce constat est malheureusement valable également pour Haïti qui n’arrive pas à se départir de ces mauvaises habitudes. Depuis des années, notre pays occupe les dernières places au classement mondial de l’indice de perception de la corruption (161ème sur 175). Un classement qui ne nous honore guère et doit nous faire réfléchir. Mais surtout, on doit se poser la bonne question : pourquoi donc les haïtiens n’arrivent-ils pas à se défaire de cette corruption endémique?
Il faut savoir que la corruption constitue un frein majeur à la croissance économique, mais aussi à la bonne gouvernance et aux libertés fondamentales, comme la liberté d’expression, ou encore la justice.
Dans un pays où l’ensemble de l’administration est corrompue jusqu’à l’os, comment voulez-vous demander des comptes aux différents politiciens qui volent l’argent public et détournent des sommes faramineuses? Pour preuve, l’énorme scandale PetroCaribe n’a débouché sur aucune arrestation, alors que des milliards appartenant au contribuable ont été détournés sans vergogne.
On peut dire que la corruption affecte directement la vie des citoyens, des familles et des communautés. Le pire est que, au lieu de s’améliorer, la corruption empire d’année en année. Face à un État inexistant qui est lui-même constitué de dirigeants qui ne semblent pas avoir les mains vraiment propres, on voit mal comment la situation pourrait évoluer favorablement dans un proche avenir.
D’après un rapport d’enquête commandité par les Nations-Unies, près de 9 haïtiens sur 10 disent être obligés de donner des pourboires pour accéder à des services publics comme les soins de santé ou l’éducation. Pire, les haïtiens pensent que la police et la justice sont les institutions les plus corrompues, alors que ces dernières sont censées protéger les citoyens notamment contre la corruption. Autant dire que le serpent se mord la queue et ce n’est pas demain que la situation risque de s’améliorer.
De mauvaises habitudes que certains haïtiens de la diaspora ont gardé
On aurait tendance à croire que les riches sont ceux qui corrompent le plus. Mais statistiquement, ce sont malheureusement les pauvres qui sont les plus exposés. En effet, sans bakchich, difficile pour un citoyen issu d’un milieu défavorisé d’avoir accès à l’éducation, aux soins de santé ou aux protections juridiques.
Mais la corruption sévit également au sein de la diaspora, chose qui peut paraître étonnante. Bien entendu, cette corruption de la diaspora n’atteint pas les niveaux stratosphériques que nous voyons en Haïti, pays où la corruption s’est institutionnalisée. Mais tout de même. On est en droit de se poser la question sur les raisons qui poussent certains haïtiens de la diaspora à recourir à ces pratiques illégales.
Et pas besoin d’aller bien loin pour trouver ces ‘’citoyens modèles’’. Le staff du commissionaire haitiano-américain du comté de Miami-Dade, Jean Monestime (District 2), a ainsi fait les choux gras des journaux locaux ces dernières semaines après le scandale de détournement de l’argent public. Un comportement d’une autre époque qui a étonné jusqu’à la procureure générale chargée de l’enquête qui ne comprend pas la naïveté des contrevenants qui pensaient pouvoir s’enrichir illégalement sans se faire prendre.
Et c’est justement là que réside le problème. Pourquoi ces haïtiens, qui pourtant avaient un travail respectable et gagnaient bien leur vie dans un pays démocratique et stable, ont-ils tout gâché pour quelques billets en plus, salissant au passage l’image de toute une communauté qui jouit pourtant d’une très bonne réputation.
Certains disent qu’il s’agit là de vieux réflexes qui ressurgissent, d’autres que l’appât de gain est normal et humain, et que par conséquent, quelques brebis s’égarent de temps en temps et s’écartent du troupeau.
Certes, malheureusement, l’origine de ces agissements est bien plus profonde que certains pourraient penser.
La sensibilisation et l’éducation reste la meilleure arme anti-corruption
En Haïti, la corruption existe depuis de très nombreuses années. Les haïtiens n’ont pas choisi d’user de la corruption, c’est le système politique et l’environnement dans lequel ils vivent qui les ont poussés à agir de la sorte. Ainsi, la corruption s’est presque incrustée dans notre subconscient. Aujourd’hui, sortir un billet de sa poche est devenu un réflexe presque naturel. C’est entré dans les mœurs. « Si je ne lui donne pas un petit quelque chose, il ne va pas me donner le papier dont j’ai besoin pour ouvrir ma boutique »… « si je ne me montre pas généreux avec le médecin, il ne va pas bien soigner ma mère »… « si je glisse un petit billet à ce billet, il va fermer les yeux sur mon infraction »… et ainsi de suite.
Mettre fin à la corruption dans notre pays ne sera pas une mince affaire. Cela prendra des années, peut-être même 1 voire 2 générations pour qu’elle soit éradiquée. Et cela commence dès l’école. On doit dès maintenant enseigner à nos enfants que la corruption c’est mal et qu’elle doit être combattue avec vigueur. Il faut également que le système judiciaire suive et pourchasse la corruption partout où elle se trouve, principalement dans les administrations où elle continue à faire des ravages. Bien entendu, la justice doit commencer par se soigner elle-même en nommant des juges propres et irréprochables. Car comment punir les autres si vous-mêmes, vous ne donnez pas le bon exemple.
Haïti ne pourra aspirer à des jours meilleurs si on ne combat pas ce mal pernicieux qui nous ronge de l’intérieur. Les mentalités doivent changer. Et c’est possible, il faut juste s’en donner les moyens. Autrement, on risque de s’enfoncer un peu plus dans une crise qui n’a que trop perduré.
Dessalines Ferdinand
Le Floridien, 15 juin 2022