MIAMI (Le Floridien) — Certains pays, pour ne pas dire l’immense majorité des grands pays d’émigration disposent d’un ministère dédié à sa diaspora, car ils ont bien compris que ce pan de la population représente un atout économique considérable grâce aux transferts de capitaux qu’ils réalisent vers leurs pays d’origine chaque année. Mexique, Chine, Inde, Philippines, mais aussi Maroc, Pakistan ou encore la Turquie sont toutes des nations qui font les yeux doux à leurs ressortissants établis à l’étranger.
Ainsi, en 2017, la banque mondiale a estimé qu’environ 466 milliards de dollars ont été transférés par les populations émigrées vers des pays à faible revenu. Qu’en est-il d’Haïti dans tout cela ?
Ainsi, en 2017, la banque mondiale a estimé qu’environ 466 milliards de dollars ont été transférés par les populations émigrées vers des pays à faible revenu. Qu’en est-il d’Haïti dans tout cela ? Quelles dispositions l’État haïtien a-t-il mises en place pour encourager l’investissement de la diaspora haïtienne dans son pays d’origine ? Le MHAVE (Ministère des Haïtiens Vivant à l’Étranger) est-il à la hauteur de la mission qui lui incombe ? La diaspora haïtienne se sent-elle accompagnée par le ministère de tutelle qui est censé se pencher de près sur ses principales préoccupations ? Le Floridien a mené son enquête sur le sujet et a remarqué de nombreux manquements qui méritent d’être corrigés.
Le MHAVE est-il un vrai ministère ou une coquille vide ?
Avant de commencer notre enquête, on a pu consulter quelques chiffres communiqués par la banque mondiale qui nous ont donné le vertige. Ainsi, les transferts de la communauté haïtienne établie à l’étranger représentaient, tenez-vous bien, 34% du PIB en 2017. Avec 2.7 milliards de dollars injectés dans l’économie locale, la diaspora haïtienne constitue indéniablement la première entrée en devises pour le pays, ce qui en fait une force importante pour l’économie locale. Bien que le montant d’argent moyen envoyé par émigrant et par mois reste en deçà de la moyenne régionale (8$ pour l’haïtien contre 30$ pour le Hondurien par exemple), le volume total ramené à l’échelle de l’économie du pays reste lui conséquent. Qu’ils soient établis au Canada, aux États-Unis, en Amérique latine ou en Europe, les Haïtiens de l’étranger n’oublient jamais leur mère patrie.
On ne peut malheureusement pas en dire de même pour le MHAVE qui lui, semble oublier les enfants du pays installés à l’extérieur, puisque ce ministère n’a jamais vraiment été à la hauteur de la mission qui lui revient. Depuis sa création en novembre 1994, le MHAVE manque en effet de moyens financiers et humains lui permettant d’atteindre ses objectifs. Mais le manque de ressources ne justifie pas tout, car même lorsque le ministère en dispose, il ne les utilise pas toujours à bon escient. La faute à un manque de stratégie claire et à une désorganisation flagrante de la part des différents gouvernements qui se sont succédé. Ce ministère de tutelle voit souvent ses prérogatives cannibalisées par d’autres institutions étatiques qui convoitent elles aussi la manne financière de la diaspora. Il n’est ainsi pas rare de voir plusieurs ministères se marcher sur les pieds sur un même projet, alors qu’une meilleure coordination aurait permis de mieux mobiliser les ressources disponibles. Chacun joue donc sa propre partition dans l’espoir d’avoir sa part du gâteau, ce qui finit tôt ou tard par engendrer des gabegies inadmissibles qui plombent notre budget annuel.
Quid de la communication avec la diaspora haïtienne ?
Si la malgouvernance a fait des ravages dans les différentes institutions étatiques, elle n’a pas épargné le MHAVE qui fête cette année son 24ème anniversaire. Que la diaspora soit gérée par un service, une direction, un commissariat ou un ministère, le nom importe peu. Seul le résultat final permet de juger sur pièce. Or, en ce début d’année 2019, on ne peut que constater qu’on est encore loin du compte.
La ministre Marnatha Irène Ternier, secondée par le directeur général Yvon Bonhomme qui a remplacé en octobre dernier la controversée Yolette Mengual, a du pain sur la planche si elle veut redorer le blason d’un ministère qui n’a jamais vraiment réussi à décoller.
Parmi les principaux griefs de la diaspora haïtienne envers ce département, le manque flagrant de communication vient constamment en première place. La ministre a certes indiqué à plusieurs reprises vouloir se rapprocher des enfants du pays installés à l’étranger, mais les mesures prises restent bien en deçà des attentes. La récente création d’un centre d’information et d’un service de coordination semble indiquer que les pouvoirs publics ont enfin pris conscience du problème, mais cela reste très insuffisant. Ce n’est pas en rajoutant quelques lignes téléphoniques qu’on va combler le déficit de communication du jour au lendemain comme par un coup de baguette magique. Madame Ternier doit savoir que l’instauration de nouveaux canaux de communication, cela se planifie longtemps à l’avance de manière posée et réfléchie. Ce n’est pas les outils de communication qui manquent : journaux, télévision, radio, internet, téléphone. Par contre, il manque une stratégie claire pour que tous ces outils soient utilisés en synergie afin de pouvoir cibler les bonnes personnes au bon moment, au bon endroit.
Un exemple concret vaut mille mots. Le ministère MHAVE dispose depuis quelques années d’un site web, mhave.gouv.ht qui engendre un coût annuel de maintien (serveurs, webmaster, etc..). Mais lorsqu’on s’y connecte, on se rend compte bien vite que le site web en question est à l’image de son ministère, pauvre et dégarni. Les informations publiées ne sont pas mises à jour pendant plusieurs mois, certaines rubriques comme “les programmes” sont inaccessibles (cela dit, l’inverse nous aurait surpris), et les services proposés en général ne répondent pas du tout aux besoins des citoyens.
Autant dire qu’on est encore à des années-lumière de l’e-gouvernement qui pourtant, peut faciliter la vie de milliers de gens et réduire substantiellement les coûts de fonctionnement du ministère.
Les principales revendications de la population haïtienne établie à l’étranger
Si la diaspora réclame depuis longtemps une meilleure communication avec le MHAVE, c’est parce qu’elle se rend compte année après année que ses revendications restent lettre morte. Lorsqu’on connaît son poids dans l’économie du pays, un appui de la part des autorités pour mieux accompagner les enfants du pays dans leurs démarches n’aurait pas été de trop.
Nombreux sont les investisseurs qui ont voulu revenir au pays pour participer à sa reconstruction et qui ont trouvé toutes les portes closes. Combien d’investisseurs ont dû abandonner leur projet et rebrousser chemin, car ils n’ont pas trouvé d’interlocuteur viable pour les guider !
Certains émigrés ont quitté Haïti depuis plus de 20 ans, ils ne sont donc pas coutumiers des pots-de-vin qu’il faut distribuer à droite et à gauche à chaque fois qu’il faut retirer le moindre document administratif. Ne serait-il pas plus judicieux de créer un guichet unique qui puisse faciliter l’intégration de ces nouveaux investisseurs qui aiment leur pays et veulent participer à son développement ? Existe-t-il de réelles incitations fiscales pour encourager encore plus de compatriotes à venir monter des projets économiques viables (immobilier, tourisme, commerce, etc..) ? L’État ne peut-il pas mieux protéger juridiquement les investisseurs de la diaspora qui se sentent constamment pourchassés par des vautours qui ne cherchent qu’à leur dilapider leur argent à la moindre occasion ? Toutes ces requêtes ne représentent qu’une infime partie des doléances des Haïtiens de l’étranger qui tiennent avant tout à prendre part à la reconstruction et au développement durable de leur pays. Voilà pourquoi, madame la ministre, la communauté haïtienne (et notamment celle établie en Floride) demande à ce que vous soyez à l’écoute et à ce que vous arrêtiez de faire la politique de l’autruche comme vos prédécesseurs.
LE FLORIDIEN