Les Haïtiens vivant à l’étranger suivent de très près la crise actuelle que traverse notre pays. Tout le monde est inquiet par rapport à la situation sécuritaire, politique et socio-économique qui ne cesse de se détériorer, sans parler du Covid-19 qui est venu rajouter son grain de sel et compliquer un peu plus le quotidien déjà bien difficile de nos concitoyens. Face à cela, la diaspora haïtienne ne ménage aucun effort pour aider la mère patrie à sortir de sa léthargie. Malheureusement, faute de coordination et d’organisation entre les différentes composantes de la diaspora haïtienne, les résultats sont souvent en deçà des attentes fixées. Mais cela est en train de changer.
La diaspora, le cordon ombilical d’Haïti
C’est au début des années 60 que l’émigration haïtienne a vraiment commencé. La première vague de migrants fuyait le régime sanguinaire et oppressif de la ‘dynastie’ des Duvaliers, puis vint la deuxième vague des années 90 qui quittait le pays pour des raisons économiques. Aujourd’hui, la diaspora haïtienne se concentre principalement aux États-Unis, au Canada, en République dominicaine, à Cuba, au Brésil, au Chili et en France. En tout, on dénombre approximativement 2 millions d’Haïtiens vivant à l’étranger. Un chiffre conséquent qui explique pourquoi on qualifie parfois la diaspora haïtienne de 11e département d’Haïti.
Or, malgré la distance, ces Haïtiens de l’étranger ont gardé un lien fort avec leur pays d’origine. En effet, c’est grâce aux fonds envoyés par sa diaspora qu’Haïti arrive tant bien que mal à maintenir la tête hors de l’eau. Ainsi, entre 2010, année du tremblement de terre, et aujourd’hui, la diaspora haïtienne a transféré l’équivalent de 22 milliards de dollars, un montant astronomique qui constitue une véritable bouffée d’oxygène pour le pays.
L’envoi des fonds à partir de l’étranger représente un peu plus de 30% du PIB, ce qui veut dire qu’environ un cinquième de la richesse nationale est produite par les Haïtiens vivant à l’extérieur. D’ailleurs, au classement mondial, Haïti arrive même en 4e position après les Tonga, le Kirghizistan et le Tadjikistan en ce qui concerne la part que représentent les fonds de la diaspora dans le produit intérieur brut du pays.
Impact politique encore limité
Si comme on l’a vu, l’apport de la diaspora sur le plan économique est indéniable, il n’en est pas de même sur le plan politique. En effet, malgré leur bonne volonté, les Haïtiens de l’étranger ont encore du mal à faire entendre leur voix et bouger les lignes dans leur pays d’origine. Pourtant, les membres de la diaspora ont acquis une expérience certaine dans tout ce qui concerne la bonne gouvernance, la lutte contre la corruption, la gestion de la chose publique… Ils peuvent donc jouer un rôle important pour sortir le pays de l’impasse en apportant leur expertise et leurs connaissances.
Malheureusement, le pouvoir en place ne voit pas les changements politiques proposés par la diaspora d’un bon œil, pour la simple raison que cela risque de nuire à leurs petites affaires. Tout ce qui est bon pour le peuple n’est pas forcément bon pour les dirigeants, surtout lorsque ces derniers sont corrompus et sont devenus maîtres dans l’affairisme et les détournements. Par ailleurs, les Haïtiens de l’étranger sont comme une caisse de résonnance des revendications de leurs compatriotes restés au pays, puisque leurs aspirations et leurs ambitions sont les mêmes. Tous les Haïtiens ne souhaitent en effet qu’une chose, c’est éjecter l’ensemble de la classe politique actuelle qui a perdu toute crédibilité, et réinventer un nouveau système de gouvernance qui soit juste, équitable et durable.
Or, comment les Haïtiens de l’étranger peuvent-ils contribuer à ces changements s’ils ne sont pas eux-mêmes éligibles? Bien que le droit de vote leur ait été accordé en 2011, ils ne peuvent toujours pas prétendre à des postes électifs ni occuper des fonctions gouvernementales sans abandonner la nationalité acquise à l’étranger. Cette inéligibilité des membres de la diaspora limite grandement leur champ d’action, puisque le meilleur moyen de combattre le système corrompu qui nous dirige actuellement, c’est de l’infiltrer pour mieux l’assainir et le nettoyer de toutes ses mauvaises graines.
Des lueurs d’espoir pour les années à venir
L’autre point important à signaler est le manque d’organisation de la diaspora qui malgré sa bonne volonté, vient souvent en aide à Haïti de manière dispersée et désordonnée. Pourtant, une meilleure synergie entre les différentes communautés d’Haïtiens installés à l’étranger ne peut être que bénéfique, permettant de donner encore plus de poids à leurs actions. Car l’homme haïtien est connu pour être généreux et spontané. Jamais il ne fuira ses responsabilités lorsque ses frères et sœurs restés au pays se retrouvent en difficultés comme c’est le cas aujourd’hui.
Heureusement, les choses commencent à bouger dans le bon sens. Les Haïtiens de l’étranger ont compris que l’union faisait la force. Ils sont donc de plus en plus nombreux à se réunir par groupe d’intérêt : Harvard Haïtian Alliance, National Haïtian Student Alliance, etc.. Prenons un exemple concret de l’efficacité de tels rassemblements. Lorsque Martelly voulait récemment donner un concert à Montréal, les associations haïtiennes sur place, notamment Solidarité Québec-Haïti et Maison d’Haïti, ont donné ensemble de la voix pour exiger l’annulation pure et simple du concert. De sorte que les médias n’ont pas tardé à se saisir de l’affaire, mettant une pression supplémentaire sur les autorités locales pour ne pas laisser Martelly se produire sur place.
De même, lorsque les candidats à la présidentielle US ou à la Chambre des Représentants viennent en Floride discuter de l’avenir d’Haïti, ils trouvent devant eux des interlocuteurs motivés, aguerris, mais surtout mieux organisés. La communauté haïtienne n’agit plus en ordre dispersé, mais essaie de plus en plus de parler d’une seule et même voix pour que son lobbying soit plus efficace. Et cela commence à donner des résultats puisque l’administration Biden a fini par changer sa politique vis-à-vis de Moïse et son référendum controversé.
Restent les médias haïtiens établis à l’étranger qui doivent eux aussi contribuer à cet effort collectif et ne pas entrer dans le jeu de ceux qui cherchent à nous diviser. Certains médias continuent par cupidité à véhiculer des idées qui sont contraires aux aspirations des Haïtiens, heureusement, ils ne sont pas nombreux et surtout, on les connaît, on sait ce qu’ils veulent et pour qui ils travaillent. Aujourd’hui, les Haïtiens de la 2e voire la 3e génération vivant à l’étranger prennent la relève et continuent d’une manière ou d’une autre à soutenir le pays de leurs parents et de leurs grands-parents. Car bien qu’ils soient nés et qu’ils aient grandi loin d’Haïti, il est important que nos enfants sachent d’où ils viennent et connaissent leur propre histoire. Comme on dit, oublier ses ancêtres, c’est être un arbre sans racines.
Dessalines Ferdinand
Le Floridien, 15 juin 2021