MIAMI — Chaque année, à l’approche de la saison estivale, une certaine effervescence s’empare des Haïtiens vivant aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. C’est en effet la période des retrouvailles où la diaspora aime à revenir se ressourcer au berceau. Les habitants sur place y trouvent également leur compte, puisqu’ils profitent d’un apport en devises sonnantes et trébuchantes qui aident grandement à faire tourner une économie locale aux abois. Malheureusement, l’insécurité croissante de ces dernières années dissuade de plus en plus les Haïtiens de l’étranger de revenir. Et les effets de ce boycott forcé se font déjà sentir.

Situation sécuritaire catastrophique

Il ne se passe pas un jour sans que l’actualité des faits divers n’annonce la survenue d’un crime crapuleux. La prolifération des armes à feu et le foisonnement des gangs n’ont fait qu’exacerber un climat d’insécurité précaire qui a atteint son paroxysme. Les homicides et les attaques à main armée se multiplient, alors que l’État semble dépassé par la détérioration de la situation sécuritaire.

Certains crimes commis dernièrement ont d’ailleurs défrayé la chronique et choqué l’opinion publique. On se souvient tous de l’assassinat sordide aux Gonaïves de l’homme d’affaires Philippe Jean (Pipo 6) qui a ému toute une communauté, ou encore du meurtre en plein jour de l’ingénieur Antoine Alix Gaillard, également professeur universitaire, qui a eu le malheur de se retrouver sur la route de l’aéroport face à 5 brigands sans pitié. Ces derniers n’ont pas hésité à abattre Antoine de sang froid pour lui soutirer l’argent qu’il venait de récupérer à la banque, et qu’il comptait utiliser pour financer un petit voyage en famille à l’étranger.

Les dernières victimes en date de l’insécurité en Haïti sont: l’inspecteur de police Alix Jean René, qui dénonçait l’armement des jeunes du quartier de Juvénat (Pétion-Ville), criblé de plus d’une dizaine de projectiles au moment où il effectuait dimanche dernier (26 mai) un achat à la station de service de Sainte-Thérèse, et l’avocat Ramus Sainvil, aussi ancien colonel des Forces armées d’Haïti, abattu par deux bandits armés circulant à moto à Pétion-Ville la matinée du jeudi 30 mai 2019.

Les Philippe Jean, les Antoine, les Alix, les Ramus il y’en a malheureusement des milliers sur le territoire. Pis, les malfrats ne semblent reculer devant rien et osent même s’attaquer aux symboles de l’État. Dernièrement, c’est le tribunal de première instance de Port-au-Prince qui a été “visité” par des cambrioleurs qui se sont servis comme à la maison en emportant avec eux des armes à feu. On ne compte plus aussi les attaques contre les commissariats, où les gangs aspirent à s’approvisionner en armes comme s’ils étaient dans un supermarché afin de les utiliser dans leurs méfaits futurs.

Personne n’est épargné par cette vague de violence. Les tueurs qui arpentent nos rues ne font aucune distinction entre les vieux et les jeunes, le civil et le policier, l’homme et la femme. Dernièrement, les étudiants de différentes universités de Port-au-Prince ont défilé pour exprimer leur colère suite au viol de 2 étudiantes par un groupe d’individus armés. La population est indignée par l’inaction des forces de l’ordre, mais aussi par la mollesse de la justice qui devrait donner des peines dissuasives exemplaires.

La diaspora hésite à visiter la mère patrie cet été

Face à cette montée sans précédent de la violence au pays, les membres de la diaspora haïtienne commencent à montrer des signes d’inquiétude. Beaucoup de compatriotes vivant à l’étranger ont dû revoir leurs plans en voyant que la situation sécuritaire ne s’améliorait pas. Ils sont conscients que leur pouvoir d’achat plus élevé va attiser la convoitise des malfrats qui n’hésitent plus à ôter une vie pour mettre la main sur quelques dollars.

Si les émigrés haïtiens délaissent Haïti pour d’autres destinations, cela risque d’avoir de lourdes conséquences sur l’économie locale. Les premières victimes collatérales sont les commerçants qui profitent de la période estivale pour retrouver un peu le sourire après une année morose. Toute une partie de l’économie haïtienne est dépendante de l’apport de la diaspora durant la saison estivale. Que ça soit dans les hôtels, les restaurants, les grandes et petites enseignes ou encore chez les loueurs de voitures, les Haïtiens de l’étranger viennent pour dépenser, ce qui fait tourner les affaires de bon nombre de commerçants.

Il est regrettable de priver un pan entier de l’économie haïtienne de cette manne financière qui soulage aussi bien la population locale que les caisses de l’État. Certains chiffres sont sans équivoque. Chaque année, la diaspora injecte 2,7 milliards dans l’économie du pays, avec à la clé la création de dizaines de milliers d’emplois, qu’ils soient permanents ou saisonniers.

Que fait le gouvernement pour améliorer la situation ?

Le gouvernement, et dans une moindre mesure la police nationale haïtienne (PNH), ont du pain sur la planche s’ils veulent redonner confiance à la diaspora ainsi qu’aux touristes. L’image de carte postale d’un pays où il fait bon vivre avec des paysages à couper le souffle ne cadre plus avec la réalité sur le terrain. De plus en plus de compatriotes qui se sont rendus dernièrement en Haïti disent avoir ressenti un climat pesant. Il faut être constamment sur ses gardes dès qu’on met les pieds dehors, puisqu’on n’est jamais à l’abri d’une mauvaise rencontre qui peut rapidement virer au drame.

Le gouvernement est conscient de la situation, mais ne semble pas être en mesure pour le moment d’endiguer ce fléau. Or, le temps presse, car si la confiance met beaucoup de temps à s’installer, il suffit d’un rien pour la perdre à nouveau. Les gros titres des journaux sont là pour nous rappeler chaque jour que la situation continue de se détériorer jour après jour. Il est primordial que les pouvoirs publics reprennent les choses en main avant qu’il ne soit trop tard. La saison estivale 2019 semble déjà mal engagée et risque bien d’être encore plus décevante que l’année précédente. Beaucoup sont les Haïtiens de l’étranger qui ont décidé de changer de destination et d’aller passer leurs vacances ailleurs.

Ce qui inquiète davantage les observateurs, c’est le fait que des incompétents notoires ont été reconduits dans des postes stratégiques, notamment au ministère de l’Intérieur et de la Justice. Le secrétaire à la sécurité publique Ronsard Saint-Cyr semble quant à lui disposer de moyens dérisoires pour pouvoir changer la donne sur le court terme. Ce n’est pas avec des discours qu’on pourra faire peur à des brigands qui n’hésitent pas à s’attaquer à des commissariats et des tribunaux. Si rien n’est fait aujourd’hui, il est à craindre que l’ensemble du pays soit pris en otage par le grand banditisme.

Le Floridien, 30 mai 2019

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