Avec les crises récurrentes que connaît Haïti depuis plusieurs décennies, force est de constater que la vie n’a pas toujours été facile pour sa population. D’ailleurs chez nous, le mot “crise” se conjugue à presque tous les secteurs : crise économique, crise politique, crise sociale, crise environnementale, crise sanitaire… Comme si le Bon Dieu voulait tester l’endurance de ce peuple vaillant et courageux. Beaucoup de nos compatriotes, ne voyant aucune perspective à moyen ou court terme, ont préféré faire leurs valises afin d’assurer un meilleur avenir à leurs enfants et à leurs proches. La diaspora haïtienne à l’étranger compte aujourd’hui plus ou moins 2 millions de personnes. La grande majorité est basée aux États-Unis (950.000), en République dominicaine (650.000), à Cuba (300.000) et au Canada (200.000). D’autres ont élu domicile au Brésil, au Chili, aux Bahamas ou encore en France, chaque vague d’immigration ayant connu des fortunes diverses. Si les immigrés de la première génération étaient pour la plupart bien formés (médecins, ingénieurs, enseignants) et ont pu s’intégrer assez facilement dans leur nouveau pays d’accueil, il n’en va pas de même pour les immigrés des 2 dernières décennies. Livrés à eux-mêmes, la plupart étaient mal armés pour bâtir une nouvelle vie prospère dans leur pays de résidence.
Lorsqu’on débarque dans un pays dont on ignore la langue, la culture, le climat et l’histoire, il n’est pas toujours facile d’y faire son nid. L’expérience de la communauté haïtienne au Chili constitue un exemple criant à plusieurs égards. Dès le départ, beaucoup ont été dupés par des passeurs haïtiens sans scrupules qui leur ont promis monts et merveilles contre de l’argent (on parle d’un montant de 2000 $ par personne). Une fois sur place, c’est une autre réalité à laquelle ils ont dû faire face. Dès les premiers jours, ils ont vite déchanté en voyant ce qui les attendait. Pas de travail, pas de logement, ni soutien d’aucune sorte. Plusieurs ont dû dormir à la belle étoile, les femmes ont été harcelées (on répertorie même des cas de viols) ou exploitées par des patrons crapuleux. On ne saurait blâmer l’ambassade d’Haïti sur place qui ne dispose pas de budget suffisant pour faire face à ce genre de situation qu’on pourrait qualifier de crise humanitaire.
Face au désespoir de milliers de clandestins, un plan de rapatriement a été élaboré par le gouvernement chilien pour faciliter le retour de ceux qui désirent rentrer au pays. Le GARR, Groupe d’Appui aux Rapatriés et Réfugiés, approuve cette initiative et pense que cela va permettre à un grand nombre de nos concitoyens de sortir de cette mauvaise passe. Les associations humanitaires quant à elles sont montées au créneau pour dénoncer une forme de déportation déguisée. Selon elles, le Chili, pays qui a besoin de main d’œuvre, aurait très bien pu assouplir sa politique migratoire envers ces nouveaux venus, comme l’Allemagne de Merkel l’a fait avec les Syriens. Mais là encore, on ne saurait critiquer la décision d’un pays souverain qui après tout, a le droit d’appliquer les mesures qu’il juge les plus appropriées pour ses citoyens. On ne pourrait en dire autant pour le gouvernement haïtien qui une fois encore, a brillé par son absence. Depuis le début de cette crise, aucun responsable de haut rang n’a daigné s’exprimer sur la situation précaire que vivent nos compatriotes dans ce lointain pays d’Amérique latine. Et ce d’autant plus qu’avec l’élection récente du Président populiste Bolsonaro au Brésil, notoirement connu pour ses positions anti-migratoires et discriminatoires envers les minorités, l’étau va se resserrer un peu plus sur les Haïtiens qui envisageaient le Brésil comme plan B.
Les Haïtiens qui se trouvent dans une situation irrégulière au Chili sont donc confrontés à un choix cornélien. Rester sur place et continuer à souffrir des brimades et autres arrestations arbitraires, avec en toile de fond un manque de visibilité sur leur avenir, ou revenir au pays, même si pour certains cela pourrait avoir un amer goût d’échec. La majorité semble cependant opter pour la seconde solution, car la dignité de l’haïtien n’est pas négociable, quitte à traverser des moments difficiles une fois de retour au pays. Par contre, le gouvernement haïtien lui ne semble avoir aucune dignité ni amour-propre. Il ne fait rien pour défendre les intérêts des enfants du pays qui errent d’un pays à l’autre à la recherche d’une vie meilleure. Et une fois que ces émigrés infortunés décident de rentrer au pays, de gré ou de force, aucune mesure d’accompagnement ou de réintégration ne leur est proposée.
Le solde migratoire en Haïti est négatif depuis des décennies. Le dernier recensement publié par les Nations-Unies en 2015 montre que l’équivalent de 0.4% de la population en Haïti est constitué d’immigrés, pendant que 11.2% des Haïtiens vivent eux à l’extérieur. Lorsque viendra le jour où nos décideurs comprendront enfin que la principale richesse de notre pays c’est sa jeunesse, il sera peut-être déjà trop tard.
LE FLORIDIEN, 29 octobre 2018