Le 8 mars de chaque année, le monde entier célèbre la Journée internationale de la Femme. Et chaque année, le constat est toujours le même, l’écart entre les femmes et les hommes ne se résorbe pas. Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour que la femme retrouve toute sa place dans nos sociétés. Et cela vaut pour tous les pays, qu’ils soient développés ou non. Haïti n’échappe malheureusement pas à ce phénomène. La crise socio-politique et économique que traverse notre pays en ce moment n’a fait qu’accentuer les inégalités hommes-femmes qui étaient déjà criantes. Le futur référendum, s’il est adopté, entend corriger cela au niveau des textes, mais il reste encore tant à faire au niveau des mentalités!
Le travail de la femme non reconnu à sa juste valeur
Beaucoup l’oublient, mais la femme haïtienne, c’est aussi notre maman, notre sœur, notre fille, notre femme. On lui donne beaucoup d’amour, mais cet amour ne se traduit pas malheureusement dans son quotidien par une amélioration de ses conditions de vie, que ça soit sur le plan personnel ou professionnel. Les femmes haïtiennes ont le bilan le 8 mars dernier pour voir si des progrès ont été réalisés en ce qui concerne leurs droits. Et le moindre que l’on puisse dire est que la femme haïtienne reste encore marginalisée à bien des égards. Quelques timides avancées ont certes été enregistrées, mais cela est largement insuffisant pour pouvoir dire que la femme haïtienne bénéficie des mêmes droits que les hommes.
La femme haïtienne continue à être confrontée à des défis et des obstacles majeurs. Une grande partie des femmes haïtiennes se voient souvent refuser le droit à l’éducation ou à l’emploi, sans parler des opportunités limitées dans d’autres secteurs comme le commerce, l’industrie ou encore la politique. Au niveau de la pauvreté également, les écarts entre les hommes et les femmes dans notre pays sont abyssaux. Cela résulte directement du fait que la femme haïtienne est constamment maintenue en bas la hiérarchie sociale, avec un accès limité à la terre pour la cultiver, au crédit pour monter un projet, ou encore à la formation.
Avec le séisme de 2010, les épidémies de choléra et du Covid-19, ainsi que l’explosion de la violence dans notre pays, la situation de la femme en Haïti a fortement régressé. Plus concrètement, cela veut par exemple dire que pour un même travail effectué, la femme sera beaucoup moins rémunérée que l’homme.
La femme haïtienne est l’épine dorsale de l’économie locale
Un chiffre qui ne trompe pas, on estime que près de la moitié des ménages en Haïti sont dirigées par des femmes. Cela montre la détermination et le courage de la femme haïtienne qui brave les défis pour nourrir sa famille au quotidien. C’est la raison pour laquelle la femme haïtienne est considérée comme un des piliers de l’économie locale. La majorité des vendeurs dans la rue sont des femmes, sans oublier le soutien qu’elles apportent aux chaînes d’approvisionnement agricoles. Et malgré cela, la femme haïtienne ne reçoit aucune reconnaissance de notre société, et encore moins de nos dirigeants. Pire, c’est la première à subir des violences sexistes sous différentes formes.
Ainsi, un rapport de l’USAID estime que presque 30% des femmes en Haïti ont été violentées à un moment donné de leur vie. Cela sans parler des violences domestiques qui passent souvent sous silence, surtout que la femme haïtienne bénéficie d’une protection judiciaire moindre que les hommes. Autre chiffre marquant, les femmes en Haïti ont 20% plus de chance d’être au chômage que les hommes selon un rapport de la Banque mondiale. Cela sans parler des mères de famille célibataires qui sont particulièrement vulnérables et qui sont plus confrontées à la précarité. Et lorsque la femme haïtienne arrive à subvenir à ses besoins, cela se fait principalement dans le secteur informel, sans salaire fixe ni protection sociale.
Beaucoup reste à faire pour alléger le fardeau qui pèse sur la femme haïtienne et qui ne mérite pas de subir de telles injustices au quotidien, alors qu’elle représente 50% de la population. Et c’est là justement que le gouvernement doit jouer son rôle et faire bouger les choses. Redonner à la femme haïtienne sa place dans notre société ne peut être que salutaire pour notre pays.
La nouvelle constitution saura-t-elle réparer le tort causé à la femme haïtienne?
Avec le nouveau référendum proposé par Jovenel Moïse, et qui veut faire de l’amélioration du statut de la femme en Haïti une de ses priorités, les choses pourraient évoluer positivement durant les prochaines années. Nous avons consulté le projet de constitution soumis par le Comité Consultatif Indépendant (CNI), et en effet, la femme y occupe une place de choix. Tout d’abord, il est prévu d’assurer aux femmes une représentation dans les instances de pouvoir et de décision qui soit conforme à l’égalité des sexes. Étant donné que la nouvelle constitution prévoit la mobilisation de l’ensemble des ressources humaines, financières et matérielles pour impulser le développement national, il est prévu d’accorder aux femmes, mais aussi aux jeunes, une plus large place dans les fonctions politico-administratives.
Sur le plan politique, les partis politiques seront eux aussi mis à contribution, puisque la nouvelle constitution les encourage, à défaut de pouvoir les obliger, à désigner plus de femmes à des postes électifs. La nouvelle constitution promet également de donner les outils nécessaires à l’État pour prévenir et sanctionner les violences à l’égard des femmes. Ainsi, il est prévu que l’Office de la protection du citoyen accorde dorénavant une attention spéciale aux plaintes déposées par les femmes qui font face à des discriminations ou à des agressions au travail.
Bien entendu, tout cela semble beau sur le papier, mais il reste encore des obstacles à franchir, et ils sont de taille. Tout d’abord, pour que la nouvelle constitution devienne réalité, il faut que le peuple haïtien se déplace en masse vers les urnes. Autrement, toutes ces nouvelles mesures proposées resteront vaines. Ensuite, si elle est votée, la nouvelle constitution devra être appliquée. Nous savons tous à quel point nos dirigeants piétinent souvent les textes en vigueur quand cela ne va pas dans le sens de leurs intérêts. Il n’y a qu’à voir le cafouillage que nous vivons actuellement quant à la durée du mandat présidentiel, chacun interprétant les textes à sa manière. Puis enfin, et c’est le plus important, notre pays a besoin d’un changement de mentalités. Chaque haïtien doit comprendre que la femme haïtienne a autant à offrir à notre pays que les hommes, il faut juste lui en donner les moyens et l’encourager au lieu de l’entraver dans son parcours.
Photo Igor Rugwiza – UN/MINUSTAH
Dessalines Ferdinand
Le Floridien, 15 Mars 2021