Drôle d’ambiance ces derniers jours au sein de la Fédération haïtienne de Football, après que la FIFA se soit prononcée sur le cas de son président, Mr Yves Jean-Bart, qui a été condamné par l’instance dirigeante du football mondial à un bannissement à vie, en plus de lui infliger une amende de plus de 1.000.000$ à payer. L’ex-omnipotent Président de la FHF, indéboulonnable pendant 20 ans, a réagi avec véhémence à cette condamnation qu’il considère comme injuste et sans fondement. Il envisage d’ailleurs de faire appel auprès du Tribunal Arbitral du Sport, le TAS.

Il faut dire que la condamnation de la FIFA est à la hauteur des faits reprochés à Mr Jean-Bart. Celui-ci est en effet accusé d’avoir contraint plusieurs filles, dont certaines étaient encore mineures, à avoir des relations sexuelles avec lui. Les filles en question évoluaient au sein du Centre Technique national de Croix-des-Bouquets. Lorsque le scandale a éclaté au mois de mai suite à la publication d’une enquête menée par le journal britannique Le Guardian, la Fifa avait immédiatement réagi en suspendant le Président de la FHF de son poste pour une durée de 3 mois (90 jours). Cette suspension a été renouvelée au moins d’août pour 3 mois supplémentaires, le comité d’éthique ayant demandé plus de temps pour pouvoir mener à bien son enquête.

Alors que la deuxième suspension était sur le point d’arriver à échéance, et que Mr Jean-Bart commençait à entretenir l’espoir de revenir sur le devant de la scène du football haïtien, la condamnation de la FIFA est tombée comme un couperet. Suite à ce jugement qui met fin à des mois d’incertitude, la Fifpro, la fédération internationale de joueurs professionnels, a salué cette décision qui rend justice aux braves joueuses qui ont dû prendre leur courage à deux mains pour témoigner contre leur tout-puissant Président. D’ailleurs, cette enquête ne se limite pas à Mr Jean-Bart puisqu’on soupçonne que d’autres personnes soient impliquées elles aussi dans ces abus qui ont duré entre 2014 et 2020.

Mais que pense le principal intéressé de tout cela? Pour lui, toute cette affaire n’est qu’une machination contre sa personne. Il en veut particulièrement à la FIFA qui, selon ses dires, s’est précipitée de l’accuser pour éviter toute mauvaise presse et faire oublier les scandales qui l’ont secouée ces dernières années. Il en veut pour preuve, la justice haïtienne l’a entre temps blanchi de toutes les accusations qu’on lui reproche. Pour Mr Jean-Bart, la FIFA n’a pas examiné les preuves réelles. Mais comme on dit souvent, il n’y a jamais de fumée sans feu. Ni la FIFA ni les jeunes filles victimes d’agressions sexuelles n’ont intérêt à créer de toute pièce un tel scandale. À quelle fin? Pour gagner quoi? Au contraire, personne ne sort indemne d’une telle affaire, ni les victimes, ni la FIFA, ni bien entendu, le principal coupable.

L’autre grande déception, même si on s’y attendait d’une certaine façon, c’est l’incompétence que vient d’afficher une fois de plus le système judiciaire haïtien. Au lieu de mener une enquête rigoureuse et indépendante, les juges haïtiens se sont empressés de disculper Mr Jean-Bart. Cette légèreté avec laquelle les investigations ont été conduites laisse à penser que Jean-Bart possède indéniablement des moyens de pression sur les juges. L’ambassade des États-Unis en Haïti ne s’y est pas trompée en publiant un post sur Twitter où elle regrette que l’enquête du gouvernement haïtien n’ait pas abouti à des accusations. D’une certaine façon, la diplomatie estime que les faits reprochés à Mr Jean-Bart sont difficilement défendables.

Tout le monde donc semble certain de la culpabilité de Mr Jean-Bart, sauf la justice haïtienne. Cela montre une fois de plus que nos gouvernants accordent plus d’importance à la parole des gens puissants qu’à celle d’innocentes victimes, dont certaines n’ont même pas atteint l’âge adulte. Le cas de Mr Jean-Bart n’est pas singulier. En Haïti, les Jean-Bart, on en rencontre partout. Notre justice vient d’afficher une fois de plus sa complète méprise pour les personnes les plus vulnérables. Dans cette affaire, elle a perdu le peu de crédibilité qui lui restait. Il est en effet inconcevable qu’elle acquitte totalement l’ancien président de la fédération haïtienne de football alors que plusieurs indices probants orientent vers sa culpabilité. Le non-lieu prononcé en faveur de Jean-Bart fait suite à l’absence de témoignes des victimes qui ne se sont pas manifestées publiquement. Or on sait tous que beaucoup d’entre elles ont été menacées de mort au début de l’enquête et qu’elles ont subi d’énormes pressions pour qu’elles ne témoignent pas contre l’ancien homme fort du football haïtien.

Dans tous les cas, aussi bien la FIFA que Fifpro n’entendent baisser les bras et envisagent de traquer et juger tous les coupables. D’après Jonas Baer-Hoffmann, secrétaire général de la Fifpro, la condamnation de Jean-Bart n’est que le début. Toutes les autres personnes responsables d’abus seront tenues de rendre des comptes. Affaire à suivre donc..

Stéphane Boudin

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