À Jacmel, se tient entre le 9 et le 13 janvier 2019 le festival cinématographique ‘’les lumières du sud’’. Le peu de couvertures médiatiques autour de cet événement culturel montre à quel point le 7ème art est négligé par toute une nation. Pourtant, ce désintérêt ne date pas d’hier. Le massacre a commencé durant l’ère des Duvaliers. À cette époque, la censure battait déjà son plein de peur que des films subversifs ne viennent troubler l’ordre établi en distillant des idées dissidentes. C’est ainsi que nous avons tous grandi en regardant principalement des films d’arts martiaux ou Western. Les autres productions étrangères étaient soumises quant à elle à des censures très strictes pour éviter tout débordement dans la pensée unique.
La production nationale n’était pas mieux lotie puisqu’elle ne bénéficiait d’aucun support étatique. Ainsi, en 28 ans, Haïti n’a produit que 3 longs métrages. Autant dire que la dictature a commis un véritable génocide culturel en condamnant le cinéma haïtien au silence.
À la fin de la dictature, on aurait pu espérer une amélioration, mais il n’en a rien été. Il n’existe pas de budget pour aider la filière, aucune école de cinéma, ni même une législation pour encadrer l’activité de potentiels réalisateurs. On ne peut que constater à quel point le champ est vierge puisque tout reste à construire. De plus, avec un déficit financier et matériel criant, il est normal que la création soit elle aussi en panne. Et vu l’empressement avec lequel nos gouvernements s’activent pour stimuler l’activité cinématographique, on est en droit d’être pessimiste pour le futur.
Les seules initiatives constatées ici et là viennent du secteur privé, plus particulièrement de la diaspora qui s’active autant qu’elle peut pour garder une lueur d’espoir. Les réalisateurs haïtiens vivant à l’étranger ont depuis toujours été entreprenants pour proposer une filmographie militante et engagée de qualité, qui puisse parler au peuple haïtien et décrire son quotidien. Que ça soit les Arnold Antonin, Paul Arcelin ou Raoul Peck, tous ont apporté une contribution artistique majeure pour maintenir vivace une industrie du cinéma inexistante.
Qui dit cinéma dit aussi salles de cinéma, et là aussi, le tableau est plutôt sombre. Leur nombre n’a cessé de diminuer au fil des années jusqu’à ce qu’on arrive à une seule salle de cinéma pour tout le pays. En 2009, cette dernière a fini par mettre les clés sous le paillasson en raison de la concurrence déloyale du piratage. En effet, avant qu’une affiche ne sorte en salle, elle était déjà piratée et regardée par la majorité des spectateurs des mois auparavant. Les établissements de projections ne pouvaient rivaliser face aux DVD et DIVX qui inondaient le marché à des prix défiant toute concurrence. Le tremblement de terre en 2010 n’a pas arrangé les choses et a fini par achever tout espoir de renaissance. En effet, les autorités (mais aussi la population, il faut l’avouer) estimaient que le cinéma était le cadet de leurs soucis dans une période de crise humanitaire majeure.
Nous voilà donc en 2019, à Jacmel, où sous la supervision de la réalisatrice Guetty Felin, un petit festival est en train de naître en espérant réconcilier le public haïtien avec le 7ème art. Cette initiative de Mme Guetty est fort louable et doit être encouragée avec véhémence, aussi bien par les pouvoirs publics que par la population. Cette dernière a d’ailleurs répondu présente, à tel point que certains ont du visionner les films proposés debout.
En effet cette année, le cinéma africain était à l’honneur. Les spectateurs ont ainsi pu regarder des longs métrages provenant de différents pays comme le Mali, Madagascar ou encore la Zambie. Le grand réalisateur malien Souleymane Cissé était d’ailleurs un des invités de marque de l’événement. Il n’a pas manqué de faire un parallèle entre Haïti et son pays natal, soulignant que le Mali aussi est revenu de loin pour reconstruire son industrie cinématographique. Aujourd’hui, ce pays du Sahel peut s’enorgueillir d’avoir des réalisateurs de renom sur le plan continental, voire mondial, malgré le peu de moyens dont ils disposent, mais qui sont utilisés de manière judicieuse.
À la belle étoile, le public de Jacmel a donc pu renouer avec le monde du cinéma et vivre la magie que procure le grand écran. Ce festival a pour but principal de stimuler l’appétence pour cette discipline longtemps négligée, en étanchant notamment la soif d’un public avide de découvertes et d’évasion. Qui sait, peut-être que parmi les spectateurs présents durant les projections se cache un futur réalisateur de talent ! Ce festival entend également devenir un lieu de rencontres et de partage, afin que les locaux puissent échanger et nouer des contacts avec des producteurs, des acteurs et des réalisateurs originaires de différents pays. Cela permettra ainsi aux haïtiens de se familiariser un peu plus avec un milieu qui leur est totalement étranger.
Beaucoup sont encore convaincus que le cinéma n’a rien à apporter au développement d’un pays. Pour eux, le cinéma ne nourrit pas le peuple. Or c’est une grosse erreur que d’avoir ce genre de pensées, car si le 7ème art ne nourrit pas physiquement, il nourrit culturellement, spirituellement et moralement. Alors, projetons-nous vers l’avant et “arrêtons de faire notre cinéma”, au sens figuré cette fois-ci.
Amandine Dubourg
pour LE FLORIDIEN