En début d’année, Jovenel Moïse avait promis que 2021 allait être l’année du changement. Que les Haïtiens allaient connaître une nouvelle ère politique, mais aussi économique et sociale. Il est tout de même curieux que Moïse propose ces changements seulement à la fin de son mandat et non au début. Mais passons! 6 mois après, et sans surprise puisqu’on commence à connaître par cœur le personnage, toutes ces promesses n’ont pas été tenues. Les théories complotistes diront que Moïse ne cherchait en fait qu’une nouvelle façon d’étendre son mandat d’un an supplémentaire, soit jusqu’au 7 février 2022, bien que cela fût considéré comme illégal par la majorité de la population. Le temps ainsi gagné devait lui permettre d’assurer sa succession pour que son clan politique puisse continuer à faire main basse sur le pays. D’une certaine manière, il propose du changement.. dans la continuité. Et pour cela, quoi de mieux que de modifier la constitution à travers l’organisation d’un référendum, afin de donner à son régime un visage plus présentable, surtout sur le plan international.

Mais vu l’état de décrépitude avancée dans lequel se trouve Haïti aujourd’hui, on est en droit de se demander si on a encore besoin d’un gouvernement dans ce pays, puisque de toute façon, les hôpitaux ne fonctionnent pas, la police n’assure plus la sécurité des citoyens, l’éducation est aux abonnés absents, l’économie est complètement à terre, les tribunaux corrompus n’ont plus aucune intégrité et doivent eux-mêmes être jugés, les prisons sont devenues de vraies passoires où les criminels entrent et sortent à l’heure qu’ils veulent, sans parler du parlement qui a cessé toute activité depuis plus d’un an. Alors, à quoi sert ce gouvernement au juste ? Cela fait des mois qu’Haïti fonctionne en pilotage automatique. Chacun se débrouille comme il peut pour survivre et sauver sa peau. Ce qui est sûr, c’est que personne ne compte sur le gouvernement pour quoi que ce soit.

Jovenel Moïse n’est pas responsable à lui tout seul de la situation exécrable dans laquelle se trouve notre pays aujourd’hui. Il n’a fait que perpétuer un système de mal gouvernance déjà en place et qui gangrène l’ensemble de notre classe politique. Or, on voit mal comment ce système peut disparaître du jour au lendemain étant donné qu’il nourrit la classe dominante au détriment du reste de la population. La corrosion de la bonne gouvernance combinée à une démocratie défaillante n’a fait qu’alimenter les frustrations du peuple qui aspire à des changements réels. Les Haïtiens en ont assez des discours fantasmagoriques sans lendemain. Même les alliés traditionnels de notre pays ne cautionnent plus les ‘’folies’’ de nos dirigeants qui ont complètement perdu le contact avec la réalité. Preuve en est, le référendum voulu par Jovenel Moïse n’est pas soutenu par l’administration américaine actuelle, celle-ci y voyant une enfreinte aux règles constitutionnelles de base. En effet, si chaque nouveau président se mettait à changer la constitution comme bon lui semble, cela nuirait grandement à la stabilité de notre pays. Or, ce raisonnement ne semble pas être encore bien assimilé par notre Président qui persiste et signe dans sa volonté à organiser ‘son’ référendum. Et même là, il a été dans l’incapacité de tenir sa promesse, repoussant par deux fois la date du référendum pour des raisons difficilement défendables.

Aujourd’hui, les Haïtiens subissent au quotidien l’incompétence (le mot est faible) de leurs dirigeants. Où sont les routes promises? Est-il normal qu’en 2021, seulement 40% de la population soit raccordée au réseau électrique? Et même ceux qui sont raccordés n’ont pas l’assurance d’avoir le courant tous les jours, surtout si le gouvernement a oublié de payer les fournisseurs de fioul, ou que les gangs coupent les câbles électriques. Est-il normal qu’en 2021, seulement la moitié de la population ait accès à l’eau potable? Ne parlons même pas de l’assainissement défaillant qui a grandement favorisé la propagation du choléra par le passé.

On en est au point où chaque fois qu’un projet de développement est inauguré par notre gouvernement, c’est souvent grâce au financement d’un pays ami ou d’une organisation internationale. Cela fait une éternité que l’État haïtien ne gère plus les grands projets structurants par lui-même. Il n’en a tout simplement pas les capacités techniques, et encore moins les capacités financières. D’ailleurs, les bailleurs de fonds étrangers mettent un point d’honneur à suivre à la loupe leur argent, car ils savent qu’au moindre clignement des yeux, nos dirigeants ont acquis une grande expertise dans les détournements. C’est d’ailleurs la seule activité dans laquelle nos dirigeants excellent et où ils concentrent toute leur “intelligence”. C’est malheureux, mais c’est ainsi.

Lorsqu’un citoyen haïtien tombe gravement malade, son premier réflexe n’est pas d’aller à l’hôpital, mais de prier le Bon Dieu pour lui venir en aide. Car un hôpital qui manque de gants, de compresses, de seringues et d’oxygène n’est pas un hôpital, mais un mouroir. D’ailleurs, si par malheureux vous souffrez d’une appendicite ou de n’importe quelle affection qui nécessite un passage au bloc opératoire, le personnel soignant ne manquera pas d’envoyer vos proches pour aller acheter le matériel chirurgical nécessaire pendant que vous agonisez dans le couloir de l’hôpital. On en est là! Un autre exemple qui prouve l’incompétence combinée à l’indifférence de notre gouvernement concerne sa gestion du Covid-19. Notre pays a été miraculeusement épargné par le Covid-19 pendant presque 1 an. Cela a laissé suffisamment de temps au gouvernement pour se préparer. Mais il n’a absolument rien fait. Pire, lorsque l’OMS est venue lui fournir les vaccins anti-covid, nos dirigeants ont eu la clairvoyance de les refuser. Maintenant que la situation sanitaire commence à se compliquer sérieusement, le régime de Moïse court dans tous les sens pour trouver des doses devenues rares. Une véritable tragi-comédie.

Aujourd’hui, les Haïtiens ont en réalité besoin de deux vaccins : un contre le Covid-19, et l’autre contre les dirigeants qui les gouvernent. Mais pour ces derniers, même les plus grands et les meilleurs laboratoires au monde auront du mal à trouver un jour la bonne formule pour éliminer le virus de la corruption qui sévit dans notre pays, sachant que le variant haïtien de ce virus est l’un des plus dangereux qui soit à l’échelle planétaire.

Stéphane Boudin

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