Disons-le clairement. Même si on chérit notre mère patrie Haïti plus que tout, en ce moment, il ne fait pas bon y vivre. Avec l’insécurité devenue insupportable, la crise politique qui perdure et une économie moribonde, beaucoup de nos concitoyens préfèrent braver les dangers pour tenter leur chance ailleurs plutôt que de mourir à petit feu sur place. La destination favorite? Les États-Unis et le Canada. Mais pour y arriver, il faut passer par de multiples épreuves en mettant en jeu votre vie.
Bateaux clandestins Vs. avion
Les familles haïtiennes qui cherchent un avenir meilleur n’ont pas beaucoup de choix pour quitter le territoire insulaire sur lequel elles se trouvent. Ce sera soit un bateau clandestin, soit l’avion, sauf à opter pour la République dominicaine qui reste le seul pays accessible par voie terrestre. Dans tous les cas, les candidats à l’immigration doivent dépenser des sommes importantes pour espérer quitter le territoire national devenu invivable. Ceux qui optent pour le bateau confient leur vie à des passeurs qui sont souvent loin d’être honnêtes.
Ces derniers peuvent en effet les faire débarquer dans une destination qui n’était pas celle prévue au départ, ou carrément les abandonner sur île déserte comme c’est déjà arrivé à de multiples reprises.
Dans la majorité des cas, les boat people comme on les appelle ont pour destination privilégiée les côtes de la Floride, bien que celles-ci soient de mieux en mieux gardées par la garde côtière américaine. Le deuxième choix d’immigration reste les Antilles françaises, à savoir la Martinique et la Guadeloupe. Dans ce cas de figure, beaucoup préfèrent prendre un chemin un peu plus long, mais jugé plus sûr. À savoir, se rendre à Saint-Domingue, puis aller à Dominique par avion, avant d’embarquer dans un bateau de pêcheur motorisé qui les déposera sur une plage isolée. Et même là, les choses ne se passent malheureusement pas toujours comme prévu. Il suffit que les aléas de la météo s’en mêlent avec une mer déchaînée pour contrecarrer les plans, voir précipiter les pauvres migrants vers une mort prématurée, alors que l’écrasante majorité est dans la force de l’âge.
L’autre alternative qui s’offre aux candidats à l’immigration illégale est un passage via l’Amérique du Sud. L’avantage de cette alternative, si on peut appeler ça un avantage, est qu’il réduit les risques de naufrage puisque les migrants prennent l’avion pour se rendre dans un pays de transit, avant de continuer leur périple en remontant tout le continent jusqu’à atteindre la frontière du Rio Grande entre le Mexique et les États-Unis.
Une traversée panaméricaine dangereuse et périlleuse
Les Haïtiens qui choisissent la deuxième option doivent là aussi payer des sommes conséquentes à des mafias bien rodées qui s’occupent de les transporter. Tout d’abord, les migrants haïtiens passent par les rares pays où il n’est pas nécessaire d’obtenir un visa, ou qui délivrent les visas assez facilement. Actuellement, seuls deux pays laissent encore leurs frontières ouvertes : la Bolivie qui délivre un visa à l’arrivée, ainsi que le Surinam. En effet, les autres nations ont à tour de rôle imposé un visa d’entrée aux Haïtiens afin d’empêcher des flux devenus de plus en plus importants. C’est notamment le cas de l’Équateur ou encore du Chili qui ont durci leurs conditions d’entrée.
D’ailleurs, même le Suriname risque de choisir cette option après les protestations de la France qui a vu un déferlement sans précédent de migrants haïtiens vers la Guyane française en plein Covid-19, alors que les liaisons aériennes étaient censées être fermées. Cela montre que les mafias qui font du trafic d’êtres humains ne connaissent pas le repos et travaillent toute l’année, Covid ou pas.
Une fois que les Haïtiens, qui voyagent souvent en famille, atteignent le sol du continent sud-américain, ils se séparent en deux groupes. Certains décident de se diriger vers la Guyane française pour demander l’asile politique, sachant que dans cette contrée qui fait partie des départements d’outre-mer français (DOM-TOM), on comptabilise déjà pas moins de 150.000 personnes originaires d’Haïti. D’autres choisissent de s’installer temporairement dans un pays à l’économie florissante comme le Chili ou la Colombie en attendant des jours meilleurs pour effectuer le grand voyage vers les États-Unis. Beaucoup ont donc pensé que l’élection de Biden constituait une opportunité à saisir pour tenter leur chance et enfin vivre le rêve américain. Mais Biden avait d’autres plans pour eux!
Un long parcours qui mène parfois à… la case départ
Pleins d’espoir, beaucoup de migrants haïtiens ont donc décidé d’entamer une longue marche vers les États-Unis. Ce voyage périlleux se fait souvent en groupe pour minimiser les risques et mieux contrer les nombreux dangers auxquels ils doivent faire face. À commencer par l’obstacle géographique, notamment la célèbre jungle tropicale de Darien où pullulent les serpents et autres reptiles venimeux, mais aussi des rebelles armés qui n’hésitent pas à dépouiller et à maltraiter des migrants sans défense.
Il faut aussi négocier avec les passeurs pour traverser les différentes frontières, que ce soit avec le Panama, le Honduras, le Costa Rica, le Nicaragua, le Guatemala et le Mexique. Des pays où là encore rodent des gangs sanguinaires, notamment les Maras en Amérique centrale, ou encore le Cartel de la Sinaloa au Mexique. En moyenne, une famille paie 5000$ pour espérer arriver à destination.
Durant leur périlleux parcours, les Haïtiens sont souvent rejoints par d’autres nationalités comme les Vénézuéliens, mais aussi des migrants provenant d’autres continents comme les Ghanéens, les Népalais ou encore les Indiens eux aussi à la recherche d’un avenir meilleur. Tout ce beau monde a lui aussi entrevu une lueur d’espoir avec l’arrivée au pouvoir de Biden à la place de Trump, surtout que les Démocrates ont pris le contrôle des deux chambres, ce qui leur donne plus de liberté pour appliquer une politique migratoire considérée comme beaucoup plus souple que celle des Républicains.
Seulement voilà, il était dit que Biden allait jouer au même jeu que son prédécesseur, le jeu de la fermeté. Ainsi, une fois arrivés sur le territoire américain, des milliers d’Haïtiens ont été déportés de manière expéditive vers leur pays d’origine, sans que leur dossier de demande d’asile ne soit correctement étudié. Pire, l’administration Biden prévoit de renvoyer pas moins de 10.000 autres durant les prochaines semaines. Malgré cette politique aussi brutale qu’inhumaine, les migrants continuent d’affluer. On estime que pas moins de 20.000 Haïtiens attendent à la frontière entre la Colombie et le Panama pour commencer eux aussi leur grand voyage. Malgré les risques d’être à leur tour déportés, ils préfèrent cela que de végéter sur place.
Par ailleurs, lorsque l’on se rend à l’aéroport de Port-au-Prince pour jauger les sentiments des Haïtiens nouvellement déportés, la majorité ressent une grande déception, mais aussi beaucoup d’espoir. Car tous sont unanimes pour dire qu’ils retenteront leur chance quoiqu’il en coute. ‘’il n’y a pas d’avenir ici, je préfère mourir en essayant d’immigrer vers les États-Unis. Car là-bas au moins, j’ai plus de chance de m’en sortir et de nourrir ma famille’’. Voilà qui est dit. Reste à savoir si Biden va enfin comprendre que les expulsions ne résoudront rien au problème tant que le chaos continuera à régner en Haïti.
Dessalines Ferdinand / LE FLORIDIEN
15 octobre 2021