Chaque année, la compagnie Henley & Partners basée à Londres et spécialisée dans le conseil de citoyenneté et de résidence par investissement, publie un classement des passeports les plus puissants à travers le monde. Et c’est presque toujours les mêmes pays qui sont classés en tête de liste. Ainsi, en 2019, le Japon décroche la première position avec 190 accessibles, Singapour et la Corée du Sud arrivent en deuxième position avec 189 pays pouvant être visités par leurs citoyens sans visa, suivis de près par l’Allemagne et la France dont les ressortissants peuvent se rendre dans 188 sans avoir à passer par une ambassade pour demander un visa d’entrée. Presque tous les pays de l’Espace européen Schengen, ainsi que le Canada et les États-Unis complètent la liste du top 10 des passeports les plus puissants. À noter que le passeport américain arrive en 6ème position avec 185 pays accessibles directement.
Et le passeport haïtien dans tout cela ? Il décroche la peu enviable 87ème place, coincé entre le Vietnam et la Guinée-Équatoriale avec seulement 51 pays accessibles sans visa. La plupart des nations qui laissent grandes ouvertes leurs portes aux Haïtiens se trouvent en Afrique de l’Est (Éthiopie, Tanzanie, Kenya…), en Asie-du-Sud, en plus de la Turquie et de l’Ukraine. Sur le continent américain, seuls le Suriname et la Bolivie continuent à être accueillants pour les Haïtiens. Les autres pays ont les uns après les autres fermé leurs portes d’entrée, le dernier en date étant le Chili qui a décidé d’instaurer un visa pour les voyageurs haïtiens afin de limiter l’immigration clandestine qui a pris de l’ampleur ces derniers temps (voir article du l’édition du 1 novembre 2018 à ce sujet). Sans surprise, la majorité des pays développés barricadent leurs frontières face à des pays comme Haïti qu’ils considèrent comme de potentiels pourvoyeurs d’immigrants illégaux. Heureusement, il reste quelques exceptions, puisqu’Israël, la Corse-du-Sud ainsi que Singapour figurent parmi les pays développés qui ont décidé de maintenir un accès libre aux citoyens haïtiens. À l’inverse, Haïti est un des pays les plus accueillants au monde, puisque son territoire est accessible sans visa à pratiquement toutes les nationalités issues des 5 continents, à l’exception des Colombiens, Cubains, Dominicains, Palestiniens et Panaméens.
Que faire alors lorsque l’on désire aller en Europe, au Canada ou aux États-Unis pour faire du tourisme ou visiter des membres de sa famille? Il faut passer par le consulat du pays de destination pour demander un visa d’entrée en bonne et due forme. Et là, c’est tout un parcours de combattant qui attend le citoyen haïtien. Prenons l’exemple du visa Schengen qui permet l’accès à 26 pays de l’Union européen. Munis de votre passeport qui doit obligatoirement être biométrique, il vous faut tout d’abord prendre un rendez-vous pour déposer votre dossier. En temps de forte affluence, cela peut prendre des semaines, voire des mois. En parallèle, vous devez préparer les documents exigés prouvant que vous pouvez financer votre séjour et que vous allez revenir en Haïti par la suite. Il vous faudra donc présenter les réservations d’hôtel, mais surtout un billet d’avion aller-retour. Un investissement qui peut être aventureux sachant que le voyageur n’est pas encore certain que le visa lui sera accordé.
À cela s’ajoutent d’autres documents exigés pour compléter le dossier, à savoir une attestation de travail, sa fiche de paie, une assurance voyage, des relevés bancaires des 3 derniers mois, voire plus selon le profil du demandeur. Autant de justificatifs qui disqualifient d’office un grand nombre d’Haïtiens, surtout avec le taux de pauvreté et de chômage que connaît le pays. Pour les autres, il faut s’armer de patience et user parfois de ruses pour contourner ces barrières bureaucratiques décourageantes à plus d’un titre. Car avouons-le, les pays riches font tout pour repousser les voyageurs issus des pays en voie de développement.
Ceux qui arrivent tout de même à transmettre un dossier complet doivent ensuite attendre au minimum 10 jours, le temps que le consulat traite la demande en question. Lorsque le principal intéressé est enfin contacté pour venir retirer son passeport, ce dernier ne peut cacher son appréhension au moment où il ouvre son document de voyage pour voir s’il a réussi ‘’l’examen de passage’’. Tous ces obstacles administratifs imposés par certains consulats étrangers gâchent malheureusement le plaisir des Haïtiens qui veulent juste voyager et profiter de leurs vacances normalement.
Le gouvernement quant à lui semble trainer les pieds pour négocier des conventions de libre circulation avec des nations amies. Tout juste se préoccupe-t-il des détenteurs de passeports diplomatiques ou de service qui représentent l’élite du pays. Avec autant d’entraves et de difficultés pour voyager librement à l’étranger, c’est à se demander si le passeport haïtien sert encore à quelque chose !
Dessalines Ferdinand