Haïti, surnommé la perle des Antilles, a tout pour être un paradis sur terre. Avec sa population joyeuse, dynamique et fière, ses paysages à couper le souffle, sa culture riche et variée, notre pays dispose de potentiels énormes qui auraient pu le classer parmi les meilleurs endroits au monde où il fait bon vivre. Au lieu de cela, nos concitoyens se retrouvent coincés dans un véritable enfer à ciel ouvert. À chaque coin de rue, le désespoir côtoie la misère et la souffrance au quotidien. La faute à une élite politique avide de pouvoir et d’argent, composée principalement de charognards toujours affamés, mais jamais rassasiés.
Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir essayé. Nous avons jeté notre dévolu ces dernières décennies sur des hommes issus de presque tous les corps de métier, en espérant à chaque fois trouver la perle rare qui guidera notre pays vers un avenir meilleur. On a eu Papa-Doc, médecin qui a décidé d’appliquer le serment d’Hippocrate à sa manière en mettant Haïti en arrêt maladie durant tout son mandat. On a eu le prêtre défroqué Aristide, un homme d’Église qui a vite retourné sa veste religieuse une fois qu’il a goûté au calice enivrant du pouvoir (comme quoi, l’habit ne fait pas le moine !). On a aussi eu le chanteur, ou plutôt le maitre-chanteur Micky, un artiste très inspiré qui nous a bien baladés durant 5 ans avec un compas d’un nouveau genre avant de nous laisser sur la paille. Et nous voilà aujourd’hui pris avec Jovenel Moïse. En bon homme d’affaires qu’il est, ce dernier a réussi à nous vendre un tas de promesses farfelues qu’on a tous gobé sans broncher. Pourtant, avec toutes les mauvaises expériences qu’on a eues par le passé, on aurait dû se douter dès le départ qu’il y’avait anguille sous roche. Mais comme dit l’adage : plus le mensonge est gros, mieux ça passe.
Beaucoup ont voté pour Moïse en désespoir de cause. Certains crédules vont même jusqu’à dire qu’ils ont fait le rapprochement avec le prophète Moïse et ses dix commandements, espérant qu’un miracle providentiel vienne enfin les sauver. Lorsqu’on vit depuis si longtemps dans les bas fonds de la misère, il arrive parfois qu’on se construise ainsi des chimères utopiques auxquelles on s’accroche pour ne pas sombrer dans une psychose collective.
D’ailleurs, notre Moïse national a bien pris soin de respecter les dix commandements en question, seulement, il s’y est pris à l’envers : 1- Tu voleras autant que tu pourras, 2- Tu tueras si cela est nécessaire, 3- Tu mentiras à ton prochain, 4- Tu convoiteras la maison de ton voisin, etc.. Et n’allez pas croire que l’opposition aurait fait mieux, car elle est elle aussi éprise par le même idéal, celui de s’arroger la plus grande part possible du gâteau. C’est du ‘’Ote-toi de là, que je m’y mette’’. Malheureusement, le problème qui se pose aujourd’hui, c’est que nos politiciens considèrent que le gâteau est devenu trop petit, alors que leur appétit lui n’a jamais été aussi grand. D’où le blocage actuel entre gouvernement et opposition dont les intérêts semblent irréconciliables. Loin d’eux l’idée de s’asseoir autour d’une même table pour résoudre leurs divergences par amour pour le pays. Comme dit le proverbe créole ‘’se yon 6 kap mande yon 9 kijan li fè krochi konsa’’. Le monde politique haïtien est devenu une sorte de jungle où prédomine la loi du plus fort. C’est à celui qui aura les dents les plus longues et les mieux aiguisées que reviendra “l’honneur” de s’en mettre plein les poches le temps d’un mandat, et pourquoi pas même au-delà.
Haïti est-il réellement un État indépendant ?
Voilà donc un peu plus de 2 siècles qu’Haïti est devenu le premier pays noir libre de l’histoire moderne. Mais aujourd’hui, beaucoup se posent la question de savoir si notre pays peut réellement se targuer d’être indépendant, tant il est balloté par les convoitises de plusieurs puissances étrangères. Le pire, c’est que nos politiciens, au lieu de défendre nos intérêts, cautionnent cette emprise étrangère en vendant notre pays au plus offrant. À la veille de célébrer le 216ème de la création de l’État haïtien, il est triste de constater à quel point nos dirigeants se comportent d’une manière déplorable. À chaque turbulence sociopolitique, c’est toujours le “maître-blanc” qui intervient pour désamorcer la crise, ne se privant pas de distribuer au passage des encouragements aux plus dociles et des réprimandes à ceux qui osent défendre légitimement les intérêts de leur pays. On n’en serait pas arrivés là si on lavait notre linge sale en famille au lieu de faire appel à chaque fois à un arbitrage venu d’ailleurs.
Nos politiciens corrompus, de concert avec les personnalités d’une élite économique opportuniste, ont chacun de leur côté préféré jouer au malin plutôt que de construire une nation forte affranchie du joug néocolonialiste. Loin de s’amender et de s’améliorer, nos dirigeants vénaux se sont davantage entichés de gains matériels, tout en étant insensibles aux souffrances du peuple. Ce cynisme machiavélique est la cause même des crises sociopolitiques à répétition que connaît notre pays. Aujourd’hui encore, après un blocage qui a duré des mois et qui plongé le pays dans une paralysie quasi-totale, il a fallu attendre une visite de 48 heures de la sous-secrétaire adjointe au Bureau des Affaires de l’Hémisphère occidental au Département d’État américain, Cynthia Kierscht, suivie par son collègue David Hale quelques jours plus tard, pour enfin voir les lignes de négociations bouger dans le bon sens. C’est triste à dire, mais le destin des Haïtiens se décide non pas à Port-au-Prince, mais dans les couloirs de la Maison-Blanche ou de l’Élysée.
Opposition ou gouvernement : deux choix perdants
Au vu de la situation actuelle, le peuple haïtien n’est pas sorti de l’auberge, tant les choix qui s’offrent à lui semblent peu engageants. D’un côté, il doit composé avec un régime véreux qui fait tout pour se maintenir au pouvoir, même au prix d’innocentes vies humaines sacrifiées et d’une économie mise à terre. De l’autre, une opposition qui ne vaut pas mieux, étant incapable de faire passer l’intérêt de la nation avant la sienne. Cela nous emmène à chercher une troisième voie, celle qui défendra véritablement les intérêts du peuple.
Les forces vives du pays s’activent déjà pour trouver une alternative à cette classe dirigeante criminelle et pervertie. Les Haïtiens doivent profiter de cette occasion pour faire le ménage une bonne fois pour toutes et débarrasser le pays de tous ces parasites opportunistes qui agissent comme des sangsues. Tout est à reconstruire dans le pays, que ça soit au niveau des infrastructures de base qui font défaut, mais aussi des mentalités qui doivent changer. La confiance de l’haïtien moyen a été usée et abusée par des gouvernants sans scrupules. Aujourd’hui, il a développé une sorte d’allergie à tout ce qui ressemble de près ou de loin à de la politique. Mais comment lui en vouloir, lorsqu’on voit les conditions déplorables dans lesquelles il vit.
Actuellement, la population rejette la classe politique dans son ensemble. Cela prendra du temps et beaucoup d’énergie pour regagner la confiance des Haïtiens qui ont vu leurs droits les plus élémentaires bafoués. Dans tous les cas de figure, l’époque où il suffisait de faire des promesses pour s’adjuger un poste à responsabilité semble bel et bien révolue. Aujourd’hui, au-delà des arguments, il faut prouver sa bonne foi non par des mots, mais par des gestes concrets et palpables. Jovenel veut berner une dernière fois ses administrés en leur demandant de faire de mauvaise fortune bonne cœur, puisque selon ses dires, cette crise a au moins le mérite d’accélérer le démantèlement du système en place. Sauf que le bon cœur des Haïtiens a des limites, surtout face à des fabulateurs comme Jovenel qui osent vous mentir les yeux dans les yeux sans ciller.
DF/LE FLORIDIEN, 15 Décembre 2019