Ces derniers temps sur les réseaux sociaux, certains artistes Compas défraient la chronique en se prêtant au jeu de la surenchère vestimentaire. C’est à celui qui va s’exhiber en premier avec la chemise de marque la plus chère, les chaussures derniers modèles ou la montre la plus convoitée. À l’instar de leurs homologues artistes du rap, arborer des tenues haut de gamme est devenue une façon pour ces chanteurs de montrer qu’ils ont réussi dans la vie. Plus qu’une question de goût ou de style, c’est surtout un message qu’ils veulent véhiculer, celui du succès. Que ces mêmes artistes soient réellement prospères ou pas est secondaire. Le plus important, c’est l’image qu’ils projettent. Beaucoup d’ailleurs jouent sur ce mirage médiatique pour étaler une richesse éphémère en trompe-l’œil, car en dehors du champ des caméras, ces mêmes artistes ont toutes les peines du monde à boucler leurs fins de mois.

Et pourtant, l’industrie musicale haïtienne est assise sur une mine d’or qu’elle n’arrive pas à exploiter de manière optimale. Comment expliquer que des chanteurs comme Edersse ‘Pipo’ Stanis du groupe Klass, ou encore le maestro Arly Larrivière du groupe Nu Look, se chamaillent par vidéos interposées pour déployer leur attirail vestimentaire de grandes marques ?  Et dire qu’ils ont acheté tous ces habits et les accessoires qui vont avec au prix fort, alors qu’ils auraient très bien pu négocier avec ces mêmes marques pour devenir leurs ambassadeurs attitrés, faisant ainsi d’une pierre deux coups. Versace, Gucci, Ferragamo, Armani, les chanteurs kompas sont friands de lignes de vêtements dont le prix moyen dépasse allégrement les 1000$. Malheureusement, aucun haïtien ne tire profit de cette publicité gratuite. Ni l’artiste qui expose ses habits, et encore moins le public qui se rince les yeux sans en tirer le moindre bénéfice. Seules les grandes enseignes de mode sortent gagnantes de ces combats inespérés pour elles, puisqu’elles bénéficient d’un écho de résonance qui atteint toute une communauté sans dépenser le moindre sou.

Où sont donc les producteurs pour conseiller nos artistes et leur montrer qu’il y’a d’autres voies qui pourraient être bien plus lucratives que celles qu’ils empruntent actuellement. Ne peuvent-ils pas s’inspirer d’un Jay-Z à qui il suffit de prononcer le mot Mercedes Benz dans ses chansons pour s’en mettre plein les poches, ou encore Kanye West et son goût prononcé – et certainement pas innocent – pour les produits Nike. C’est deux monstres du hip-hop peuvent d’ailleurs être considérés comme les précurseurs d’une publicité d’un nouveau genre, celle des influenceurs qu’on voit aujourd’hui pulluler sur certains médias sociaux comme YouTube ou les blogs. Il y’a clairement une niche à exploiter alors que la majorité des artistes compas sont toujours à la recherche d’un business model qui soit rentable.

On assiste de plus en plus à des collaborations gagnant-gagnant entre les chanteurs d’un côté, et de l’autre, des marques déjà connues qui souhaitent cibler un nouveau public, ou encore des marques naissantes qui veulent profiter de la notoriété de tel ou tel artiste pour se lancer et mieux se faire connaître. Les fans inconditionnels de certains artistes ne s’identifient pas seulement à leur musique, mais aussi à leurs codes vestimentaires. Lorsqu’un Pharrell Williams dandinait en portant la marque japonaise Streetwear, ce sont des millions de fans qui l’imitaient, donnant à l’enseigne nippone un véritable coup de pouce sur le marché américain, voire mondial.

Les artistes haïtiens ne sont d’ailleurs pas tenus de collaborer uniquement avec les grandes marques. Ils peuvent très bien promouvoir des designers haïtiens et les aider à avoir eux aussi leur part du gâteau. Mieux, la tendance aujourd’hui veut que les artistes créent leurs propres marques, le plus souvent en collaboration avec des stylistes de renom. D’ailleurs, les couturiers haïtiens ne manquent pas d’idées, de talent et d’imagination pour proposer des collections originales qui n’auront rien à envier à ce qui se fait de mieux sur la scène fashion. On pense notamment à Azède Jean-Pierre qui a habillé Michelle Obama, Stella Jean qui tapé dans l’œil de Rihanna et Giorgio Armani, ou encore Fabrice Tardieu qui a fait une percée remarquable en peu de temps. Les Edersse ‘Pipo’ Stanis et Arly Larrivière devraient en prendre de la graine et s’inspirer de leurs homologues qui ont réussi à trouver le bon filon, au lieu de continuer à pavoiser crânement avec des vêtements qui coûtent les yeux de la tête, mais qui au final ne leur rapportent rien du tout.

Le monde de consumérisme dans lequel nous vivons aujourd’hui est sans pitié pour les gens qui ne savent pas s’adapter. C’est une nouvelle jungle où le plus fort mange le plus faible sans crier gare. Nos chers artistes compas devraient donc revoir leurs plans s’ils ne veulent pas finir eux aussi dans l’oubli et l’anonymat. Les rivalités stériles sur les réseaux sociaux entre les artistes compas n’apportent aucune valeur ajoutée à notre communauté. Bien au contraire. Alors de grâce, arrêtez vos mesquineries et montrez qu’en plus d’être des artistes, vous pouvez aussi être de bons hommes d’affaires.

Dessalines Ferdinand

 

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