Les gangs en Haïti ne sont pas à court d’idées pour accentuer leur emprise mafieuse sur la population et accroître leurs profits. Après les carjacking, les rackets, le trafic de drogues et d’armes, la contrebande et les braquages violents, les voilà qui se lancent dans une nouvelle activité des plus lucratives : les enlèvements. La recrudescence de ce phénomène ces derniers mois inquiète la majorité des Haïtiens et alourdit un peu plus un climat sécuritaire malsain.
Les enlèvements deviennent monnaie courante à Port-au-Prince et en région
D’après les derniers chiffres officiels, plus de 15 enlèvements ont eu lieu à Port-au-Prince et sa région depuis le début de l’année. Cela fait presque 1 enlèvement tous les 2 jours. Et encore, ce chiffre ne tient compte que des cas rapportés par la police nationale, alors que l’on sait pertinemment que beaucoup de familles n’osent pas signaler le kidnapping d’un proche aux forces de l’ordre par crainte que les ravisseurs ne commettent l’irréparable.
Il a d’ailleurs été rapporté que malgré le versement de la rançon, certaines personnes enlevées avaient tout de même été tuées. Cela montre le degré de barbarie atteint par des réseaux criminels qui agissent avec une extrême cruauté et une inhumanité glaciale.
Rien de plus terrible pour un parent que de voir son enfant enlevé du jour ou lendemain par des inconnus. D’après la juriste Marie Rosy Auguste du Réseau national des droits humains
(RNDDH), il n’est pas rare que des familles s’endettent pour pouvoir payer la rançon exigée par les ravisseurs. En effet, ces derniers n’hésitent pas à demander des sommes faramineuses que les familles victimes de rapt sont dans l’incapacité de rassembler sans l’aide de proches ou en vendant leurs biens. Si les enfants sont les cibles préférées des kidnappeurs du fait qu’ils soient plus faciles à maitriser, les adultes ne sont pas à l’abri pour autant, qu’ils soient au volant de leur voiture, dans leur lieu de travail ou même à l’intérieur de leur maison.
Le phénomène des enlèvements revient donc en force en Haïti après une relative “accalmie” qui aura duré 15 ans. Les criminels terrorisent la population avec des rapts de plus en plus violents et osés. L’absence de l’État et l’anarchie qui règne dans le pays depuis quelque temps leur offrent un terreau fertile pour faire prospérer leurs macabres affaires. Ils sont souvent bien mieux équipés en véhicules et en armes que les forces de l’ordre qui sont pourtant censées protéger les citoyens contre ce genre de crimes crapuleux. Aussi bien les riches que les pauvres sont devenus des cibles potentielles. Les Haïtiens doivent dorénavant être constamment sur leurs gardes partout où ils vont. Cette situation est d’autant plus insupportable que les pouvoirs publics sont accusés de renforcer les capacités de nuisance des bandes criminelles tout en affaiblissant la police nationale. C’est un secret de Polichinelle que beaucoup d’élus sont trempés dans des trafics d’armes qui font des dégâts considérables dans notre pays puisqu’ils alimentent en permanence l’arsenal des criminels qui est déjà impressionnant. À se demander si ces mêmes élus attendent d’être eux-mêmes victimes d’un enlèvement pour qu’ils se rendent enfin compte que leur agissement est tout bonnement suicidaire.
La Police nationale (PNH) insuffisamment préparée pour faire face
Le sentiment d’insécurité ne cesse de s’amplifier, avec des luttes entre factions criminelles armées qui mettent en péril la vie des habitants des quartiers populaires de la capitale. La circulation est paralysée dans plusieurs zones où personne n’ose plus sortir, surtout la nuit. Parallèlement à cela, la défaillance de l’État est flagrante, que ça soit au niveau de la police ou des tribunaux. Il n’y a qu’à regarder le parquet de Port-au-Prince qui se retrouve désormais en pleine zone contrôlée par les gangs, avec des tirs sporadiques qui empêchent la tenue d’audiences sereines. Les juges et les avocats ont parfois du mal à s’y rendre à cause des balles qui fusent de partout. Dernièrement, un greffier a été tué au sein même de la cour du parquet. Quelques jours auparavant, c’est un avocat qui perdait la vie alors qu’il se rendait au tribunal en conduisant sa voiture.
Le quartier du Bicentenaire est devenu à lui tout seul un concentré de tous les maux dont souffre notre pays, à savoir un pouvoir judiciaire dysfonctionnel, une police absente et une population prise en otage par les gangs. Tout cela à cause du pouvoir central qui ne fait rien pour endiguer la déliquescence des différentes administrations concernées. Les citoyens sont abandonnés à eux-mêmes et ne peuvent faire prévaloir leur droit à la sécurité et à la justice. Ce n’est donc pas une surprise de voir la police nationale haïtienne (PNH) complètement dépassée lorsqu’il s’agit de stopper les gangs qui ont fait de l’enlèvement et de la séquestration leur fond de commerce.
Nos forces de l’ordre n’ont pas reçu de formation adéquate pour faire face au phénomène de kidnapping qui prend de plus en plus d’ampleur. Traquer les kidnappeurs, les neutraliser de manière professionnelle sans nuire à l’intégrité physique de l’otage séquestré, négocier le cas échéant avec les ravisseurs, tout cela nécessite une préparation et des moyens. Malheureusement, la PNH ne semble disposer pour l’instant ni de l’un, ni de l’autre. Pire, la police nationale ne s’active véritablement que lorsque l’enlèvement touche une famille riche ou ayant les bons contacts. Autrement, c’est chacun pour soi. De même, les personnalités publiques mouillées dans des affaires d’enlèvement sont la plupart du temps peu inquiétées par la justice.
Quelles répercussions de ce phénomène sur l’économie du pays ?
Si un indicateur devait être fourni, c’est celui du département d’État américain qui a classé Haïti dans la liste des 35 pays à haut risque lorsqu’il s’agit de kidnapping. Haïti est placé au niveau 4 qui correspond aux pays où il est fortement déconseillé de voyager. Notre pays se trouve ainsi dans une situation peu enviable où il partage l’affiche avec des nations comme l’Afghanistan, la République Centre-Africaine, l’Iran, l’Irak, la Libye, le Mali, la Somalie, le Sud-Soudan, la Syrie, le Venezuela et le Yémen. À noter qu’exception faite de Haïti et du Venezuela, tous les autres pays sont en guerre. Cela montre le niveau dans lequel nos dirigeants ont placé Haïti, en proie aux bandes armées qui font ce que bon leur semble sur le territoire national.
La recrudescence des enlèvements en Haïti aura indubitablement un impact négatif sur un tourisme déjà moribond depuis quelques années. Que ça soit durant les temps des fêtes ou encore lors de la saison carnavalesque, il est clair qu’aussi bien les touristes étrangers que les Haïtiens de la diaspora désireux de passer des vacances au pays ne se bousculeront pas pour aller y risquer leur vie. Et c’est bien regrettable, surtout lorsque l’on sait à quel point le secteur touristique peut être un formidable levier pour relancer l’économie, faire rentrer les devises et soulager la trésorerie de l’État.
Sur le terrain, le commerce tourne lui aussi au ralenti. Même l’économie informelle est touchée. Les petits vendeurs dans la rue n’osent plus s’aventurer dans certains quartiers par crainte d’être la cible de malfrats. Or en matière de sécurité, il n’y a pas de petites économies. Si l’État croit que la sécurité des citoyens n’est pas une priorité, il sous-estime l’impact de cette politique en bout de chaine dans la mesure où c’est tout le tissu économique qui sera à terme affecté. Le phénomène de kidnapping est en train de métastaser sur l’ensemble du territoire, et une fois de plus, le gouvernement préfère adopter la politique de l’autruche et dire que tout va bien dans le meilleur des mondes.
DF/LE FLORIDIEN, 30 JANVIER 2020