Durant ces dernières années, on peut dire que les organisations criminelles sont les seules à avoir su tirer leur épingle du jeu et profiter du chaos général qui règne dans notre pays. Mieux organisés et mieux équipés que les autorités publiques, les gangs n’ont cessé de proliférer et de se développer, au point qu’en 2021, ils sont devenus de sérieux prétendants pour contrôler les destinées du pays. Dernièrement, le chef du G9, Jimmy Cherizier, a appelé les Haïtiens à se révolter, comprenez, il veut un coup d’État.

Les gangs veulent faire la révolution

On dit que la nature a horreur du vide. Or en Haïti, plus personne ne dirige le pays puisque les autorités sont incapables de fournir le strict minimum à la population. Alors que le Covid-19 fait de nombreuses victimes chaque jour, voilà que le carburant fait à nouveau défaut dans les stations-service, ce qui n’a pas manqué d’exacerber des Haïtiens déjà à bout de nerfs. Voyons là une occasion en or à ne pas rater, l’un des chefs de gangs les plus puissants d’Haïti, surnommé Barbecue, a appelé la population démunie à lancer une révolution contre les élites économiques et politiques du pays. Ce qui fait craindre une escalade prochaine de la violence, alors que la situation sécuritaire est déjà mauvaise.

En effet, les violences ont augmenté de manière préoccupante ces dernières semaines, les Nations-Unies parlant même d’un niveau d’insécurité sans précédent. Car pour faire la révolution, il faut se battre. Et les gangs rivaux se livrent à de violents combats au quotidien pour contrôler de nouveaux territoires. Ils n’hésitent pas non plus à s’attaquer à la police lorsqu’elle ose s’aventurer là où elle n’est pas supposée être. Résultat, on a assisté ces derniers jours au déplacement de milliers de personnes qui ont dû fuir leur maison, ce qui n’a fait qu’aggraver encore plus la crise humanitaire dans notre pays.

Jimmy Cherizier, l’homme qui a lancé l’appel à faire la révolution, connaît bien le fonctionnement de l’État et ses failles puisqu’il a lui-même été policier par le passé, avant de se transformer en chef de gang, puis en leader du G9, une coalition qui réunit 9 gangs. C’est triste à dire, mais les criminels ont réussi à s’unir alors que nos politiciens eux continuent à se diviser.

Dernièrement, entouré de ses soldats armés de fusils et de machettes pour montrer au monde qu’il est à la tête d’une petite armée, Barbecue a clairement laissé entendre que le G9 était devenu une force révolutionnaire sur qui il fallait compter. Pour lui, aussi bien le gouvernement que l’opposition et l’ensemble de la bourgeoisie haïtienne doivent être chassés.

Les gangs veulent profiter de la vacance du pouvoir

Barbecue ne se voit pas comme un criminel, loin de là. Il se considère plutôt comme un leader communautaire des temps modernes. Une sorte de Robin des Bois qui veut prendre l’argent aux riches pour le redistribuer aux pauvres. Devenu tout puissant par la force des choses, il s’estime investi d’une mission, celle de sauver le pays pour le sortir de la crise inextricable dans laquelle il se trouve. Mais peut-on lui en vouloir de profiter de la faiblesse de l’État pour essayer d’éjecter nos dirigeants et de prendre leur place? Si à un certain moment, Barbecue était considéré comme le symbole de la collusion entre le pouvoir et les organisations criminelles, aujourd’hui, il affiche clairement ses ambitions.. politiques, bien qu’il ne compte pas passer par les urnes pour atteindre ses objectifs.

Toutefois, il ne suffit pas de vouloir pour pouvoir. Même si le terrain est plus que favorable pour Barbecue pour remplacer le pouvoir en place, son passif ne plaide pas en sa faveur puisque son ‘CV’ est entaché par des activités criminelles diverses (meurtres, kidnappings, trafic d’armes et de drogue..). Or, la communauté internationale ne laissera jamais un homme qui a le sang sur les mains devenir Président de la République. Car rappelons-le, Barbecue est considéré comme le principal responsable du massacre de 71 personnes en novembre 2018 à La Saline, quartier populaire de Port-au-Prince où son gang est localisé. On voit donc mal comment un Barbecue peut s’asseoir à la même table que Biden ou Macron pour discuter de géopolitique internationale et d’économie.

Qu’à cela ne tienne, Barbecue a un réel pouvoir de nuisance dans notre pays et il doit être pris au sérieux lorsqu’il déclare vouloir faire la révolution en Haïti. Afin d’accentuer le chaos dont les gangs se nourrissent pour prospérer, Barbecue a invité ses concitoyens à piller tout ce qu’ils peuvent et à s’attaquer aux grands magasins. Selon ses propres dires, ‘’c’est votre argent qui est dans les banques, les magasins, les supermarchés et les concessionnaires, alors allez chercher ce qui vous revient de droit’’. Le problème est que ces déclarations sont devenues virales sur internet et peuvent faire mouche auprès d’une population qui se sent plus que jamais abandonnée par l’État.

Et après…?

Bien entendu, il est hors de question de soutenir une telle ‘révolution’, combien même nos dirigeants méritent clairement d’être chassés du pouvoir. On ne va tout de même pas remplacer la peste par le choléra. La vision simpliste de Barbecue montre qu’il est loin d’être l’homme du changement comme il le proclame. Si vous pillez les magasins et les banques, vous allez peut-être manger aujourd’hui, mais vous pouvez avoir la certitude que vous allez mourir de faim demain, car vous aurez mis toute l’économie du pays à terre et perdu la confiance des investisseurs qui sont les seuls à être en mesure de créer des emplois.

Ce qui est sûr, c’est que les gangs armés essaient de plus en plus de s’affranchir de l’État avec qui ils ont scellé une alliance secrète. Il est par ailleurs étonnant de voir que les violences commises par les gangs ont augmenté juste au moment où le pouvoir compte organiser des élections présidentielles et législatives. Cela accentue l’idée qu’il y a un lien entre les organisations criminelles et certains politiciens locaux. Car parier sur les gangs rapporte beaucoup plus que de parier sur la police, étant donné que les gangs ont acquis des armes de plus en plus sophistiquées, financées en partie par des enlèvements contre le paiement de rançons.

Ce qui est sûr, c’est que ce combat à distance entre les gangs et le pouvoir haïtien va prendre une nouvelle fois en étau l’ensemble de la population haïtienne. On est tous encore sous le choc après avoir vu les images de milliers de familles qui ont dû quitter leur domicile pour fuir les violents combats entre gangs rivaux dans certains quartiers de la capitale. Si cela n’est pas une guerre civile, ça y ressemble fortement en tout cas! Le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) a ainsi déclaré le mois dernier que ces déplacements allaient accentuer la crise humanitaire dans notre pays, avec une perturbation du fonctionnement social au niveau communautaire, la fermeture des écoles, la perte des moyens de subsistance, etc… Si Jovenel Moïse se veut rassurant quant à l’avenir du pays avec l’organisation d’élections en septembre prochain, la réalité sur le terrain ne nous invite pas beaucoup à l’optimisme.

Stéphane Boudin
Le Floridien, 30 juin 2021

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