L’image est forte et montre le désarroi et l’impuissance de nos policiers face aux criminels et aux gangs qui sévissent dans notre pays. Ce samedi en effet, un véhicule blindé de la PNH, qui par inadvertance s’est retrouvé coincé sur le bas côté de la route au niveau de Canaan, a été incendié par des malfrats. Au lieu que les agents se trouvant dans le véhicule attendent des renforts comme cela est de coutume, ils ont eu le réflexe de fuir les lieux sans plus tarder, car ils savent que rester sur place équivaudrait à une condamnation à mort. Cette mésaventure illustre parfaitement les risques quotidiens qu’encourent nos policiers sur le terrain.
Aujourd’hui, la PNH a beaucoup de mal à faire régner la loi sur le territoire national. Pour preuve, lors du blocage par les gangs des livraisons de carburant, notamment les gangs sévissant au niveau de la capitale, la police n’a pas bougé le petit doigt par manque de moyens. Ce n’est que le 8 novembre dernier que le remplissage des camions-citernes a repris au terminal pétrolier de Varreux. Si officiellement, ce retour à la normale est le fruit d’intenses combats entre la police nationale, soutenue par le SWAT et l’UTAG (Unité temporaire antigang), et les hommes du G9, officieusement, des négociations auraient eu lieu pour que le célèbre gang laisse passer le carburant. On suppose que le G9 a dû obtenir une faveur en échange, bien qu’on ignore pour l’instant la nature de cette faveur.
Toujours est-il, tout le monde s’accorde à dire que Haïti ne peut retrouver la paix et la stabilité sans une police nationale forte, performante et efficace. Même la communauté internationale est de cet avis. Il est clair que sans sécurité, il sera impossible de tenir des élections, et encore moins de relever l’économie et reconstruire le pays. Qui osera venir investir chez nous alors que vous risquez à tout moment lors de vos déplacements de vous faire braquer, voire même kidnapper par des truands. Le constat aujourd’hui est clair. Notre police est en sous-effectif, mal formée, sous-équipée et mal payée. Avec tous ces vices, on voit mal comment nos agents peuvent trouver la motivation nécessaire pour sortir faire le boulot correctement. On en viendrait même à leur donner raison quand ils prennent des pourboires pour laisser passer des automobilistes indélicats. Car en plus d’être mal payés, il arrive même que nos policiers ne soient pas payés du tout. Ainsi, la 31e promotion qui a intégré la PNH en décembre dernier, soit il y’a presque un an, n’a toujours pas reçu le moindre salaire. Le ministère des Finances renvoie la balle vers la direction de la PNH qui elle-même ne donne aucune explication censée. Un fin connaisseur de la PNH explique pour sa part que le non-paiement des nouveaux policiers montre que la corruption et les malversations n’épargnent pas notre police, bien que celle-ci ait reçu une formation de haut niveau ces dernières années grâce à l’implication de différents organismes internationaux et pays amis.
Comment voulez-vous qu’un policier risque sa vie s’il n’arrive même pas à se nourrir et à nourrir sa famille correctement ? Surtout que face à lui, les gangs n’ont aucun mal à gagner de l’argent à travers leurs nombreux trafics et de l’afficher de manière ostentatoire. Pire, les groupes criminels sont aujourd’hui mieux armés que nos policiers. Ils disposent souvent de gros calibres, voire même d’armes de guerre et de matériel sophistiqué comme les lunettes de vision nocturne. Cette inégalité rend la tâche particulièrement difficile sur le terrain. Le directeur général a.i de la PNH, Frantz Elbé, a bien conscience des nombreux obstacles auxquels il doit faire face. En premier lieu, il doit redorer le blason de la police nationale dont l’image a été fortement écornée ces dernières années. Cela commence par un nettoyage de fond en comble de la maison pour la débarrasser des brebis galeuses, à l’image de Pierre Wakin, inspecteur divisionnaire de la police qui a récemment été arrêté pour trafic d’armes et association de malfaiteurs.
La population haïtienne est prête et disposée à aider la police si celle-ci fait correctement son travail et pourchasse les criminels qui sévissent chaque jour un peu plus dans notre pays. Si les forces de l’ordre sont équipées et payées comme il se doit, alors Haïti n’aura pas besoin de l’intervention d’une force internationale pour rétablir la paix et la sécurité. Car personne ne connaît mieux notre pays que les Haïtiens eux-mêmes. Un policier de Port-au-Prince sait quelle rue emprunter, avec qui parler, comment procéder, etc. là où un soldat étranger ne saura même pas par quoi commencer tant il sera dépaysé.
Pour ainsi dire, une police neutre, professionnelle et dépolitisée constitue le nœud central pour sortir notre pays de la crise profonde qu’il vit en ce moment. Vivement que la communauté internationale comprenne cela et accentue ses efforts pour que la PNH renaisse de ses cendres et retrouve sa vocation première qui est aussi sa devise : protéger et servir!
Stéphane Boudin