Le nom de Wilner Bobo a fait les manchettes des journaux du Québec la fin du mois passé. Ce Montréalais d’origine haïtienne a été lâchement assassiné en Haïti, plus précisément à Piéton-Ville, l’ancien quartier chic de Port-au-Prince. En cette nuit du 27 août, Bobo était sorti faire la fête avec ses amis. C’est là qu’un brigand armé l’attendait pour le dépouiller. Même s’il a obtenu ce qu’il voulait, le criminel a tout de même tué froidement le pauvre Bobo qui avait les rêves plein la tête pour son pays d’origine. Cette violence gratuite est aussi révoltante qu’inexplicable. Est-ce par jalousie que le malfrat a décidé de liquider Bobo, pensant que ce dernier avait la belle vie et pas lui? Est-ce par sentiment d’impunité dans un pays livré au chaos généré par les gangs? Est-ce par sentiment de toute-puissance procuré par son arme qui lui permet d’ôter la vie à qui il veut quand il veut? Difficile de répondre à ces questions. Mais ce qui est sûr, c’est que cette histoire macabre nous touche particulièrement en tant qu’haïtiens vivant à l’étranger, car la victime aurait pu être notre frère, notre père ou notre fils.

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Aujourd’hui, le climat d’insécurité qui règne dans le pays est très préoccupant. Cela fait des mois, voire des années qu’on tire la sonnette d’alarme pour alerter le gouvernement sur la pente glissante que prend notre pays. N’importe quel haïtien de la diaspora qui retourne en Haïti vous dira qu’il ne se sent plus en sécurité. Pire, on a constaté dernièrement que les Haïtiens de l’étranger sont devenus des cibles privilégiées des criminels. Pour eux, un haïtien qui vit aux États-Unis ou au Canada est forcément riche et ses poches pleines de dollars. Raison pour laquelle les Haïtiens de la diaspora qui retournent au pays doivent redoubler de vigilance pour ne pas tomber dans le même piège que Bobo. Le gouvernement semble quant à lui un peu démuni face à la détérioration de la situation sécuritaire, et dont il est en grande partie responsable. Car rappelons-le, les autorités n’ont rien fait pour empêcher le trafic d’armes. Et maintenant, c’est l’ensemble de la société qui en paie le prix, sans distinction d’âge, de sexe ou de statut social. Dernièrement, le bâtonnier du barreau de Port-au-Prince a été lui aussi victime d’un crime crapuleux devant chez lui, alors qu’il fermait le portail de sa maison. Quelques semaines avant cela, 2 nourrissons d’à peine 4 et 8 mois sont morts sous les balles, créant un vif émoi dans l’ensemble du pays.

Aujourd’hui, lorsqu’un haïtien de la diaspora rentre au pays, il se doit d’être paranoïaque pour survivre. Car le chaos est tel que même ceux qui sont censés vous protéger n’inspirent pas confiance. Lorsque vous vous baladez dans des quartiers comme Piéton-Ville, mieux vaut rester sur ses gardes. Les malfrats armés y pullulent et circulent souvent en moto. Ils peuvent s’en prendre à vous de nuit comme de jour. Idem lorsque vous voyagez d’une ville à une autre. Il n’est en effet pas rare que des bandits érigent des barrages pour dépouiller les passagers, notamment au niveau de la route nationale N2 entre Petit-Goâve et Miragoâne. À la sortie de l’aéroport, il convient là aussi d’être particulièrement prudent, car les vautours rôdent et peuvent vous suivre jusqu’à votre lieu de résidence. C’est ce qui est arrivé à un couple de Français qui venait en Haïti pour lancer un processus d’adoption, et qui a été accueilli par des balles meurtrières en guise de bienvenue quelques heures à peine après leur débarquement de l’avion.

Sans vouloir verser dans l’alarmisme, il devient évident que la situation sécuritaire en Haïti est plus préoccupante que jamais. Des membres de la diaspora qui comptaient y aller en vacances, ou s’y installer pour de bon, ont du changer leurs plans à la dernière minute. L’administration quant à elle joue parfois la même gamme de musique que les gangs, puisqu’elle aussi considère les Haïtiens de la diaspora comme de simples vaches à lait. Nombreux sont les témoignages d’Haïtiens revenus en Haïti pour y investir leurs économies, et qui se retrouvent face à une administration archaïque et corrompue. Car pour faire avancer votre dossier, il faut aussi prévoir une “caisse noire”. Autrement, vous risquez de faire du surplace pendant longtemps.

On aimerait croire que tout rentrera dans l’ordre dans un avenir proche. Malheureusement, l’évolution de la situation sur le terrain nous fait craindre l’inverse. Surtout que l’instabilité politique que nous traversons actuellement ne fait qu’empirer les choses au lieu de les arranger. Face à un État qui fuit ses responsabilités, les criminels se sentent pousser des ailes et font ce qu’ils veulent en toute impunité. Pour la petite histoire, la scène de crime du bâtonnier assassiné a été vandalisée, bien qu’elle se situe dans le quartier de la présidence. Si même autour de sa résidence, le Président a du mal à imposer la loi, on n’ose imaginer de quoi ça a l’air dans les autres régions du pays.

Stéphane Boudin

 

 

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