Jovenel Moïse est plus que jamais sur la sellette. Le Président de la République est aujourd’hui exécré par une grande partie de la population qu’il a déçue par des engagements non tenus. La grogne gagne en intensité et touche l’ensemble du pays. Toutes les institutions semblent paralysées par une crise économique, politique et sociale sans précédent. Haïti est dorénavant au bord du gouffre et pourrait basculer définitivement dans le chaos si rien n’est fait !
La population se révolte contre le pouvoir en place
À Cité Soleil, quartier pauvre de Port-au-Prince constitué principalement de bidonvilles, la colère est devenue un instinct de survie. Exacerbés par les gaz lacrymogènes et les tirs à balles réelles des forces de l’ordre, les manifestants ont attaqué le commissariat du secteur avant de le démonter entièrement pour un pillage en règle : portes, sanitaires, meubles, et fenêtres. Les protestataires n’ont rien laissé derrière eux. Même le toit en taule a été arraché et les pièces de voitures pourtant en feu récupérées. C’est la misère et le désespoir qui s’expriment dans leur forme la plus brute.
Si les habitants de Cité Soleil pillent le commissariat, c’est parce qu’ils n’ont plus rien. Ceux qui devraient avoir honte, c’est ceux qui tirent sur le peuple et l’affament. ‘’Nous ne voulons plus de Jovenel Moïse ici’’ dit un habitant du quartier qui a du mal à contenir sa colère, ‘’regardez ce qui se passe ici, c’est une grande bataille. Nous sommes déterminés à changer ce régime corrompu et nous n’allons pas cette fois faire demi-tour avant d’avoir obtenu gain de cause’’. Dès les premières heures de ce vendredi 27 septembre, des groupes de contestataires empêchaient le passage des véhicules sur les principales avenues de Port-au-Prince. Des barricades faites de pneus, de troncs d’arbres et de bric-à-brac sont érigées un peu partout pour étouffer la capitale et pousser les autorités à agir. C’est la seule réponse qu’une population excédée a trouvée pour se faire entendre, alors que ses revendications les plus élémentaires sont restées jusqu’à présent lettre morte.
‘’Je suis ici, car Moïse ne tient pas ses promesses’’ lance cette autre habitante qui vit à Martissant, ‘’Depuis son arrivée au pouvoir, il nous a promis du travail et de la nourriture. Nous n’avons pas de quoi manger. Nous ne voulons plus de Jovenel, c’est un menteur. Même les écoles n’ouvrent pas. Il est temps que ce Président parte’’. Tout le monde s’accorde à dire dans la rue qu’il n’y a plus de retour possible. Tant que le Chef de l’État restera au pouvoir, il ne dormira pas tranquille.
Dans les quartiers les plus aisés de la capitale, plusieurs magasins ont été pillés par les manifestants. À mesure qu’Haïti s’enfonce dans la crise politique, l’opposition contre Moïse se durcit chaque jour un peu plus. Certains sont même prêts à prendre les armes pour destituer le Président. Une dérive violente de la situation actuelle est de plus en plus probable, alors que les élections locales et législatives prévues fin octobre ne devraient pas avoir lieu, faute de vote sur la loi électorale.
Pénurie de carburant, la goutte de trop !
Cela fait presque un mois que les véhicules de transport en Haïti sont à sec. En cause, une pénurie de carburant qui touche presque toutes les stations-service du pays, celles-ci ayant du mal à s’approvisionner normalement. À cela s’ajoute une hausse du prix de l’essence qui a presque doublé en l’espace de quelques semaines seulement, dépassant même les 5$ à certains endroits au lieu de 2,3$ en temps normal. Étant donné le pouvoir d’achat famélique du citoyen haïtien qui doit survivre avec un revenu moyen d’à peine 60$ par mois, tous les ingrédients sont réunis pour une explosion sociale de grande ampleur. L’étincelle tant redoutée vient de mettre le feu aux poudres. Les stations-service ferment les unes après les autres fautes de livraison des carburants. L’État lui, endetté jusqu’au cou à la suite de sa gestion budgétaire hasardeuse au fil des années, a du mal à honorer ses paiements auprès des compagnies qui importent les produits pétroliers. Les observateurs ne voient pas comment la situation pourrait se décanter sur le court terme sans une intervention financière providentielle venant de l’extérieur.
Or, les bailleurs de fonds ont depuis longtemps conditionné leur aide à une stabilité politique locale. Et on les comprend, puisque personne ne voudra mettre son argent dans un pays qui n’arrive même pas à avoir durablement un gouvernement légitime. Cela nous emmène à l’autre nœud du problème, à savoir la crise politique extrêmement dommageable que traverse Haïti en ce moment, puisque pouvoir et opposition campent sur leurs positions respectives et ne semblent pas vouloir s’entendre pour sortir le pays de cette situation critique.
Moïse joue ses dernières cartes
Alors que la rue gronde et les manifestations se multipliaient aux quatre coins du pays, le Président de la République s’obstinait à s’enfermer dans son mutisme habituel, pensant sans doute que les gens allaient se lasser et finir par rentrer chez eux. Une fois de plus, il a sous-estimé la détermination d’une population affamée et fatiguée par des années de souffrances. Jovenel s’est enfin résolu à sortir contre son gré de sa tanière et s’est adressé à la nation à travers un discours surprise radio-diffusé localement. Un discours qui ressemblait plus à un pastiche d’un Président aux abois qu’à autre chose. L’inquiétude pouvait se lire sur son visage pendant qu’il exposait son nouveau plan à la population haïtienne. Sans doute était-il le premier à ne pas croire en ce qu’il disait.
Le Chef de l’État a donc demandé ‘’une trêve historique pour entamer les réformes institutionnelles, sociales et économiques….’’dont le pays a grandement besoin. Mais des promesses, les Haïtiens en ont mangé des tonnes jusqu’à en être gavés. Même en étant sincère, les actions proposées par Jovenel sont jugées insuffisantes par la population qui demande sa démission sans délai. Tout le monde se rappelle qu’il y’a peu de temps encore, Jovenel assurait qu’il mettrait ‘’à manger dans toutes les assiettes et de l’argent dans les poches’’. C’était là ses propres mots. Les Haïtiens découvrent aujourd’hui que leur gamelle est vide et leurs poches trouées. Le Président a donc clairement failli dans sa mission et n’a pas honoré son contrat. Ce n’est pas la nouvelle trêve qu’il propose qui donnera du pain au peuple et mettra fin à une inflation qui rend le coût de la vie insupportable.
Jovenel doit écouter les revendications légitimes de la rue qui estime qu’il n’est pas l’homme de la situation. S’obstiner à fermer les yeux devant la misère qui l’entoure, c’est condamner le pays à aller vers un chaos certain. Le pire, c’est que de l’autre côté, Haïti ne dispose pas d’alternatives crédibles. L’opposition elle-même est incapable de proposer un plan de sortie de crise qui soit solvable. Le pouvoir et l’opposition, ce sont deux faces de la même pièce.
LE FLORIDIEN, 30 SEPTEMBRE 2019