La crise politique que traverse Haïti s’enlise. Cette crise sociopolitique qui perdure affecte lourdement l’économie du pays et le porte-monnaie des Haïtiens. Les commerçants s’inquiètent de plus en plus de l’impact négatif sur leur chiffre d’affaires, eux qui espéraient sauver pendant ces temps fêtes une année catastrophique.
Lorsque les festivités de décembre approchent, les Haïtiens ont pour habitude de faire des travaux chez eux pour embellir leurs maisons, aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur. Une tradition que la crise actuelle risque de faire disparaître. Dans une quincaillerie de la capitale Port-au-Prince, Joseph le gérant ne cache pas sa déception : “les recettes n’ont jamais été aussi faibles. En cette période de l’année normalement, les clients affluent en grand nombre pour acheter de la peinture et autres articles pour restaurer leurs demeures. Mais cette année, personne ne vient, même pas pour se renseigner sur les prix”.
Célestin, vendeur d’ustensiles de cuisine, abonde dans le même sens et ne cache pas son amertume : “Je comptais sur le temps des fêtes pour sauver une année particulièrement difficile. En temps normal, je fais mon meilleur chiffre en termes de vente au cours du mois de décembre”. Célestin partage avec nous son aigreur tout en gardant les yeux rivés sur la porte en attente d’un hypothétique client.
À quelques semaines de Noël, la tension dans les rues de la capitale reste palpable. L’activité commerciale tourne au ralenti, comme un peu partout dans le pays. La population boude les boutiques faute de moyens, mais aussi à cause d’une atmosphère sécuritaire malsaine. Lorsqu’il y’a des tirs dans les rues, personne ne sort. Face à une situation qui ne s’arrange pas, les commerces mettent les clés sous la porte les uns après les autres. Si rien ne change, ceux qui survivent tant bien que mal seront bientôt obligés de fermer à leur tour. La faillite guette l’ensemble de la profession, quelle que soit la taille du magasin ou le type de produits vendus. Même les commerçants informels ont du mal à joindre les deux bouts et traversent une phase très difficile. Si les politiques pensaient vraiment au peuple, ils déclareraient ne serait-ce qu’une trêve pendant cette période des fêtes pour que tout le monde puisse respirer un peu. Ce blocage général n’arrange personne. Il n’y a pas de gagnant dans toute cette histoire, il n’y a que des perdants.
Même le secteur des télécoms est en crise. Alors que les Haïtiens ont pour habitude de s’échanger des vœux de fin d’année avec leurs proches, qu’ils soient en Haïti ou à l’étranger, aujourd’hui, c’est le silence radio qui s’impose à tous. Les vendeurs de cartes de recharge mettent cela sur le compte d’un manque de liquidités qui pénalise la reprise des activités commerciales. Pour acheter des crédits de communication, du pain ou tout autre bien consommable, il faut de l’argent. Or, la plupart des banques sont fermées. Idem pour les agences de transfert d’argent comme Westen Union dont les portes restent désespérément closes. Cela empêche de nombreux Haïtiens de toucher l’argent envoyé par leurs proches depuis l’étranger.
Au-delà du problème de liquidités, la criminalité est un autre obstacle majeur à toute reprise normale des activités économiques. Jules, médecin gynécologue, a fermé son cabinet depuis qu’il a été victime d’une attaque à main armée initiée par deux individus cagoulés qui ont mis main basse sur sa maigre recette du jour. Pire, ils ont pris avec eux du matériel médical, même si celui-ci n’a pas de grande valeur sur le marché noir. D’après les dernières estimations, 96 gangs criminels sévissent dans le pays. Rackets, vols et trafics en tout genre gangrènent la majorité de nos villes. L’économie glisse doucement mais sûrement vers l’anarchie la plus totale. La police ne peut rien faire face à ce fléau, certains quartiers étant devenus hors de contrôle. L’absence de l’autorité de l’État est flagrante et laisse la place vide aux cartels et autres organisations criminelles qui agrandissent leurs territoires jour après jour en y imposant leurs propres lois. Le pire, c’est qu’on sait aujourd’hui qu’il existe un lien entre le monde politique et celui des gangs. Ces derniers vendent leurs services au plus offrant. Autant dire qu’on voit mal comment le gouvernement compte éradiquer des bandes criminelles qui ont réussi à infiltrer les arcanes du pouvoir.
La diaspora quant à elle voit tout cela avec un œil inquiet. Beaucoup d’Haïtiens de l’étranger qui avaient pour habitude d’aller se ressourcer auprès de leurs amis et parents en ces temps des fêtes ont dû revoir leurs plans. Les formations artistiques basées notamment en Floride et à New York ne seront pas aussi nombreuses cette fois-ci à se rendre en Haïti pour animer des soirées musicales. Pourtant, la fin d’année est censée être une période de réjouissances et de retrouvailles. Entre le 24 décembre (Noël), le 31 décembre (Jour de l’an), le 1er janvier (fête de l’indépendance), 2 janvier (jour des aïeux), et le 6 janvier (Epiphanie), c’est un manque à gagner énorme pour le secteur culturel et touristique. Que ça soit les hôtels, restaurants, agences de location de voitures, boites de nuit, c’est tout un pan de l’économie nationale qui va trinquer. Alors que les Haïtiens de la diaspora font tout pour revenir au pays pour y dépenser leur argent et aider à faire tourner l’économie locale, l’élite dirigeante elle prend le chemin inverse et préfère au contraire investir partout sauf en Haïti. Le comble, c’est que cette même élite est la première à venir nous faire la morale et nous dire quoi et comment faire. Qui a dit que le ridicule ne tue pas ?
Dessalines Ferdinand