Dans leur générosité, les États-Unis ont placé les Ukrainiens dans la liste des nationalités pouvant bénéficier de la protection TPS (statut de protection temporaire). Ainsi, tout citoyen ukrainien peut, depuis le 1er mars dernier, vivre et travailler librement aux États-Unis pour une période de 18 mois renouvelables si la situation en Ukraine n’évolue pas favorablement. Mieux, lors de sa tournée en Europe, Biden annonçait tambour battant que son pays ouvrait la porte à pas moins de 100.000 réfugiés ukrainiens.

Ce geste de solidarité est louable, car il est de notre devoir d’aider les gens qui souffrent et qui se retrouvent dans la rue du jour au lendemain. Les Ukrainiens n’ont pas demandé à être dans cette situation. Personne n’aime quitter son pays, sa maison, sa famille. Mais parfois, par la force des choses, on n’a pas le choix. Ainsi, depuis le début de l’invasion russe, pas moins de 6,5 millions d’Ukrainiens, en majorité des femmes, des enfants et des personnes âgées, ont quitté leur pays, les hommes entre 18 et 60 ans étant obligés de rester sur place pour se battre.

Là où le geste américain pose problème, c’est qu’il ne traite pas les réfugiés de la même manière selon leur nationalité. Ainsi, il semble y avoir une échelle de priorité, selon que vous soyez ukrainien, afghan ou haïtien. Déjà à l’époque de Trump, le gouvernement américain avait largement coupé les subventions d’aide. De ce fait, un réfugié qui débarque aujourd’hui aux États-Unis a toutes les chances de vivre dans des conditions difficiles, parfois encore plus difficiles que dans son pays d’origine.

C’est le cas notamment de Judeline, une enseignante qui vivait à Jacmel et qui a décidé de migrer avec sa petite fille de 5 ans après avoir été prise pour cible par les gangs à de nombreuses reprises. Craignant pour sa vie, mais aussi pour l’avenir de sa fille, elle a tout misé sur un long et périlleux voyage vers les États-Unis. Une fois arrivée sur le territoire américain, Judeline est accueillie par des agents de l’immigration qui la placent dans un centre pour migrants. Entassée avec d’autres familles, Judeline n’imaginait pas que ses premiers jours sur le sol américain se passeraient dans de telles conditions. Sa fille, qui se plaint souvent de maux de ventre, n’a plus fréquenté les bancs de l’école depuis presque un an. Heureusement, elle continue à l’éduquer tant bien que mal en attendant des jours meilleurs.

Le problème est qu’en plus de ses conditions de détention particulièrement difficiles, Judeline n’a pas l’assurance de pouvoir rester sur le territoire américain. En effet, son dossier risque d’être rejeté par l’administration américaine pour des raisons obscures. Si cela devait arriver, elle sera alors reconduite manu militari vers son pays d’origine via un vol charter. Or, en Haïti, la situation ressemble à s’y méprendre à celle d’un pays en guerre. À tel point que presque la moitié de la population est menacée par la malnutrition.

Que faut-il donc pour que l’administration Biden comprenne qu’un Haïtien souffre autant dans son pays qu’un ukrainien, si ce n’est plus. Renvoyer Judeline en Haïti, c’est la condamner elle et sa fille à retourner dans la misère et la violence. Les États-Unis d’Amérique, ce grand pays qui se proclame porte-drapeau de la liberté et de la démocratie seraient-ils en train de tourner le dos à ses propres valeurs?

Heureusement, face à une telle injustice, l’opinion publique ne reste pas silencieuse. Via les réseaux sociaux qui sont devenus une arme d’information massive, elle espère attirer les projecteurs sur cette injustice qui n’a que trop duré et qui n’a aucune explication logique. Il est inconcevable qu’on 2022, votre chance d’être accepté ou non en tant que réfugié soit liée à la teinte de votre peau. En somme, plus vous avez la peau foncée, plus vous avez de chance d’être refoulé du territoire américain. Un racisme d’un autre temps qui semble bien perdurer, même si le gouvernement américain s’en défend.

D’ailleurs, Trump n’avait-il pas traité Haïti et d’autres nations du tiers-monde de ‘pays de merde’? Ce langage montre que les États-Unis n’ont pas totalement tourné la page du racisme institutionnel qui perdure de façon presque génétique et de manière sournoise. La preuve, un Ukrainien a aujourd’hui 100% de chance de recevoir une réponse positive de la part de l’immigration américaine, alors qu’un Haïtien lui a 80% de chance d’être… déporté.

Le gouvernement a invoqué de nombreuses raisons pour essayer d’expliquer pourquoi les Haïtiens ne remplissent pas les critères d’acceptation. Mais toutes ces explications semblent injustifiées, voire inacceptables au regard du droit international. On peut donc dire sans hésitation que les États-Unis ont perdu toute crédibilité lorsqu’il s’agit de faire la morale à d’autres nations en ce qui concerne les droits de l’homme, car eux-mêmes ne respectent pas ces mêmes droits lorsqu’ils refoulent des réfugiés vulnérables. Comme dirait Sartre : ‘le premier des droits de l’homme, c’est le devoir pour certains d’aider les autres à vivre’. Une pensée qui est plus que jamais d’actualité et que l’administration américaine ferait bien de méditer.

Stéphane Boudin

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