Aussi longtemps qu’on s’en souvienne, Haïti n’a jamais eu un système éducatif digne de ce nom. Que ça soit au niveau de l’enseignement secondaire, professionnel ou supérieur, les carences sont telles que personne ne se fait plus aucune illusion quant à l’avenir éducatif de ses enfants sur le court ou moyen terme. D’ailleurs, il n’y a qu’à voir l’illettrisme qui touche la population en comparaison avec d’autres pays de la région Caraïbes pour se rendre compte de l’ampleur de notre retard. Ainsi, près de la moitié de la population est analphabète, ce qui, en 2018, est tout simplement inacceptable pour un pays qui veut s’engager sur la voie du développement et du progrès. Nos voisins de la République dominicaine ont par exemple un taux d’alphabétisation qui frôle les 90%.

Alors, pourquoi un tel écart ? À qui la faute ? Serait-ce dû à un manque de moyens? L’Haïtien serait-il moins intéressé par l’apprentissage et l’acquisition des connaissances que les autres ? Nos enfants sont-ils moins avides de lecture ? Nos concitoyens sont-ils moins portés à la science et au savoir ? Non! La réponse serait plutôt à aller chercher du côté des dirigeants qui se sont succédé à la tête de ce pays sans jamais lui donner un système éducatif à la hauteur de ses ambitions. Un malheur ne venant jamais seul, l’instabilité politique qu’a connue Haïti durant plusieurs décennies, conjuguée à une succession de catastrophes naturelles, ont fini par mettre l’école haïtienne à terre.

Prenons un président parmi d’autres comme exemple : Jean Bertrand Aristide. Pour arriver au sommet de l’État, il a dû promettre au peuple haïtien monts et merveilles. Mais une fois l’euphorie de la campagne électorale passée, le citoyen lambda s’est vite rendu compte de la supercherie et a fini par se résigner : l’éducation pour tous et l’égalité des chances, ce n’est pas pour demain. Il existe pourtant une université qui porte son nom à Tabarre, l’UNIFA (Université de la Fondation du Dr Aristide). Mais comble de l’ironie, même sa propre fille n’en veut pas, puisque cette dernière a préféré aller étudier à l’Université du Texas où elle vient d’obtenir sa graduation.

Ce prêtre défroqué a donc laissé tomber son pays de la même manière qu’il a laissé tomber l’Église catholique. Et ce n’est pas son nom apposé sur la façade d’une pseudo-université qui va changer la donne. Les partisans d’Aristide peuvent bien dénoncer des attaques ad hominem contre leur mentor, mais l’état de décrépitude de nos écoles ne plaide pas beaucoup en sa faveur.

Les opposants ne sont d’ailleurs pas mieux lotis. Eux qui fulminaient hier contre l’incompétence de l’ancien président, n’ont pas fait grand-chose une fois qu’ils sont arrivés au pouvoir. À croire qu’ambitions politiques et gestion de la chose publique ne font pas bon ménage en Haïti. Difficile donc de comprendre où va notre nation avec un attelage aussi inapte à sa tête.

Pour résumer, et selon notre grille d’analyse actuelle, la seule façon de donner une bonne éducation à ses enfants en Haïti aujourd’hui, serait de les expédier vers l’étranger. C’est ainsi que la classe moyenne envoie le plus souvent sa progéniture en République dominicaine pour parfaire son instruction, pendant que les riches eux préfèrent envoyer leurs enfants vers des cieux plus cléments comme le Canada, les États-Unis ou encore la France. Quant aux pauvres, ils vont trinquer comme toujours et devront se débrouiller avec les moyens du bord. Ne dit-on pas : “Le riche quand il veut, le pauvre quand il peut”.

Les maux dont souffre le système éducatif haïtien sont malheureusement devenus structurels. Les salles de classe sont bondées et les enseignants manquent de formation et de moyens pour remplir à bien leur mission. En résulte la recrudescence de l’échec scolaire qui atteint désormais des sommets, avec un taux de redoublement et d’abandon sans précédent. Pourtant, les réformes se sont succédé au gré des gouvernements, sans qu’une réponse de fond ne soit jamais apportée pour résoudre le problème. Au final, c’est une génération tout entière d’Haïtiens qui se retrouve prise en otage de l’avidité d’une petite minorité qui gère mal le pays et ne pense qu’au bien-être de son entourage le plus proche.

Le système de santé haïtien n’est pas mieux. Entre le mercantilisme de l’hôpital privé et le délabrement de l’hôpital public, le citoyen haïtien ne sait plus où donner de la tête en cas de pépin de santé. Par contre, nos dirigeants et hauts responsables eux n’ont pas ce problème, car ils disposent de moyens pour aller se faire soigner à l’étranger, parfois aux frais du contribuable. Souvenez-vous, en 2012, le président Michel Martelly, affecté par une embolie pulmonaire, avait dû se faire soigner en urgence à Miami. Quelques semaines plus tôt, le même Martelly subissait une opération pour une arthrose à l’épaule… toujours aux États-Unis. Si le premier citoyen du pays ne fait pas confiance à son propre système de santé, que doit en penser dès lors le peuple ? Nos dirigeants n’ont-ils pas un minimum d’amour propre pour étaler ainsi au grand jour leur incompétence dont ils sont eux-mêmes victimes ?

Certains disent que c’est par manque de moyens (comprenez d’argent) si nos hôpitaux sont dans un tel état de vétusté. Mais la vérité se cache ailleurs. Cuba n’a pas plus de moyens qu’Haïti, pourtant ils sont arrivés à avoir un système de santé qui n’a rien à envier aux grandes puissances. Cela prouve que si la volonté politique est là, on peut accomplir des miracles. Mais les miracles, le peuple haïtien n’y croit plus depuis des années déjà!

 

Le Floridien, 30 mai 2018

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