Depuis quelques années, la situation en Haïti est devenue de plus en plus complexe. Le pays, qui était déjà confronté à des problèmes économiques et politiques, a également dû faire face à une multiplication des gangs qui ont semé le chaos dans les rues des grandes villes. Dans ce contexte, deux grandes puissances internationales, la Chine et la Russie ont exprimé leur volonté de s’implanter dans le pays, notamment sur le plan militaire. Une avancée qui pourrait changer la donne géopolitique de la région.
La nature a horreur du vide
Pendant des années, les États-Unis ont été les principaux partenaires d’Haïti. Les relations entre les deux pays ont souvent été tendues, mais les États-Unis ont toujours apporté un soutien financier important au pays. Cependant, la situation s’est récemment détériorée et les États-Unis ont réduit leur soutien à Haïti, invoquant la corruption et la mauvaise gestion de l’aide internationale. Cette décision a laissé un vide que la Chine et la Russie ont rapidement cherché à combler.
L’histoire a maintes fois démontré que la nature a horreur du vide, et cela s’applique également aux relations internationales. Si les États-Unis et les puissances occidentales ne souhaitent plus s’investir en Haïti pour y rétablir la sécurité et la prospérité, d’autres nations sont prêtes à prendre leur place. En particulier, la Chine et la Russie ont de plus en plus cherché à étendre leur influence dans les régions où les pays occidentaux sont moins présents.
Mais que signifierait le retrait des États-Unis et des puissances occidentales en Haïti ? Les Haïtiens souffrent déjà de la pauvreté, de l’insécurité et de l’instabilité politique. Occidentaux décidaient de se retirer complètement, cela ne ferait qu’aggraver la situation. La Chine et la Russie pourraient alors être perçues comme des sauveurs, mais à quel prix ?
En effet, la Chine et la Russie ont des intérêts économiques et géopolitiques différents de ceux des pays occidentaux. La Chine, par exemple, est en train de gagner du terrain pour devenir le principal investisseur étranger en Haïti, bien qu’elle soit critiquée pour sa stratégie d’endettement qui peut mettre les pays en difficulté financière à long terme. La Russie, quant à elle, cherche à accroître son influence dans la région des Caraïbes et a déjà proposé son aide pour sortir Haïti de la crise, un ‘geste’ qui a eu le don d’irriter les États-Unis qui voient d’un mauvais œil cette intrusion dans leur chasse gardée.
Cela étant, il est important de noter que la Chine et la Russie ne sont pas des acteurs philanthropes, mais plutôt des acteurs qui cherchent à accroître leur pouvoir et leur influence dans le monde. En somme, les grandes puissances se bousculent pour accroître leur emprise sur les pays à faible revenu afin d’en faire des colonies d’une nouvelle ère.
La Chine prépare le terrain en tant que future première puissance mondiale
Depuis quelques années déjà, les États-Unis se sentent bousculés par le développement spectaculaire de la Chine qui ne cesse d’étendre son influence partout à travers le monde. En représailles, les Américains contre-attaquent sur le plan économique en mettant des bâtons dans les roues de grosses boîtes chinoises comme Huawei ou encore Tik Tok. Mais jusqu’à quand? Les Américains essaient de retarder l’échéance, mais tout le monde s’accorde à dire que la Chine prendra tôt ou tard le statut de superpuissance mondiale au cours de ce siècle.
Dans cette optique, les Chinois ont déjà dans leurs cartons des plans d’investissements massifs dans l’économie haïtienne, avec notamment la construction d’une centrale électrique à gaz pour 1000 millions de dollars, la rénovation de l’aéroport international Toussaint Louverture à Port-au-Prince pour 150 millions de dollars, du futur parlement, du palais des Finances (ministère, Douanes, DGI) et divers projets d’infrastructure de grande envergure. On parle de contrats dont la valeur totale dépasse le milliard de dollars, avec toujours le même modus operandi : les Chinois viennent avec le financement, les études, la mise en œuvre et la supervision des projets. Des projets clé en main qui ont déjà permis à l’empire du Milieu de conquérir de nombreux marchés africains, au nez et à la barbe de la France et sa politique prédatrice postcoloniale qui a imposé pendant des décennies des dictateurs à la tête de pays africains pour qu’ils défendent ses intérêts.
Le rapprochement de la Chine ne se limite pas à l’économique et couvre tous les domaines. En juillet 2021, la Chine a ainsi annoncé qu’elle allait envoyer une équipe médicale en Haïti pour aider à lutter contre la propagation du COVID-19. Peu après, des rumeurs ont commencé à circuler selon lesquelles la Chine pourrait également envoyer des troupes pour aider à rétablir la sécurité dans le pays. Bien que la Chine ait nié ces rumeurs, il est clair que le pays cherche à renforcer sa présence en Haïti.
Cela étant, les chinois ne sont pas non plus des enfants de chœur. En retour de leurs lourds investissements et de leur aide, ils comptent obtenir des concessions pour exploiter des mines, mais aussi signer des accords commerciaux avantageux. De plus, l’intérêt de la Chine pour Haïti ne se limite pas à l’économie. En effet, le côté politique n’est jamais bien loin. En effet, les investissements économiques sont devenus le bras armé de la Chine pour renforcer ses ambitions géopolitiques, mais aussi pour isoler Taiwan sur le plan diplomatique. Car faut-il le rappeler, Haïti est l’un des rares pays au monde qui entretient encore des liens diplomatiques avec Taiwan, au détriment du géant chinois. Une ‘anomalie’ que les Chinois comptent bien réparer tôt ou tard, comme ils viennent de le faire avec le Honduras.
La Russie veut réussir là où l’Union soviétique a échoué
Des documents confidentiels du Pentagone ont été divulgués récemment, exposant les ambitions mondiales de la compagnie de mercenaires russes Wagner Group. Cette organisation, dirigée par Yevgeny Prigozhin, un oligarque et chef d’entreprise proche de Vladimir Poutine, est connue pour sa brutalité, que ce soit en Ukraine ou dans d’autres contrées du monde. Selon ces documents classifiés et confidentiels du Département de la Défense américain qui se sont retrouvés en ligne, des associés de la société de mercenaires russes Wagner Group ont planifié une visite en Haïti pour chercher des contrats gouvernementaux possibles qui pourraient les amener à combattre les gangs locaux. Ce groupe de mercenaires dirigé par un proche associé du président russe Vladimir Poutine a des ambitions d’étendre son champ d’action en Amérique, à seulement 800 miles au sud de la Floride.
Il faut savoir que les unités du groupe Wagner sont très présentes en Ukraine, recrutant des prisonniers pour des assauts terrestres sanglants. Les légionnaires de ce groupe classé comme une organisation criminelle internationale par le gouvernement américain sont également déployés en Afrique, notamment en République centrafricaine et au Mali. Il est important de noter que l’envoi de mercenaires russes si près des États-Unis représenterait une escalade des tensions entre le Kremlin et Washington, et nécessiterait très probablement une réaction américaine.
Heureusement pour l’administration Biden, Wagner Group commence à connaître quelques difficultés au niveau du financement et de l’approvisionnement en personnel, subissant des pressions croissantes de la part du Kremlin, bien que ce dernier a parfois peur d’en perdre le contrôle. Bien que la compagnie ait gagné une funeste notoriété pour son déploiement en Ukraine et en Afrique, elle n’a pas les ressources pour être partout. Cela laisse une certaine marge de manœuvre aux Américains pour qu’ils anticipent toute implantation des Russes à quelques miles de leurs côtes, d’autant que l’autre grande île de la région, Cuba, est connue pour être une fidèle alliée de la Russie depuis l’époque de la guerre froide.
Ce qui est sûr, c’est qu’Haïti est devenu un terreau fertile pour les mercenaires et groupuscules armés en tout genre, qu’ils soient liés à des États, aux cartels de drogue, ou encore à des politiciens qui cherchent à prendre le pouvoir par la force. Le débarquement de mercenaires colombiens responsables de l’assassinat de Jovenel Moïse est encore dans toutes les mémoires. Ce sanglant épisode qui a précipité notre pays dans le chaos montre à quel point notre pays n’est pas préparé pour faire face aux assauts extérieurs, surtout ceux émanant de grandes puissances qui disposent de moyens considérables.
Haïti devient un enjeu géostratégique majeur dans la région des Caraïbes
Les États-Unis considèrent Haïti comme faisant partie de leur sphère d’influence, et l’arrivée de la Chine et de la Russie représente une menace pour cette position. Au-delà de ces motivations économiques et géopolitiques, la présence chinoise et russe en Haïti soulève des inquiétudes quant au respect des droits humains et de la démocratie dans le pays. En effet, ces deux pays ont une réputation de non-respect des libertés individuelles et de répression politique.
L’arrivée de ces puissances étrangères pourrait donc remettre en question, voire retarder l’instauration d’une véritable démocratie en Haïti. Cela est particulièrement préoccupant étant donné la situation politique actuelle du pays qui est déjà confronté à des tensions et à des violences liées à la légitimité de son gouvernement.
Il est important de noter aussi que les États-Unis, qui ont historiquement été très impliqués dans les affaires haïtiennes, sont également confrontés à un dilemme. D’un côté, ils ont traditionnellement été un soutien de la démocratie et des droits humains dans le pays, mais d’un autre côté, ils ont également joué un rôle dans les crises politiques et économiques qui ont secoué Haïti ces dernières années. Cette ambigüité dans la politique américaine vis-à-vis d’Haïti est du pain béni pour la Chine et la Russie qui veulent proposer de nouvelles alternatives.
Il est donc essentiel que nous soyons, nous haïtiens, vigilants et que nous suivions de près les développements en Haïti afin de nous assurer que toute intervention étrangère dans le pays respecte les normes internationales en matière de droits humains et de démocratie. Les Haïtiens ont le droit de vivre dans un pays pacifique et prospère, mais cela ne peut être réalisé que si leur souveraineté est respectée et que les interventions étrangères sont guidées par des principes éthiques et de coopération plutôt que d’intérêts géopolitiques.
Ce qui est sûr, c’est que la question de savoir qui investira en Haïti pour rétablir la sécurité et la prospérité est moins importante que la manière dont cela sera fait. Les Haïtiens méritent une aide qui soit motivée par des considérations altruistes et non hypocrites. Si les pays occidentaux se retirent d’Haïti, ils doivent veiller à ce que ceux qui prennent leur place le fassent avec le même engagement envers la stabilité, la démocratie et le bien-être du peuple haïtien.
Dessalines Ferdinand / LE FLORIDIEN