La diaspora peut beaucoup apporter à l’économie haïtienne, encore plus que ce qu’elle ne fait déjà. Malheureusement, la situation politique et sécuritaire sur place n’encourage pas d’aller y investir en ce moment, ni même de visiter en tant que touriste tant les risques sont grands. On peut dire que les gangs et les politiciens ont fini par couper les ponts entre la diaspora haïtienne et son pays d’origine. Mais nul doute que le jour viendra où cette même diaspora prendra sa revanche.
Une économie largement tributaire des transferts d’argent de la diaspora
Dictature, révolution, catastrophe naturelle… quelle que soit la crise que traverse notre pays, la diaspora a toujours été là pour le soutenir et lui venir en aide, principalement sur le plan économique.
De même, les liens et la solidarité familiale étant très forts dans notre culture, les haïtiens de l’étranger n’oublient jamais d’envoyer de l’argent aux proches restés au pays et qui se battent au quotidien pour survivre.
De sorte que l’économie haïtienne est devenue largement tributaire de ces fonds envoyés par les haïtiens des quatre coins du monde, principalement des États-Unis et du Canada où se concentre la majeure partie de la diaspora.
D’après les dernières statistiques fournies par la Banque Mondiale, le transfert des haïtiens de l’étranger représente pas moins d’un tiers de l’économie locale.
Beaucoup pensaient qu’avec l’avènement du Covid-19 qui a lourdement touché le portefeuille de cette même diaspora, les transferts allaient diminuer. C’est tout le contraire qui s’est produit puisque même durant la pandémie du coronavirus, les fonds envoyés vers Haïti ont continué d’augmenter, battant ainsi de nouveaux records.
Entre 2019 et 2020, les transferts ont ainsi connu une croissance de l’ordre de 14% pour atteindre le chiffre de 3,8 milliards de dollars. De mémoire d’haïtien, on n’avait jamais vu ça. Preuve en est de l’attachement des haïtiens envers leur pays d’origine.
Un environnement qui n’encourage pas les investissements
Si le transfert de fonds émanant de l’étranger a explosé tous les records, pourquoi l’économie haïtienne ne décolle pas? La raison est simple, l’argent envoyé vers Haïti sert rarement à porter des projets créateurs d’emploi, mais plutôt à soutenir la population locale (la famille) à subvenir à ses besoins et boucler les fins de mois. En d’autres termes, on est plus dans l’assistanat que dans des investissements créateurs de valeur. Et c’est bien dommage.
La faute à un climat politique délétère exacerbé par les violences quotidiennes que connaît notre pays. Comment voulez-vous qu’un Haïtien vivant à Miami par exemple aille ouvrir un hôtel ou un restaurant alors que notre pays est placé dans la liste rouge des destinations les plus dangereuses au monde? Ce serait suicidaire. Cela sans parler du fait que les investisseurs étrangers (qu’ils soient haïtiens ou pas) ne sont pas assez protégés par les lois locales. Ainsi, si jamais un dirigeant ou un homme d’affaires issu du système trouve que vous venez le ‘gêner dans son territoire’, il ne va pas hésiter à vous mettre des bâtons dans les roues pour casser votre business. Et ne comptez pas sur la justice pour vous protéger, car la justice s’achète en Haïti comme n’importe quel autre bien de consommation. C’est celui qui saura mettre le prix qui aura gain de cause.
On peut citer l’exemple de Jessica (nom d’emprunt car l’intéressée a souhaité gardé l’anonymat), une habitante de Miami Lakes d’origine Haïtienne qui a décidé de revenir au pays pour y ouvrir une maison d’hôte, plus précisément au Cap-Haïtien. Jessica est infirmière de profession. Elle a toujours rêvé de revenir un jour dans son pays natal pour y monter sa petite affaire. Pour cela, elle a réussi à économiser 80.000$ après des années de dur labeur. Au pays, elle avait pour ambition de recruter 14 employés, dont la moitié issue de sa propre famille. Mais une fois sur place, Jessica a vite déchanté.
Tout d’abord, l’administration locale n’a rien à voir avec ce que Jessica a l’habitude de voir en Floride. Les responsables sont là pour vous dépouiller et non pour vous aider à réussir votre projet. Tout est bon pour vous soutirer de l’argent. Par exemple, pour obtenir l’autorisation d’ouvrir un hébergement touristique, Jessica a dû frapper à la porte de plusieurs administrations qui ont fait traîner son dossier durant des mois. Découragée, elle a engagé un cousin qui connaît bien les rouages de l’administration locale et qui s’est chargé de soudoyer les bonnes personnes pour débloquer la situation.
Mais une fois la maison d’hôte ouverte, Jessica n’était pas au bout de ses peines. En effet, la situation sécuritaire n’a eu de cesse de se détériorer, avec des kidnappings et des violences quotidiennes. De sorte que même la diaspora, qui est pourtant sa clientèle cible, commençait à se faire rare. Voyant le nombre de visiteurs se tarir, Jessica a dû revoir ses ambitions à la baisse. Des 14 employés qu’elle avait engagés au départ, elle n’en n’a gardé que 5. Et malgré ça, le projet a du mal à décoller faute de clients. Après 5 ans d’efforts, le Covid est venu porter le coup de grâce au projet de Jessica qui a finalement fermé boutique. Amer, elle est retournée en Floride reprendre le métier d’infirmière. Lorsqu’on lui pose la question à savoir si elle serait prête à retenter l’expérience une autre fois, sa réponse est catégorique : ‘’Sûrement pas. J’ai été naïve de penser que le gouvernement local allait me faciliter la tâche. On m’avait promis beaucoup de choses, mais une fois sur place, j’ai découvert que la réalité est toute autre. Les responsables là-bas n’ont aucune vision à long terme. Dès qu’ils vous voient venir avec des dollars, cela attise leur gourmandise. Au lieu de vous aider, ils font tout pour vous soutirer de l’argent. À la longue, ça décourage et vous finissez par tout abandonner’’.
Le futur d’Haïti lié à sa diaspora
Malgré toutes ces difficultés. Il est indéniable que notre pays regorge de ressources pour rebondir. La première ressource est humaine. Il y a toute cette jeunesse haïtienne qui ne demande qu’à travailler, pour peu qu’on lui en donne les moyens. Il y a aussi cette grande communauté haïtienne vivant à l’étranger, bien éduquée et formée, qui ne demande qu’à revenir au pays pour y investir, mais aussi pour lui faire profiter de son talent et de son savoir. Les Haïtiens vivant à l’étranger, c’est plus de 3 millions de personnes, représentant presque le quart de la population totale du pays. Imaginez tout ce que cette communauté peut apporter si on lui offrait l’environnement adéquat pour revenir et reconstruire le pays.
Un exemple parmi d’autres, Michaëlle Jean, femme qui a eu un parcours journalistique hors norme, avant de devenir Gouverneure Générale du Canada puis Secrétaire Générale de la Francophonie. Avec un tel CV qui toise les étoiles, elle aurait pu lorgner pour d’autres postes de prestige. Mais malgré cela, elle a préféré aider son pays d’origine dans un domaine particulier dans lequel on l’attendait pas : le football.
Après le scandale de viols qui a secoué la fédération nationale et conduit à l’exclusion à vie de son ex-Président Yves Jean Bart, Michaëlle Jean a été choisie pour sa probité incomparable, mais aussi pour sa neutralité dans un pays où le pouvoir s’exerce par clans et convergence d’intérêts. Car c’est bien là le problème majeur dans notre pays, chacun agit pour soi au lieu d’agir pour le bien de tous. Une mentalité qui prend du temps à se mettre en place, mais que la diaspora a déjà bien assimilée et pourrait aider à implémenter plus facilement dans son pays d’origine.
Stéphane Boudin
Le Floridien, 31 juillet 2022