Depuis le 7 février, le pays est entré dans une phase critique. D’un côté, l’opposition qui exige la démission de Moïse, puisque selon elle, celui-ci est arrivé au terme de son mandat. D’un autre côté, Moïse qui refuse d’abdiquer et fait tout pour saboter l’unité de l’opposition. Mais lorsque l’on parle de “l’opposition”, de qui parle-t-on au juste? De la société civile qui aime son pays et cherche à le préserver de toute dérive autoritaire, ou bien de ces vieux partis opportunistes qui profitent de la moindre occasion pour prendre la place du calife?

La carte politique haïtienne est plus que jamais sclérosée. Les partis politiques se sont tellement multipliés qu’ils se comptent par dizaines. Certains jouent la carte de la religion pour séduire (mouvement chrétien pour une nouvelle Haïti, Union nationale chrétienne pour la reconstruction d’Haïti), d’autres se revendiquent comme des démocrates libéraux, des socio-démocrates, voire comme des bâtisseurs. Et lorsque les idées viennent à manquer, certains ne se cassent pas la tête et se présentent comme des défenseurs d’une corporation précise (Action coopérative pour construire Haïti, Affaire paysanne avec le peuple haïtien). Ce foisonnement de partis ne montre qu’une chose, l’hypocrisie générale dans laquelle baignent nos politiciens. Si cette tendance continue, il y a fort à parier qu’un jour, on se retrouvera avec un parti politique pour… chaque quartier.

Pour le moment, seul le parti au pouvoir, le Parti Haïtien Tèt Kale (PHTK), dispose d’une certaine visibilité puisque c’est lui qui dirige actuellement le pays. Tous les autres ont sombré dans l’anonymat depuis la dissolution du parlement par Moïse il y a plus d’un an de cela. D’ailleurs, le Chef de l’État a voulu capitaliser sur cette avance stratégique pour asseoir son pouvoir. L’objectif étant de renforcer son score aux prochaines législatives et faire mieux que les 32,28% de voix obtenues en 2016. Mais c’est sans compter sur la vigilance des Haïtiens qui ne l’entendent pas de cette oreille et vont tout faire pour contrer les plans du Président. Malheureusement, nos concitoyens ne disposent pas d’un réel parti d’opposition qui apporte une véritable alternative et en qui les Haïtiens peuvent se projeter.

Depuis quelques semaines, on entend surtout parler de l’opposition radicale. Celle-ci regroupe principalement des pieds nickelés provenant d’Ayiti an Aksyon (AAA), du Mouvemement chrétien pour une nouvelle Haïti (Mocherenah), de l’Organisation du peuple en lutte (OPL) et d’autres formations politiques. Cette union de circonstance vise principalement à faire front contre Moïse qui a considérablement renforcé son pouvoir à tous les niveaux. Or, à part sa volonté de destituer le Président actuel, l’opposition ne propose rien de concret pour sortir le pays de son marasme socio-économique. C’est cette absence de projet politique qui fait dire aux Haïtiens que l’opposition ne vaut pas mieux que le pouvoir en place.

N’ayant rien de concret à proposer, l’opposition a fait de l’expulsion de Moïse son fonds de commerce. Elle espère ainsi convaincre les Haïtiens à se joindre à elle en naviguant sur l’impopularité historique du Président de la République. Or les Haïtiens ne sont pas dupes et n’entendent pas se soumettre à l’opportunisme de cette opposition-là. Car, à quoi bon chasser un Président incompétent si c’est pour le remplacer par un autre encore plus mauvais? Cela explique le manque d’engouement d’un grand nombre d’Haïtiens pour aller manifester sous le drapeau de “l’opposition radicale”.

Voyons que les Haïtiens n’ont pas mordu à l’hameçon aussi facilement qu’elle l’espérait, l’opposition a essayé de récupérer le mouvement contestataire des agents de la police nationale, notamment ceux du groupe “Fantôme 509”. Là encore, elle a fait chou blanc. En dernier recours, elle a donc jeté son dévolu sur les juristes du pays qui eux aussi estiment que Moïse devrait quitter sa fonction le 7 février 2021. Cela dit, l’opposition a certainement dû mettre de l’eau dans son vin puisque parmi les candidats provisoires pour remplacer le Président actuel, 3 sont des juges. Cela montre qu’il y’a certainement eu un marchandage pour découper l’échiquier politique post-Moïse.

Comment faire dès lors pour s’affranchir de tous ces politiciens corrompus qui privilégient leurs propres intérêts à celui de la nation? De plus en plus de voix commencent à se lever pour exiger l’instauration d’un gouvernement de transition qui soit composé uniquement de technocrates sans étiquette politique. Et ce n’est pas les choix qui manquent. Nombreux sont les Haïtiens talentueux qui peuvent prétendre à remplacer les membres de ce gouvernement véreux. De la même manière que Michaëlle Jean a été appelée à la rescousse pour reprendre en main la Fédération haïtienne de Football suite au scandale sexuel qui l’a secouée, ne pouvons-nous pas envisager une personnalité publique neutre, qu’elle soit issue du pays ou de la diaspora, pour diriger le pays et lui donner un nouveau souffle. Ça serait une bonne façon de réconcilier les haïtiens avec la politique, mais surtout de donner un bon coup de balai pour débarrasser le pays de ces opportunistes qui sont prêts à vendre leur âme au diable pour accéder au pouvoir.

Stéphane Boudin

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