Alors que le scandale PetroCaribe bat son plein et mobilise la société civile à travers les médias sociaux, l’ancien Président Martelly se retrouve aujourd’hui sous le feu des critiques pour des paroles saugrenues qu’il aurait tenues en janvier dernier. Michel Martelly a en effet affirmé que l’argent de PetroCaribe qu’il a pris soin de détourner a été réinvesti dans de prestigieuses enseignes hôtelières : Best Western, Marriott et El Rancho. Il n’en fallait pas plus pour faire bondir les gérants de ces établissements de leurs fauteuils bien douillets. Ils ont aussitôt démenti ce qu’ils qualifient de calomnies puériles, et ont demandé à Martelly de retirer immédiatement ses propos et de présenter des excuses publiques, sous peine de poursuites judiciaires. Ce que le principal intéressé s’est empressé de faire sans rechigner. On aurait dit un mauvais garçon qui se fait taper sur les doigts par ses maîtres pour avoir fait une plaisanterie de mauvais goût. Mais qu’est-ce qui lui est passé par la tête pour débiter de telles sottises ?
Voilà donc un ex-président qui doit trouver le temps bien long depuis qu’il n’est plus au pouvoir, et qui cherche par tous les moyens à créer le buzz afin d’attirer un peu de lumière envers sa petite personne, et ce quel qu’en soit le prix. L’ancien chef de l’État haïtien, qui est resté 4 ans et 8 mois au pouvoir (2011-2016), a cru bon de faire étalage d’un humour de caniveau au moment où la population demande des comptes à ses dirigeants concernant l’argent dilapidé de Petro Caribe. Martelly n’a pas compris que ses déclarations ont raisonné comme une fausse note dans un climat politique particulièrement tendu. De telles balivernes de la part d’un ancien chef de l’État sont inadmissibles et inacceptables. D’autant plus que lui-même fait partie des responsables soupçonnés de mauvaise gestion de la chose publique, et qu’il sera sommé tôt ou tard de venir s’expliquer sur le magot qui s’est volatilisé notamment durant sa présidence.
Le comble, c’est qu’après s’être fendu d’un communiqué laconique où il présente ses plus plates excuses aux dirigeants des enseignes visées par ses fabulations déplacées, Martelly croyait avoir fait amende honorable et que la page allait être définitivement tournée. Il n’a pas jugé opportun de présenter également ses excuses au peuple haïtien, qui est tout de même le premier concerné par toute cette histoire. Autant il s’est rapidement mis à genoux devant les riches investisseurs pour improviser un exercice de contrition improbable, autant pour l’haïtien moyen, il n’a jamais eu la moindre pensée. Cela montre le degré de dédain et d’arrogance qu’une majorité de nos dirigeants ont toujours eu pour la population. Un tel mépris envers l’intelligence du peuple est lamentable.
La blague déplacée de Martelly tombe cependant à pic, puisqu’elle vient dépeindre de façon presque caricaturale le comportement vénal qui caractérise nos décideurs. Elle met en lumière le « deux poids, deux mesures » de la classe politique lorsqu’il s’agit de rendre des comptes. En effet, force est de constater qu’aux nantis qui contrôlent l’économie du pays, il n’a pas fallu plus de 24 h à Martelly pour venir demander pardon. Au peuple haïtien par contre, rien ! Ni compassion, ni empathie. Martelly ne s’intéresse aux petites gens que pour quémander leurs voix lors des élections, ou encore pour faire la promotion d’un nouvel album. Sinon, il reste retranché dans sa tour d’ivoire et contemple la misère de ses concitoyens d’en haut. Car il parait que la pauvreté est une maladie contagieuse !
Voilà donc où on en est en 2018 ! Entre les discours édulcorés de nos politiciens et une réalité plus prosaïque sur le terrain, il y’a un énorme fossé qui ne cesse de grandir. Le peuple haïtien ne peut se projeter dans le futur sans se réconcilier avec son passé, et cela passe forcément par des enquêtes indépendantes sur les pillages à grande échelle qui ont mis à sac le pays. Martelly suggère dans sa lettre de repentance qu’il est favorable à ce que toute la lumière soit faite sur la gestion des fonds de Petro Caribe. Il pourrait alors commencer par nous expliquer ce que son gouvernement a fait de tout cet argent lorsqu’il était lui-même au pouvoir. Quand les journalistes lui posent la question pour essayer d’en savoir un peu plus, Sweet Micky répond le plus souvent avec virulence et acrimonie, comme s’il avait quelque chose à se reprocher ou qu’il soit coupable d’une horreur.
Pendant ce temps, Réginald Boulos, l’omnipotent président de la Société Immobilière et Financière (SIF) et propriétaire de l’hôtel NH El Rancho, est revenu à la charge. Il trouve que le repentir de Martelly formulé par lettre n’est pas suffisant, et que ce dernier doit faire bien plus s’il veut que ses anciens « associés » passent l’éponge. Autrement dit, les caciques du pouvoir économique souhaitent humilier l’ex-président qui, après s’être mis à genoux pour demander pardon, doit maintenant ramper par terre en espérant que ses mentors vont l’absoudre de ses enfantillages. Martelly ne peut s’en prendre qu’à lui-même, car en tant qu’ancien chef de l’État, il a un devoir de réserve qui ne lui permet pas de dire tout et n’importe quoi. Ses amis les riches n’ont pas attendu longtemps pour le lui faire savoir, et ils sont en train de lui donner une bonne leçon qu’il n’est pas prêt d’oublier de sitôt. Sweet Micky va peut-être comprendre qu’on ne danse pas avec le diable comme on danse le compas.
DF/LE FLORIDIEN, 13 septembre 2018