Alors que Jovenel Moïse se retrouve en ce début d’année seul aux commandes du pays, les Haïtiens sont curieux de voir comment il va gérer un système de santé qui peine à répondre à sa mission première : soigner les malades. Pour ce qui est des promesses et des effets d’annonce, les Haïtiens ne doutent pas des capacités de leur Président qui est devenu champion toutes catégories en la matière. Mais lorsqu’il s’agit de passer à l’exécution, les patients haïtiens doivent se montrer… patients. En bon démagogue, Jovenel sait trouver les mots qu’il faut pour dire pourquoi rien ne fonctionne. Bien entendu, c’est toujours la faute des autres : les opposants, les gouvernements précédents, les contestataires, la conjoncture, la communauté internationale. Et pourquoi pas la météo ? En tout cas, les professionnels de la santé ne lui font plus confiance et réclament eux aussi la démission du Chef de l’État pointé du doigt pour son inaptitude à répondre à leurs doléances. Pour mémoire, dans sa longue liste de promesses durant sa campagne électorale, Jovenel s’était engagé à ce que chacune des 130 sections communales ait un centre de santé et une ambulance. Bien entendu, rien de cela n’a vu le jour.
La politique de Jovenel se limite à faire de petites retouches cosmétiques et ponctuelles, en prenant toujours soin au passage d’en tirer un maximum de profit pour ‘soigner’ son image. C’est dans cette optique qu’il a décidé d’octroyer 40 millions de gourdes à l’hôpital de la Communauté haïtienne à Petion-Ville, un établissement construit en 1972 et qui est devenu l’ombre de lui-même ces dernières années. Or injecter de l’argent à doses homéopathiques dans un hôpital lambda ne règlera pas le problème sur le long terme s’il n’y a pas en parallèle une réelle politique de remise à niveau et de suivi. Il est indispensable que le budget alloué à la santé soit à la hauteur des besoins colossaux de la population en termes de soins. Il faut dire que les centres hospitaliers du pays manquent de tout : personnel soignant, médicaments, banque de sang, oxygène, ou carburant pour transporter les malades dans un état critique. Pire, le parlement haïtien s’est octroyé un budget de fonctionnement qui dépasse celui du système de santé de l’ensemble du pays. Nos élus estiment donc que leur confort est plus important que la vie de leurs concitoyens. Sur l’échelle de l’hypocrisie politique, il est difficile de faire mieux.
D’un autre côté, l’octroi d’un budget conséquent au secteur de la santé ne suffira pas à régler le problème. Derrière, il faut obligatoirement disposer d’une bonne gestion d’ensemble, avec une politique claire et une stratégie volontariste. Nos voisins cubains peuvent être pris en exemple, eux qui sont arrivés avec peu de moyens à développer un système de santé universel de qualité qui n’a rien à envier à celui des pays industrialisés. Cuba est même devenu en un demi-siècle une référence mondiale dans le domaine, dépassant même les États-Unis dans le classement des mécanismes de financement les plus justes (même après l’ObamaCare que Trump essaie tant bien que mal de démanteler). En Haïti, même nos responsables politiques n’ont pas confiance dans un système de santé qu’ils ont pourtant eux-mêmes mis en place. Lorsqu’un haut placé ou un membre de sa famille rencontre un problème de santé sérieux, son premier réflexe est d’aller se faire soigner à l’étranger. Le peuple, lui, n’a qu’à se débrouiller avec des hôpitaux désuets où certains en ressortent encore plus malades que lorsqu’ils y sont entrés. Et la situation a empiré dernièrement avec les blessures par balles liées à la grande criminalité. Beaucoup de victimes arrivent avec des lésions graves qui nécessitent une lourde prise en charge médicale. Par manque de moyens, un bon nombre succombe. Idem pour la mortalité maternelle où Haïti est classé en bas du tableau avec 480 décès pour 100 000 naissances vivantes, soit X240 fois plus que des pays comme l’Italie ou la Pologne qui n’enregistrent que 2 décès.
Récemment, le Coronavirus (renommé 2019-nCoV) a ravivé l’inquiétude des Haïtiens qui craignent une nouvelle épidémie alors qu’ils viennent tout juste de tourner la douloureuse page du choléra. Le gouvernement lui s’est empressé de rassurer la population en arguant qu’il a pris toutes les mesures qui s’imposent pour y faire face. Le 27 janvier, de hauts responsables du ministère de la Santé indiquaient qu’il n’y avait pas lieu de s’affoler outre mesure. L’opinion publique n’a pas pour autant été convaincue, d’autant plus que les autorités ne disposaient pas du matériel nécessaire pour détecter le nouveau virus si jamais un voyageur étranger se présentait avec des symptômes suspects. Ce n’est que 2 semaines plus tard, soit le 12 février, que le ministère de la Santé a enfin reçu les matériels et intrants indispensables pour établir un bon diagnostic. L’OMS d’ailleurs ne s’en cache pas. Elle craint que des pays sous-équipés comme Haïti ne se transforment en terreaux d’où se propagera une pandémie incontrôlable.
Encore une fois, le gouvernement Jovenel ferait mieux de jouer la carte de la transparence, car la vérité finit tôt ou tard par se répandre, un peu comme le virus justement. Les Chinois, qui disposent de moyens considérables et d’un savoir-faire établi ont réussi à construire un hôpital pour 1000 patients en seulement 10 jours. En Haïti, cela fait 10 ans que la population attend la reconstruction de l’hôpital général de 534 lits (Hôpital de l’université d’État), et personne ne sait à ce jour quand le chantier sera livré, et encore moins comment son fonctionnement sera financé. Même s’il n’est pas totalement irréprochable dans sa gestion du Coronavirus, le gouvernement de Pékin a tout de même réussi la prouesse de mettre en quarantaine une agglomération de 11 millions d’habitants, soit une population équivalente à celle d’Haïti. Malgré cela, les autorités chinoises préconisent la prudence, reconnaissant que la partie est loin d’être gagnée. Le gouvernement haïtien lui se montre serein comme à son habitude, tel un colosse aux pieds d’argile. Mais alors, pourquoi n’a-t-il pas pu organiser le rapatriement des…3 Haïtiens bloqués à Wuhan, à l’instar d’autres pays qui ont évacué leurs ressortissants par centaines ?
Au début du mois, il a suffi qu’un avion avec à son bord 11 passagers chinois fasse une escale technique à l’aéroport Toussaint-Louverture pour que la psychose gagne la population. L’explication à cette panique générale est toute simple : la parole du gouvernement n’a plus aucune valeur, ce qui a rendu nombre d’Haïtiens vulnérables aux rumeurs. Il ne nous reste plus qu’à croiser les doigts pour qu’aucun cas de Coronavirus ne se déclare d’ici à la fin du Carnaval, autrement, ce n’est pas à un défilé de chars auquel on assisterait, mais à un défilé de cercueils.
Stéphane Boudin