Un garde-frontalier à cheval repousse à l’aide d’un fouet des migrants haïtiens sans défense. L’image, à la fois choquante et bouleversante, a fait le tour du monde. Le pays de l’Oncle Sam, qui ne cesse de donner des leçons aux autres nations en termes de droits de l’homme est aujourd’hui confronté à ses propres démons. La gestion de la crise migratoire soudaine à laquelle l’administration Biden a été confrontée est un échec total. Mais cela a eu au moins le mérite de montrer qu’abandonner Haïti à son triste sort n’est pas sans conséquence.
Un afflux soudain mais attendu
Les milliers d’Haïtiens qui ont réussi à passer de l’autre côté de la frontière sont entassés dans des conditions inhumaines et sous une chaleur suffocante, alors que d’autres sont expulsés manu militari vers Haïti, brisant brutalement le rêve de centaines de familles qui étaient à deux doigts d’atteindre leur objectif, celui de vivre dignement et de reconstruire leur vie. En 10 jours, pas moins de 4000 Haïtiens ont ainsi été expulsés vers Port-au-Prince. Un chiffre hallucinant qui montre clairement qu’on est en train d’assister à une déportation de masse. Des dizaines de vols se sont succédé, la moitié des passagers étant composée de femmes et d’enfants. L’autre constat est qu’un grand nombre vivait au Brésil ou au Chili.
Le retour en Haïti risque donc d’être particulièrement difficile, certains ayant quitté le pays depuis de nombreuses années et ne sont donc pas habitués aux violences et à l’absence de services essentiels (santé, éducation).
L’État haïtien, qui ne fait pas le poids contre le grand voisin américain, a mollement protesté contre ces expulsions. Le Premier ministre Ariel Henry a bien essayé de hausser le ton lors de son intervention virtuelle à l’assemblée générale de l’ONU, mais il a dû rapidement changer de discours probablement sous la pression américaine, admettant au bout des lèvres qu’il comprenait la déportation des Haïtiens par le gouvernement américain. Abandonnés par le gouvernement d’un côté et par le gouvernement américain de l’autre, les Haïtiens expulsés se retrouvent livrés à eux-mêmes. À peine arrivés sur le sol haïtien, beaucoup se mettent à pleurer, ne sachant quoi faire ni où aller dans un pays qui leur est devenu inconnu. L’USAID a bien débloqué 5,5 millions de dollars pour soutenir cette population vulnérable qui aura bien du mal à s’acclimater à son nouvel environnement.
Biden réagit au lieu d’agir
Alors qu’Haïti a plus que jamais besoin d’aide pour sortir de la crise socio-économique qu’il traverse, le gouvernement américain a préféré ne pas s’y impliquer de peur de se retrouver embourbé dans un problème insoluble. À peine sortis de l’Afghanistan, les Américains ne voulaient pas embarquer dans une nouvelle aventure à l’issue plus qu’incertaine. Si Biden a refusé d’aller vers les Haïtiens, les Haïtiens sont allés jusqu’à lui. Pour cela, ils ont dû risquer leur vie en bravant la mer, les montagnes, les forêts tropicales ainsi que la brutalité des mafias et autres réseaux de trafic d’êtres humains. La volonté de Biden de ne pas s’engager en Haïti ne date pas d’hier. Déjà durant les années 90, il avait –maladroitement- imagé sa pensée pour expliquer le peu d’intérêt que représentait Haïti à ses yeux. Il avait ainsi déclaré que si Haïti coulait dans les eaux des Caraïbes ou s’élevait de 300 mètres, cela aurait peu d’importance pour les États-Unis d’Amérique. À l’époque, Biden était sénateur du Delaware et n’imaginait pas qu’un jour, il deviendrait Président des États-Unis, et donc que le fond de sa pensée allait ressurgir comme boomerang.
Si Biden ne veut rien savoir d’Haïti, il en paie aujourd’hui le prix. En termes d’image tout d’abord, son pays en sort doublement perdant. Premièrement, le peu d’intérêt accordé à Haïti qui traverse pourtant une période très difficile montre que Biden, mais aussi la politique étrangère américaine en général, suit une ligne de conduite froide et pragmatique où l’humanisme et la solidarité n’ont pas leur place. Si un pays ne présente pas d’intérêt stratégique ou économique, alors il peut couler. Sauf qu’Haïti n’est pas un pays quelconque. En plus de partager une longue et riche histoire avec les États-Unis, Haïti est également proche géographiquement. Ce qui veut dire que d’une façon ou d’une autre, les problèmes d’Haïti peuvent à tout moment déborder au-delà de ses frontières et affecter les nations environnantes. Il est étonnant que l’establishment américain n’ait pas anticipé cette possibilité.
De plus, les Américains qui s’attendaient à voir arriver des centaines de boat-people ont beaucoup misé sur le renforcement de la surveillance des côtes pour endiguer toute ‘invasion’ de migrants haïtiens. Sauf que vous avez beau avoir l’armée la plus puissante au monde, elle ne pourra rien contre un père de famille qui veut nourrir sa famille et qui fera tout pour assurer un meilleur avenir à ses enfants. Ainsi, les Haïtiens ont su s’adapter et modifier en permanence leur chemin pour migrer vers les États-Unis. Beaucoup ont profité de failles au niveau des visas pour se rendre dans un pays sud-américain par avion, avant d’entreprendre un long périple à pied jusqu’à la rivière Del Rio. Chili, Brésil, Suriname, les migrants haïtiens viennent de partout. Mais leur regard est lui orienté vers une seule direction, le nord.
La diaspora met du temps à soutenir les migrants haïtiens
Au début de la crise migratoire qui a touché les États-Unis et qui a impliqué des milliers de migrants haïtiens, la diaspora haïtienne établie aux États-Unis est restée étonnamment silencieuse. Quelques associations s’offusquaient ça et là, mais globalement, l’élan de solidarité qui caractérise nos concitoyens n’a pas eu lieu cette fois-ci? Est-ce à cause du caractère soudain de cette crise migratoire? Est-ce à cause du Covid-19 qui a épuisé mentalement et financièrement les ménages haïtiens? On ne saurait dire. Toujours est-il, le manque de réactivité de la diaspora a surpris plus d’un. À tel point que certains ont commencé à se demander si le silence de la diaspora n’était pas une forme de consentement à la politique de Biden.
Il a fallu que la représentante Frederica Wilson, Nancy Pelosi et Biden sortent de leur réserve et dénoncent les mauvais traitements observés à la frontière pour que la communauté haïtienne décide enfin de sortir de sa torpeur. Le réseau national des élus haïtiano-américains (NHAEON) s’est ainsi réuni à Miami-Dade pour dénoncer publiquement les expulsions de masse des sans-papiers haïtiens. Des organisations s’organisent de leur côté pour collecter de l’argent qui ira directement vers les migrants qui vivent dans une grande précarité. Les associations ainsi que les politiciens d’origine haïtienne comptent également faire du lobbying pour réformer l’immigration et mieux protéger les droits des immigrants. Beaucoup pensent que c’est le moment opportun pour une refonte de la politique migratoire américaine qui est devenue dépassée et inadaptée aux réalités d’aujourd’hui.
Dessalines Ferdinand/ Le Floridien
30 septembre 2021