Le Président Jovenel Moïse est empêtré depuis quelques mois maintenant dans un scandale politico-financier potentiellement explosif. La Cour supérieure des comptes a en effet jugé que les entreprises de Jovenel Moïse n’étaient pas exemptes de tout reproche, puisqu’elles ont, elles aussi, leurs parts de responsabilités dans l’affaire PetroCaribe qui continue de secouer le pays. Les manifestations populaires anti-Jovenel se sont alors succédé afin de pousser le Chef de l’État vers la démission. Mais il semblerait que celui-ci soit devenu accro à cette drogue dure qu’est le pouvoir. Moïse est en effet resté insensible aux revendications populaires, se contentant de faire des changements cosmétiques à la tête de l’État pour gagner du temps, embrouiller les pistes et divertir les citoyens.
Aujourd’hui, c’est le Parlement qui doit se prononcer sur la mise en accusation ou non du Président de la République. Mais avant même que la séance ne reprenne, des protestataires se sont rassemblés devant le bâtiment du Parlement pour exprimer leur ras-le-bol face à ces comédies interminables. Si 14 élus de l’opposition voulaient voir le Chef de l’État comparaitre devant la haute cour de justice pour haute trahison à la nation, le chemin menant vers une possible mise en accusation de Moïse semble être semé d’embuches. Il faut dire que ce cas de figure est une première dans l’histoire politique haïtienne. Même si la constitution prévoit la mise en accusation du Président de la République par le Parlement, elle ne précise pas la procédure à suivre. Autant dire qu’aussi bien les élus que la population qui voudraient voir l’actuel Chef de l’Etat rendre des comptes au plus tôt font face à l’inconnu.
Ni les règlements du Parlement ni ceux du Sénat d’ailleurs, ne sont préparés à ce genre de scénario. La procédure de mise en accusation évoquée par la constitution quant à elle semble assez compliquée et lourde à mettre en place. C’est ce qui explique que la première séance se soit terminée dans un désordre total et une confusion généralisée, provoquant l’ire de la population qui y a vu une incompétence flagrante de la chambre législative. En effet, ces derniers ont entamé la première séance sans préparation aucune, n’ayant entre les mains ni pièces à conviction, ni procès-verbal ou tout autre élément tangible sur lequel s’appuyer pour lancer la procédure de manière sérieuse et rigoureuse. Cela a jeté beaucoup de discrédit sur une chambre qui n’avait déjà pas une bonne image auprès de la population.
À la suite de cette première séance riche en rebondissements, le Président de la Chambre des députés a sifflé la fin de la récréation en mettant la séance en continuation, ce qui veut dire un report sine die. Les 14 députés signataires qui pensaient avoir fait le plus dur en regroupant 25 articles de la Constitution sur lesquels ils se sont basés pour essayer de lancer la procédure contre le Président sont donc rentrés bredouilles. S’ils reprochent au Président d’avoir violé ladite Constitution, il faut qu’ils montent un dossier en bonne et due forme avec des preuves solides. Car M. Moïse ne va certainement pas rester les bras croisés et les laisser faire sans contre-attaquer.
Pour l’instant, rien n’est acté, puisqu’on se retrouve avec la parole de l’un contre la parole de l’autre. Une situation qui constitutionnellement et juridiquement est irrecevable. Et quand bien même les élus de l’opposition arrivent à enclencher la procédure de mise en accusation, ils vont devoir passer à la seconde étape qui est encore plus difficile à franchir, puisqu’ils devront convaincre une majorité de députés de les suivre dans leur démarche. Or, en l’état actuel des choses, cette mission semble vouée à l’échec, et ce pour plusieurs raisons.
Premièrement, nos élus sont malheureusement guidés par leurs intérêts personnels plus que par les intérêts suprêmes de la nation. Leurs voix vont aller de ce fait vers le plus offrant. Ce marchandage derrière les coulisses ne date pas d’hier et empoisonne depuis toujours l’environnement politique haïtien. Donc tant qu’il y’aura des députés malhonnêtes et corrompus au sein du Parlement, le Président peut dormir l’esprit tranquille, car il sait qu’il aura toujours face à lui des interlocuteurs “réceptifs” dans tous les sens du terme.
Deuxièmement, le fait de se lancer tête baissée dans une telle procédure, sans avoir préparé un dossier en béton en amont, montre le degré d’amateurisme de nos députés et leurs connaissances limitées de la constitution. Voilà donc des personnes habituées à vivre en dilettante et qui tout d’un coup, se voient en justiciers de la nation. Parions que toutes ces manœuvres vont finir en queue de poisson et que le Président ne sera pas inquiété avant la fin de son mandat. Aux États-Unis, l’impeachment, qui est la procédure la plus semblable, n’est que rarement déployé par l’opposition, car sa mise en place est longue et politiquement périlleuse. La dernière fois qu’un Président y a laissé des plumes, ce fut Nixon qui a préféré démissionner plutôt que de subir l’humiliation d’une condamnation. Pas sûr que Jovenel veuille lui aussi démissionner pour éviter d’être trainé dans la boue. Hérodote ne disait-il pas que le pouvoir change les hommes, même les plus vertueux ?
Dessalines Ferdinand