Par Dessalines Ferdinand
Et si la résurrection de toute une nation venait des Sherly Jeudi, Corventina ou encore la buteuse Mondésir ? Et si les Grenadières donnaient ce petit déclic dont tout un peuple a besoin pour se réconcilier avec un pays tant martyrisé ? On est en droit de se poser la question tant cela faisait longtemps qu’on n’avait pas vu un tel courage et une telle abnégation émerger des épaules de jeunes filles que la vie n’a pas toujours gâtées. Pourtant, en se présentant à cette neuvième édition de la coupe du monde féminine U-20 organisée en France, on ne donnait pas cher de la peau de la première nation caribéenne à se qualifier pour une compétition majeure.
Un travail de fond qui a fini par payer
Dans la vie en général et le football en particulier, on ne doit rien au hasard. Si vous voulez réussir, il vous faut du travail, encore du travail, et toujours du travail. L’exemple de l’équipe haïtienne des moins de 20 ans est révélateur à plus d’un titre. Malgré le manque de moyens, elles ont su profiter au maximum des faibles ressources dont elles disposaient pour décrocher une qualification méritée.
Le rôle des centres de formation en amont s’est fait ressentir, puisque beaucoup de ces filles ont été dénichées par des recruteurs à l’affût qui ont su repérer et développer ces talents dès leur plus jeune âge. Certaines d’entre elles, à l’image de Mondesir qui a signé avec Montpellier, peuvent espérer décrocher bientôt un contrat professionnel dans un grand club.
Et dire qu’après le tirage au sort qui a mis Haïti dans un groupe très relevé composé de l’Allemagne, la Chine et le Nigéria, beaucoup ont tiré la langue en craignant un éventuel massacre sur le terrain des Grenadières. On a en effet affaire à de grandes nations du football féminin, et non des moindres. La Chine a atteint à 2 reprises la finale de la coupe du monde (2004, 2006), alors que l’Allemagne l’a remporté 3 fois (2004, 2010, 2014), ce qui en fait l’équipe la plus titrée de la compétition, rien que ça. Le Nigéria n’est pas en reste, puisque la meilleure équipe africaine a elle aussi réussi à se hisser jusqu’en finale par deux fois (2010,2014), avec à chaque fois une défaite étriquée contre la National Mannschaft (2-0 et 1-0). Autant dire qu’avant même qu’elles aient pu taper sur le cuir, certains spécialistes du ballon rond prédisaient l’enfer aux joueuses haïtiennes. Mais les Grenadières ne l’entendaient pas de cette oreille et ont fait ravaler leur salive à ceux qui ne croyaient pas en elles.
Laura Georges, célèbre joueuse d’origine guadeloupéenne, ne s’y est pas trompée en allant féliciter personnellement les Grenadières aux vestiaires après leur match héroïque face au Nigéria. “Vous êtes des exemples” leur a-t-elle asséné d’entrée, “Vous avez tenu tête aux Chinoises qui ont une longue expérience derrière elles, et au Nigéria que vous auriez même pu battre, n’eût été le manque de chance”. En vraie connaisseuse du beau jeu, puisque Laura Georges est un élément-cadre de l’équipe de France qui a évolué dans de grands clubs tels que le PSG, le Bayern Munich ou le Boston College Eagle, elle a tenu à souligner à quel point les Grenadières disposaient de grandes qualités qui n’avaient rien à envier aux grandes nations. “Vous pouvez être fières de ce que vous avez fait, parce que vous montrez que les îles, même si on est en difficulté, même si on connait la famine, même si on a des problèmes, on montre qu’on a des valeurs et qu’on est au-dessus de ça”. En bonne professionnelle, Laura Georges a mis du baume au cœur des joueuses qui certes étaient déçues, certaines étant même au bord des larmes, mais qui sortent de la compétition par la grande porte puisqu’elles ont joué crânement leur chance et ont défendu les couleurs du drapeau avec bravoure. “Vous êtes des exemples de détermination malgré votre jeune âge”, a conclu Laura Georges, montrant au passage une vraie solidarité caribéenne.
Elles n’ont rien lâché sur le terrain
Et on peut dire que l’équipe haïtienne U-20 a enchanté les spectateurs par son jeu chaloupé et son rythme vif. Ainsi, lors de sa première rencontre contre la Chine, Haïti aurait très bien pu décrocher le point du match nul, n’eût été la tête de la capitaine chinoise Wang Linlin (N4) qui a sorti sur sa ligne un ballon de Mondesir qui se dirigeait droit vers les buts dans les tout derniers instants. La numéro 10 Haïtienne avait d’ailleurs réduit le score quelques minutes plus tôt (78 min) grâce à un pénalty obtenu par Dumany (N18) pour un pied levé dangereux de la défenseur chinoise Jiaxing (N2).
Au cours de la deuxième rencontre qui a eu lieu à Saint-Malo, et dans un stade presque entièrement acquis à leur cause, les Grenadières prenaient l’initiative dès l’entame du match et ne semblaient nullement tétanisées par l’enjeu. Malheureusement, et contre le cours du jeu, l’arbitre de la rencontre, la Tchèque Adamkova sifflait un pénalty un peu sévère contre Haïti à la 36 ème minute sur action litigieuse. La numéro 8 Nigériane Ajibade transformait l’essai sans trembler, permettant aux siennes de prendre l’avantage. Les jeunes Haïtiennes ne baissaient pas les bras pour autant et étaient sur le point d’égaliser à de nombreuses reprises, surtout lorsque Mondesir voyait une de ses frappes heurter la base de la transversale alors que les cages étaient grandes ouvertes devant elle. Sur un autre coup franc tiré “à la Ronaldo” par la virevoltante N18 Dumornay en deuxième mi-temps, le ballon prenait là aussi la direction des filets, mais c’était sans compter sur un plongeon miraculeux de la gardienne nigériane qui a pu préserver ses cages inviolées jusqu’à la fin du match. Notons que la gardienne haïtienne s’est également distinguée lors du dernier quart d’heure en bloquant un lob vicieux qui allait alourdir injustement le score au vu de la physionomie du match.
Le dernier match était sans enjeu pour les deux équipes puisque l’Allemagne était assurée de terminer première de son groupe alors qu’Haïti était d’ores et déjà éliminée. Malgré cela, la partie fut riche en rebondissements, à l’image du parcours de nos vaillantes Grenadières durant cette coupe du monde. Menées au score par 3-0 jusqu’à la 63ème minute, les haïtiennes ont trouvé les ressources nécessaires pour réduire le score grâce à un doublé de l’incontournable Mondesir (N10). Cette dernière termine au passage meilleure buteuse de la sélection avec un total de 3 buts au compteur. Elle a tout d’abord marqué le premier but suite à un coup franc excentré mal négocié par la gardienne allemande qui a repoussé le ballon dans les pieds de la capitaine qui n’avait plus qu’à pousser le cuir au fond des filets, avant de revenir à la charge 10 minutes plus tard en décochant un tir imparable frappé du pied gauche.
Un groupe prometteur pour le futur
Que retenir de cette épopée de nos jeunes Grenadières après leur denier match face à la National Manschaft qui fait figure de favorite de la compétition ? Tout d’abord, au vu de leur prestation, elles n’ont pas à rougir de leur performance. Les observateurs du ballon rond sont unanimes pour dire qu’Haïti dispose d’une génération talentueuse qui peut aller très loin lors des prochaines compétitions internationales. Avec leur participation plus que réussie durant cette coupe du monde, abstraction faite des scores qui ne reflètent pas toujours la réalité sur le terrain, cette équipe a le potentiel pour s’imposer à l’échelle continentale, voire mondiale. Ce périple français a permis à l’ensemble de l’équipe d’acquérir une grande expérience puisque les joueuses se sont frottées aux meilleures nations footballistiques du moment.
Mais au-delà de l’aspect sportif, nos jeunes guerrières ont montré la voie à tout un peuple qui semble avoir perdu confiance en son avenir. Elles ont apporté un vent de fraîcheur et une joie de vivre, alors qu’Haïti traverse une période qui n’est pas des plus roses. Surtout, les Grenadières lancent à leur manière un message clair et direct aux décideurs politiques du pays, en disant en substance ceci : “Nous sommes le futur de cette nation, donnez-nous juste les moyens pour pouvoir le prouver”. À bon entendeur !