Quoi de mieux de dépeindre l’état dans lequel se trouve un pays que de jeter un coup d’œil sur le fonctionnement de son Assemblée nationale? En Haïti, nous avons un système bicaméral qui est constitué de 2 chambres, la chambre haute (Sénat), et la chambre basse (Chambres des députés). Actuellement, ces deux représentations du peuple sont composées de 119 “valeureux” députés et de 30 “non moins valeureux” sénateurs qui veillent au bien-être de leurs concitoyens et à leur tranquillité au quotidien.
Les électeurs haïtiens sont allés aux urnes pour élire leurs députés et sénateurs, afin que ceux-ci défendent les intérêts de la nation en modifiant, entérinant et abrogeant des lois.
Le seul petit bémol, c’est que nos représentants sont le plus souvent aux abonnés absents, trop occupés sans doute à fructifier leurs petites affaires à côté. Pourquoi diable un député irait voter une loi sur l’école publique quand ses enfants vont à l’école privée? Pourquoi amender une loi sur la santé et les hôpitaux puisque de toute façon, à la moindre grippe, notre brave député prendra le premier avion pour aller se faire soigner à l’étranger, l’hôpital haïtien étant lui-même malade et depuis longtemps sous perfusion ? Pour toutes ces raisons, notre élu national est peu motivé par la chose publique, car cela ne le concerne pas directement et n’affecte pas son quotidien. D’où un taux d’absentéisme effarant dans les 2 chambres qui inquiète tous les observateurs, mais pas le moins du monde les principaux intéressés qui vaquent à leurs petites occupations comme si de rien n’était. Il n’y a qu’à voir le nombre ridicule de projets de loi votés cette année pour s’en rendre compte.
Gageons que si un jour, il devait y avoir une séance plénière au parlement pour approuver une augmentation des salaires de nos chers élus, ce jour là, l’Assemblée nationale sera à coup sûr archicomble. On y verra alors des débats passionnés et passionnants, où chaque élu viendra se plaindre de la charge de travail qui est la sienne, comme pour mieux justifier cette “petite” augmentation qui lui sera accordée et qu’il considèrera comme une justice enfin rendue à un vrai serviteur de la nation (notez au passage qu’une augmentation est par essence toujours “petite” pour celui qui la reçoit).
Le séisme du 12 janvier 2010 a certes détruit le bâtiment de l’Assemblée nationale, mais il n’a pas réussi à détruire le clientélisme et les magouilles qui s’y trament. Ce mal qui ronge les couloirs de nos institutions législatives est vicieux, au point que certains lui prêtent 7 vies. Le combattre avec la sensibilisation et l’émulation, cela reviendrait à soigner un malade cardiaque avec de la vinaigrette.
Il en faut donc plus pour mettre au pas des élus constamment occupés à garnir leurs bourses pour faire face à des lendemains incertains. Car faut-il aussi rappeler que leur mandat ne dure que 2 et 4 ans – Dieu merci -. Or, l’élu haïtien se méfie particulièrement de ce peuple d’Haïti qu’il trouve imprévisible, voire un tantinet ingrat. Ce peuple pour qui il a consenti tant de sacrifices, pour qui il a tant travaillé et s’est tant battu, sans recevoir en retour la moindre reconnaissance (sous forme de réélection par exemple).
Car oui, chers concitoyens. Disons-le! Admettons-le une bonne fois pour toutes! Nos pauvres députés et sénateurs souffrent! Malgré le fait qu’ils disposent d’un salaire mirobolant, de multiples frais de voyage aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, de divers frais fixes, de frais dits de “première installation”, de frais d’achats de véhicules, de carburant, de téléphone, et d’autres subventions de toutes sortes que seuls nos représentants à l’Assemblée et le seigneur connaissent… malgré tout cela, nos élus sont tristes. Ils sont démotivés. Certains font même peine à voir.
Cher peuple d’Haïti. Ceci est un cri de détresse pour sauver la situation de nos pauvres députés et sénateurs. Comme il a été dit au début de cet éditorial, c’est par l’Assemblée nationale qu’on jauge le fonctionnement d’un pays. Alors de grâce, ne ternissez pas notre image, le monde entier nous regarde.
Si nos parlementaires désirent quelque chose, offrez-leur le double. Ce n’est pas à eux de prendre soin de nous, mais à nous de prendre soin d’eux. Certes, un ouvrier haïtien moyen doit travailler pendant 2 siècles, à raison de 12 heures de dur labeur quotidien, pour espérer atteindre le salaire que gagne un élu en à peine 1 an. Mais ce n’est pas grave. On fera les comptes pour l’ouvrier dans 200 ans. Car le plus important aujourd’hui, c’est que notre cher député retrouve le sourire qu’il a perdu.
Figurez-vous qu’à force d’engraisser ces dernières années, beaucoup de nos valeureux élus commencent à se plaindre d’avoir du ventre et de prendre de l’embonpoint. Eh oui! Cela constitue un véritable problème, car aux dernières nouvelles, ils ne bénéficient pas encore de frais de gym pour faire face à ce problème de riches. Mais cela ne saurait tarder. Car si nos députés ne votent pas pour corriger cette négligence inadmissible, qui le fera?
Dessalines Ferdinand
Le Floridien, 14 Mai 2018