Ça y est ! Le jour tant redouté est arrivé. Les Haïtiens sont à bout et leur patience a atteint ses limites. Ils sont sortis par milliers dans les rues de la capitale pour exprimer leur colère et leur ras-le-bol. Si l’augmentation soudaine des prix des produits pétroliers (essence, gasoil, kérosène) fut l’étincelle qui a fait exploser la poudrière sociale, le feu lui couvait depuis quelques années déjà. Et dire que dans les lignes de notre journal, on n’a cessé d’avertir les pouvoirs publics sur l’état de grand désespoir et de précarité dans lesquels vit la population. On n’a cessé de tirer la sonnette d’alarme sur l’urgence de la situation, de mettre en garde contre l’exaspération et la détresse de tout un peuple qui n’avait plus confiance en ses décideurs politiques, qu’ils soient issus du gouvernement ou de l’opposition. L’état de décrépitude dans lequel se retrouve le pays actuellement est tel qu’on voit mal comment les manifestants pourraient faire marche arrière sans obtenir des concessions et des changements radicaux. Le gouvernement a certes suspendu la hausse des prix des carburants annoncée quelques jours plus tôt, mais le mal est déjà fait. Ceux qui pensent que ce revirement de dernière minute sur la récente augmentation va régler le problème n’ont toujours rien compris et n’ont décidément pas encore retenu la leçon. Car ce n’est pas en effectuant un énième rafistolage que les choses vont redevenir comme avant. Le malaise est beaucoup plus profond, il est structurel, endémique. Il touche la population haïtienne dans son ensemble, toutes échelles confondues.
Cela fait des décennies que les différents gouvernements qui se sont succédé jouent avec le feu. Aucun d’eux n’a eu le courage de prendre les choses en main et d’apporter un changement de fond pour endiguer les nombreux problèmes auxquels fait face le pays, à commencer par la corruption, le chômage, la déliquescence des services publics (éducation, santé, transports), une pauvreté quasi généralisée, un manque de perspectives chez une jeunesse de plus en plus marginalisée et démotivée, un accroissement de l’insécurité, etc.. Les diverses mesures prises jusqu’à date ont été cosmétiques plus qu’autre chose, et ce dans le seul but de colmater temporairement les brèches en attendant des jours meilleurs. Or, dans pareils cas, tout le monde sait que la montre joue toujours en votre défaveur. On a vu comment les différentes soupapes de sécurité ont sauté au fil des années les unes après les autres, exposant au grand jour les déficiences pour ne pas dire l’incompétence de nos gouvernants. L’État haïtien a perdu toute crédibilité auprès de l’opinion publique puisqu’il n’a jamais su satisfaire ses besoins les plus élémentaires.
Personne n’est exempt de reproches dans la crise que nous traversons aujourd’hui, ni le gouvernement actuel, et encore moins les gouvernements précédents. Même le chef de l’État Jovenel Moïse en a pris pour son grade et n’a pas été épargné par les critiques. Certains demandent déjà sa tête puisqu’il serait, selon certaines médisances, responsable des troubles que traverse le pays présentement. Quand bien même il viendrait à démissionner, il n’est pas dit que cela va arranger la situation, bien au contraire. Cela risque d’enfoncer un peu plus Haïti dans l’incertitude et perturber une stabilité politique des plus précaires.
Aucun homme politique, aucun gouvernement, aucun décideur, quelles que soient ses convictions idéologiques ou ses origines, ne pourra faire taire un peuple qui n’aspire qu’à vivre dans la dignité et la paix. Il est malheureux d’en arriver à ce constat, mais il est d’ores et déjà admis que la génération actuelle a été sacrifiée. Sans perspective d’avenir et sans formation pour faire face aux défis de demain, nos jeunes, qui constituent pourtant notre principale richesse, sont livrés à eux-mêmes. La plupart ne se font d’ailleurs plus d’illusions et cherchent par tous les moyens à partir sous d’autres cieux plus cléments. Cette image désolante d’un pays qui n’arrive même plus à retenir ses propres enfants devrait faire réfléchir ceux qui ont encore ne serait-ce qu’un minimum d’amour et de respect pour leur chère patrie.
Cette crise de grande ampleur que traverse notre pays peut soit nous conduire vers l’abime, soit nous pousser à nous remettre en question et à nous retrousser les manches. Il est clair que c’est dans l’intérêt de tout le monde de choisir la deuxième option. Ce peuple vaillant et fier a assez souffert. Toutes les composantes de la société haïtienne veulent du changement. Pas demain, ni après-demain, mais aujourd’hui, maintenant! C’est le moment ou jamais de poser les jalons d’une paix durable et d’une économie prospère. Nous devons tous nous transcender et surpasser nos divisions afin de reconstruire notre patrie sur des bases plus saines et solides. Nos dirigeants ne doivent pas répéter les mêmes erreurs du passé. Qu’ils se donnent au moins une fois la peine d’écouter les doléances des citoyens au lieu de leur tourner le dos en permanence. Le peuple haïtien est en train de lancer un avertissement qui risque bien d’être le dernier!
LE FLORIDIEN, 13 juillet 2018