Haïti vit une période particulièrement difficile depuis l’accession de Jovenel Moïse au pouvoir. La Perle des Caraïbes a perdu de son lustre d’antan en raison d’une détérioration critique de sa situation socio-économique et politique. Face à cela, Jovenel Moïse ne cesse de proposer des demi-mesures en espérant reconquérir, ou plutôt conquérir la confiance d’un peuple qui lui est en grande majorité hostile. De même, le Président fait tout pour berner ses alliés internationaux afin de gagner du temps et se maintenir au pouvoir plus longtemps. Élections libres et transparentes, relance économique, droits de l’homme, ouverture politique.. de belles promesses que les connaisseurs de Moïse savent qu’elles ne valent pas une Gourde.

Un Président critiqué même dans son propre camp

Pour Jovenel Moïse, l’année 2021 est censée être l’année du changement. Il veut être celui qui fera passer Haïti vers une nouvelle ère. Malheureusement pour lui, au cours de son mandat, il a épuisé son capital confiance auprès de la population. Ce qui fait dire aux analystes que Jovenel Moïse n’est pas le mieux placé pour mener à bien une transition démocratique du pays. Même des personnalités de son propre camp politique émettent des doutes sur les capacités du Président actuel à sortir Haïti de la crise.

Ainsi, Liné Balthazar, qui n’est autre que le chef du parti au pouvoir Tèt Kale, a déclaré publiquement qu’il ne soutenait pas le référendum du 27 juin censée faire adopter une nouvelle constitution. Cela sonne comme un autre camouflé pour Moïse qui n’arrive même pas à convaincre les siens. Il faut dire que les arguments avancés par Liné Balthazar tiennent la route. Ce dernier estime en effet que le gouvernement est incapable de fournir à temps les nouvelles cartes d’identité qui font également office de cartes de vote. Il déplore également le manque de consensus politique autour du référendum qui aurait dû être un projet fédérateur et non une source de divisions. Enfin, le chef du parti Tèt Kale désapprouve lui aussi le passage d’un régime parlementaire à un régime présidentiel. Pour lui, concentrer encore plus de pouvoir aux mains du chef de l’État est une porte ouverte aux dérives autoritaires. Et lorsque l’on connaît la fibre “démocratique” qui anime nos dirigeants, il est évident que les changements proposés par le référendum ne sont pas de nature à enthousiasmer grand monde.

Jovenel Moïse veut continuer à croire en sa bonne étoile

Contre vents et marées, Moïse arrive tant bien que mal à s’accrocher, bien que ses soutiens s’érodent au fil des semaines. En effet, de plus en plus de voix se lèvent pour exiger la mise en place d’un gouvernement d’union nationale. C’est la seule manière de regagner l’adhésion de la population et d’assurer une transition démocratique qui se veut pacifique. Malheureusement, en changeant de gouvernement et en nommant Claude Joseph à la place de Joseph Jouthe au poste de Premier ministre, Jovenel Moïse a raté là l’occasion de se réconcilier avec l’opposition et les frondeurs de son propre parti.

Les soutiens étrangers de Moïse commencent eux aussi à se faire rares. Il faut dire qu’à force d’être menés en bateau, ils ont fini par perdre patience, doutant des intentions réelles du Président haïtien. Les communiqués et les initiatives s’enchaînent pour exiger un plan de sortie de crise qui soit clair, crédible et réalisable. Organiser des élections, c’est bien, mais encore faut-il y impliquer toutes les tendances politiques du pays. L’ONU, à travers son bureau en Haïti (BINUH), a été la première à exprimer ses inquiétudes concernant la méthodologie gouvernementale pour imposer son nouvel agenda électoral. Bien que le régime a dépensé des millions en publicité pour convaincre les citoyens, cela semble ne pas suffire vu la grande méfiance des Haïtiens qui ne connaissent que trop bien leur Président et ses ruses machiavéliques. Même le Chef du parti Tèt Kale a exprimé des doutes, indiquant que “le gouvernement n’avait pas la capacité d’organiser trois élections en six mois”, alors que durant tout son mandat, il n’a même pas été capable d’organiser une seule élection législative à temps, ce qui a conduit à la dissolution du parlement et au blocage politique que nous connaissons aujourd’hui.

Les alliés américains aussi commencent à montrer des signes d’impatience. Alors que Biden avait apporté son soutien total à Jovenel Moïse pour mener à bien la transition démocratique, l’administration américaine semble moins persuadée que Moïse soit l’homme de la situation. Dernièrement, 69 membres du Congrès ont signé une pétition pour émettre des doutes sur la pertinence de l’organisation d’un référendum. Selon eux, vu le manque d’adhésion de la population et de la société civile, et en l’état actuel des choses, le référendum pourrait au contraire accentuer les violences dans le pays au lieu d’aider à apaiser la situation.

Le régime de Moïse lance ses dernières contre-attaques

Étant acculé au pied du mur, Jovenel Moïse n’entend pas se laisser faire. Fidèle à son habitude, il va une fois de plus avoir recours à des stratagèmes malicieux pour essayer de s’en sortir. Localement, il a une fois de plus changé de Premier ministre, le 6ème au cours de son mandat. Le nouveau gouvernement aura pour tâche de s’attaquer à la criminalité qui gangrène le pays, notamment les enlèvements dont le nombre a explosé ces dernières années. Mais tout le monde sait déjà que ce changement de l’exécutif n’est qu’un tour de passe-passe pour maquiller l’incompétence des autorités qui ne sont jamais arrivées à rassurer la population haïtienne.

Mais ce que Jovenel Moïse veut avant tout, c’est changer la constitution du pays et donner les pleins pouvoirs au futur Président. Selon lui, la constitution actuelle qui s’inspire des textes français n’est pas adaptée aux réalités locales. Encore une fois, même si les modifications apportées par le référendum apportent quelques avancées, c’est la façon de “vendre” son projet qui fait débat. Et depuis qu’il est arrivé à se maintenir au pouvoir au-delà du 7 février dernier, Jovenel Moïse s’est senti pousser des ailes. Il semble même prêt à utiliser la force s’il le faut pour mettre au pas les plus récalcitrants. Il a ainsi appelé la police nationale à se montrer intraitable lorsqu’il s’agira de sécuriser le référendum au mois de juin prochain. Connaissant les ramifications obscures du pouvoir avec le crime organisé, il n’est pas impossible qu’un accord de paix soit conclu discrètement avec les gangs pour que ceux-ci ne viennent pas gâcher la fête électorale.

Sur le plan extérieur, là aussi, Jovenel Moïse se montre très actif. Sentant que le vent commence à tourner en sa défaveur, il a commencé à engager de lobbies pour qu’ils soignent son image, notamment à Washington. Des indiscrétions parlent ainsi de centaines de milliers de dollars dépensés pour essayer d’influencer l’administration Biden. Certains lobbies touchent ainsi jusqu’à 37 000 dollars par mois, majoritairement recrutés par l’ambassade d’Haïti à Washington. Les Haïtiens de la diaspora ne sont pas en reste et sont régulièrement approchés par les autorités haïtiennes pour obtenir leur soutien. On saura dans les prochaines semaines si ces efforts seront couronnés de succès, ou s’il s’agit d’un dernier baroud d’honneur du Président avant le naufrage.

S. Boudin / LE FLORIDIEN
30 Avril 2021

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