La Coupe du Monde de Football à peine terminée que l’on assiste à un match d’un nouveau genre, celui que jouent les grandes puissances qui se passent Haïti comme s’il s’agissait d’un vulgaire ballon de foot. En effet, malgré la gravité de la situation dans notre pays depuis des années maintenant, ni les États-Unis, ni le Canada ou la France n’ont eu le courage d’intervenir pour essayer de régler une bonne fois pour toutes le problème haïtien.
Sans surprise, la dernière discussion entre Biden et Trudeau sur Haïti nous a laissés sur notre faim. Il n’y a qu’à lire le communiqué publié par le PM canadien pour s’en rendre compte : “Les dirigeants ont discuté de la crise actuelle en Haïti et de leur engagement mutuel à travailler ensemble pour soutenir des solutions dirigées par les Haïtiens, promouvoir le dialogue en vue d’élections démocratiques et renforcer la capacité d’application de la loi. Les dirigeants se sont engagés à poursuivre le soutien bilatéral et continental à Haïti et à son peuple”. Un langage diplomatique pour dire, on a beaucoup parlé pour pas grand-chose. Le peuple haïtien attendra!
Mais pourquoi donc est-il toujours si difficile d’aider Haïti, alors que cela semble si naturel pour d’autres nations comme l’Ukraine ou même l’Afghanistan qui sont pourtant si loin des États-Unis et du Canada, à la fois géographiquement et culturellement? Il y’a plusieurs raisons à cela.
Tout d’abord, Haïti ne dispose pas d’un gouvernement démocratique. Ce qui fait que les grandes puissances n’ont aucune confiance envers les autorités haïtiennes, surtout celles qui dirigent le pays actuellement et qui ne disposent d’aucune légitimité. Les gouvernements haïtiens de ces dernières années ont tous été accusés de corruption et de mauvaise gestion, ce qui a entraîné une perte de crédibilité sur la scène internationale. Les grandes puissances ne sont pas disposées à investir des ressources dans un pays où ils ne peuvent pas être sûrs que leur aide sera utilisée efficacement. Tout le monde garde en mémoire les détournements suite au tremblement de terre de 2010 ainsi que le scandale PetroCaribe qui a vu des milliards de dollars se volatiliser.
L’autre problème majeur concerne l’image du pays sur le plan sécuritaire. Avec sa longue histoire de troubles civils et de coups d’État, Haïti s’est construit la réputation d’un pays instable. Les grandes puissances telles que la France, le Canada ou les États-Unis ne sont donc pas disposées à envoyer des troupes sur le terrain pour protéger les investissements et les projets de développement, car cela pourrait causer des pertes humaines et des dégâts matériels importants. D’ailleurs, les intérêts de ces puissances ne convergent pas forcément. Ainsi, les États-Unis sont plus préoccupés par la sécurité régionale et la lutte contre le trafic de drogue et d’armes, alors que les Français et les Canadiens ont des préoccupations plus économiques et sociales. Ces différents intérêts ne favorisent pas une bonne coordination pour une intervention efficace en Haïti.
Aussi, les Haïtiens ne sont pas prêts à accepter n’importe quelle aide, eux qui ont acquis leur indépendance au prix d’énormes sacrifices. Si intervention il devait y avoir, elle doit obtenir le soutien de la population locale, autrement, elle sera vouée à l’échec. Or, depuis toujours, les interventions étrangères ont souvent été perçues comme des ingérences dans les affaires internes d’Haïti, suscitant de la colère et de la résistance de la part de la population haïtienne.
Enfin, et c’est là surement une raison majeure à la non-intervention des grandes puissances, le sous-sol haïtien ne dispose pas de richesses naturelles à forte valeur ajoutée comme le pétrole, le gaz, le cobalt ou le cuivre. Si Haïti avait les mêmes ressources que le Venezuela par exemple, la situation aurait été différente. Les grandes puissances viendraient alors ‘aider’ Haïti même si le pays n’était confronté à aucune crise. Ils l’aideraient à le débarrasser de ses richesses encombrantes. Car en effet, il serait naïf de croire que les pays occidentaux aident les pays en crise par bonté. Il y’a toujours des calculs obscurs qui échappent à la compréhension du grand public.
Aujourd’hui, les dernières réunions sur Haïti, que ce soit à l’ONU ou dans différends sommets régionaux, ne montrent aucun signe d’une prochaine intervention en Haïti. Tout le monde se renvoie la patate chaude et espérant que celle-ci finira par refroidir d’elle-même. Sauf que la situation sur place ne cesse de se détériorer, mettant en danger l’ensemble de la sous-région. Les grandes puissances attendent-elles que les cartels mexicains et colombiens prennent pied en Haïti pour enfin agir? Vivement que Biden comprenne, comme il vient de le faire sur sa politique migratoire, qu’un problème laissé en jachère ne peut qu’engendrer des problèmes plus graves et plus complexes.
Stéphane Boudin