On connaît tous l’histoire du Titanic. Lorsqu’il commence à prendre l’eau et à couler, l’ensemble des passagers sautent par-dessus bord pour sauver leur peau. Ceux qui ne peuvent quitter le navire sont voués à une mort certaine. Lorsqu’on revoit les images des migrants haïtiens sur les rives du Rio Grande faisant l’impossible pour tenter d’entrer sur le territoire américain après des semaines, voire des mois d’errance, on se dit qu’Haïti est un peu devenu comme le Titanic, sauf que le bateau Haïtien n’a pas de vrai capitaine, et à son bord, ils ne sont pas des centaines, mais des millions de passagers qui risquent la noyade si rien n’est fait pour les sauver. La comparaison est certes caricaturale, mais on en est là!

Aujourd’hui, on ne peut pas dire que Haïti soit gouverné par qui que ce soit. Depuis l’assassinat de Jovenel Moïse, on n’a plus de Président de la République. Le Premier ministre, Ariel Henry, s’est retrouvé sur le devant de la scène de manière quasi-accidentelle, puisque celui qui l’a nommé à la primature a été tué avant même qu’il puisse prendre ses fonctions. Du coup, on se retrouve avec un Chef du gouvernement nommé par un Président disparu et que beaucoup considéraient comme illégitime de son vivant. Un Parlement dissolu car non-fonctionnel d’après une constitution… qu’on cherche à changer. Idem pour le Sénat qui ne siège plus depuis presque 2 ans maintenant. Sans parler des autres institutions comme la justice qui est aux abonnées absentes, ou encore la police qui fuit à la vue des voyous, alors que cela devrait être l’inverse.

Difficile dans ces conditions de dresser une réelle cartographie de notre pays tant les choses semblent compliqués et le chaos généralisé. On ne sait plus qui contrôle quoi, qui parle à qui, ni même qui veut quoi. N’aurait été le caractère pacifiste et résilient des haïtiens, notre pays aurait plongé depuis longtemps dans une guerre civile fratricide et sanguinaire, avec plusieurs factions en lice pour s’arroger le pouvoir. Cette année encore, les haïtiens vont devoir se serrer la ceinture pour manger à leur faim, envoyer les enfants à l’école ou se soigner lorsqu’ils tombent malades. Or, d’après les dernières statistiques, un haïtien sur deux est exposé à la malnutrition. Ce qui est tout simplement inadmissible, alors qu’à quelques centaines de kilomètres de là, se trouve le pays le plus riche au monde. Car oui, les États-Unis ont également leur part de responsabilité. Le principe de bon voisinage l’exige, tout comme celui des droits de l’homme. Il est donc de leur devoir et de leur responsabilité de prêter assistance à un pays tiers en dérive qui de surcroit, partage avec lui une longue histoire commune. Or, les différentes administrations, surtout celles de Trump et Biden, ne voulaient pas se mouiller dans ce qu’elles considèrent comme un aventurisme humanitaire. Comprenez, il n’y a pas de pétrole en Haïti, donc investir dans ce pays ne serait pas rentable.

Le 15 décembre dernier, le Pape François, au lendemain de l’explosion du camion-citerne qui a fait quelques 92 morts, a bien résumé la situation que traverse notre peuple en ce moment. Il a ainsi déclaré que bien que rongé par les maux et des tragédies successives, Haïti reste une terre d’espérance. Une espérance portée par le peuple haïtien, et non par les hommes qui le dirigent contre ses propres intérêts. Or, les haïtiens commencent à perdre patience, à juste titre, car cela fait des années, pour ne pas dire des décennies qu’on les mène en bateau. Cette génération se considère déjà comme une génération sacrifiée. Elle se bat donc pour sauver ce qui peut encore l’être, mais surtout pour assurer un avenir meilleur à ses enfants.

Sur le plan sécuritaire, la situation aujourd’hui est catastrophique. Quand certains parlent de somalisation ou d’afghanisation de notre pays, nos décideurs s’offusquent par chauvinisme primaire et disent que la situation n’est pas si alarmante. Comment expliquer dès lors qu’on ait recensé presque 1000 enlèvements rien que pour cette année, contre ‘à peine’ 250 il y a 10 ans. Cela fait un peu plus de 3 kidnappings par jour. Difficile dans ces conditions de demander aux haïtiens de vivre l’esprit tranquille, alors qu’ils risquent leur vie chaque fois qu’ils mettent les pieds dehors.

Sur le plan judiciaire, là aussi, on est au point mort. Nos juges ne veulent plus risquer leurs vies lorsqu’on les charge d’enquêter sur des dossiers sulfureux comme celui concernant l’assassinat de Jovenel Moïse. Et comme la nature a horreur du vide, aujourd’hui, c’est les commérages et les supputations qui font office de justice. Ainsi, si certaines rumeurs pointent du doigt le ‘système’ pour être derrière l’attaque du Président, d’autres n’hésitent pas à avancer les puissants trafiquants de drogues qui veulent faire d’Haïti une plaque tournante sur le plan régional, voire international.

Et pour finir l’année en apothéose, alors que les autres pays du monde fêtent le réveillon avec des feux d’artifices, chez nous, c’est les camions-citernes qui explosent, faisant des dizaines de victimes et autant de familles endeuillées. Pourtant, on ne demande pas la lune, mais juste de pouvoir vivre paisiblement dans notre propre pays. Ceux qui cherchent à améliorer leur avenir ailleurs savent très bien que leur bonheur ne sera jamais complet, puisque leur cœur restera éternellement attaché à leur mère patrie : Haïti.
Stéphane Boudin

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