Par Dessalines Ferdinand

Avec l’émergence des réseaux sociaux, le journalisme n’est plus l’apanage des professionnels du métier. Ces derniers ont en effet perdu le monopole de l’information depuis l’apparition de ces nouveaux canaux de communication, bien qu’il persiste un énorme fossé lorsque l’on compare la qualité des analyses et la véracité des faits rapportés.

Le métier d’informer, plus particulièrement dans le milieu haïtien, a atteint ces derniers temps un niveau de médiocrité jamais vu auparavant. Et les conditions d’exercice de ce noble métier sont devenues difficiles pour les quelques professionnels qui continuent contre vents et marées à suivre les principes fondamentaux du journalisme.

Cette crise des valeurs sans précédent touche à l’essence même de la fonction du journaliste. N’ayant plus le monopole de l’exclusivité aux yeux du public, beaucoup de journalistes ont préféré emprunter le chemin le plus facile et suivre la culture du Buzz au lieu de s’accrocher aux fondamentaux du métier.

Contrairement au passé, le public aujourd’hui est en quête permanente de nouvelles sensationnelles et de ‘scoops’. Il se détourne ainsi de plus en plus des médias “traditionnels” au profit des réseaux sociaux, ces canaux d’information où monsieur tout le monde peut se proclamer du jour au lendemain journaliste émérite sur sa plateforme, allant jusqu’à imposer aux plus vulnérables – académiquement parlant – ses règles et surtout ses rythmes dans le débat public.

Ainsi, les quelques rares professionnels qui ont voulu se greffer à cette nouvelle dynamique se retrouvent face à un dilemme cornélien : doivent-ils privilégier l’information quasi instantanée au mépris des règles déontologiques qui font la grandeur de leur métier ? Ceux qui résistent et refusent de prendre ce raccourci, à savoir publier l’information sans vérification, partent clairement désavantagés (dans un premier temps tout du moins). “La propagation du buzz et de la rumeur devancera toujours la diffusion de la nouvelle étayée. Les ‘Fake News’ relayées sur la toile circuleront ainsi plus rapidement que les analyses approfondies issues de sources crédibles et fiables. Bien souvent, les rumeurs qui envahissent les réseaux sociaux aux premières minutes d’un événement laissent peu d’espace aux journalistes professionnels qui sont obligés de s’adapter pour sauver leur métier, mais pas à n’importe quel prix !

Le cas récent de l’arrestation de l’entrepreneur haïtien bien connu Dimitri Vorbe par les services de l’Immigration américaine le mois dernier à Miami – et qui a été relâché après une semaine de détention – est une autre preuve du grand désordre qui règne actuellement sur les réseaux sociaux lorsqu’il s’agit d’informer le public haïtien. Ce fut une course contre la montre pour relayer l’information sous forme de ‘breaking news’, sans prendre la peine de vérifier la véracité des faits rapportés.

Il y’a à peine quinze ans de cela, les journalistes (surtout ceux de la presse écrite) n’étaient pas confrontés à ce genre de situations. Avec leur savoir-faire spécifique, ils recherchaient l’information, la vérifiaient, la hiérarchisaient et l’interprétaient avant de la soumettre à leur audience respective. La façon dont ils présentaient les informations à travers les titres et les rubriques donnait tout son sens à ce formidable métier. Mais tout cela a malheureusement changé puisque le respect des normes a été totalement chamboulé par la révolution digitale.

Aujourd’hui, annoncer la nouvelle n’est plus l’exclusivité des vrais journalistes qui sont pourtant considérés depuis toujours comme les sentinelles du peuple. N’importe quelle personne munie d’un Smartphone, le fait plus vite sur son compte Twitter ou Facebook. Comme dit un confrère étranger : la pertinence d’une information ne se mesure plus par sa qualité intrinsèque, mais par le nombre de clics qu’elle suscite. Et c’est dans le tohu-bohu digital où se mêlent la rumeur, la manipulation et la communication que vient désormais s’abreuver un public crédule et avide de sensationnel, à tort ou à raison.

Pour revenir au cas de Dimitri Vorbe, on a vu des pseudo-journalistes s’empresser de donner une fausse version de cette arrestation à travers les plates-formes digitales qu’ils animent. Un ‘commentateur politique’ très suivi sur la toile en Haïti est ainsi tombé dans le panneau, relayant avec sa voix de ‘hougan’ les ‘infox’ qu’il a déniché sur le net, sans chercher à connaître le vrai motif de l’arrestation de l’entrepreneur haïtien Dimitri Vorbe. Il n’hésita pas à déclarer : « fòk nou atann’n nou pou nou wè Dimitri Vorbe debake nan aeropò Pòtoprins lan 2 bra menote nan jou kap vini la. »[Nous devons nous attendre à voir Dimitri Vorbe débarquer d’un avion à l’aéroport de Port-au-Prince les mains menottées.] Le pire dans tout cela, c’est que la majorité de son audience a cru en ses paroles et les a relayées à grande échelle. Non seulement cet ‘analyste politique’ de pacotille, connu pour être un affairiste du micro, avait tout faux, mais en plus de cela, il n’a jamais pris la peine de s’excuser auprès de son public pour les fausses informations qu’il a rapportées.

Dans un monde ultra-connecté, chacun a aujourd’hui la possibilité de créer sa propre plateforme digitale d’information en s’autoproclamant journaliste, accentuant un peu plus la confusion dans l’esprit du public qui a parfois du mal à s’y retrouver. Si le journaliste professionnel n’est désormais plus considéré comme le messager unique de la nouvelle, il reste toujours la référence lorsqu’il s’agit de la vérifier, la disséquer et l’interpréter. On peut donc se fier à la crédibilité d’un journaliste, car celui-ci met des années à la bâtir et à essayer d’imposer son nom comme une référence dans le milieu. On ne peut pas en dire autant des canaux d’information éphémères qui pullulent sur les réseaux sociaux et qui disparaissent aussi vite qu’ils sont apparus.

Aujourd’hui, plus que jamais, les professionnels du métier ont un véritable challenge devant eux. Ils doivent certes s’adapter aux défis de la digitalisation de notre société, mais ils ont surtout pour devoir de réhabiliter le “bois” dont est faite cette belle profession, et dont la nervure principale est assurément l’indépendance d’esprit pour la transmission d’une information complète et équilibrée. Pour cela, il est impératif qu’ils ne restent pas les bras croisés en laissant le champ libre aux ‘journalistes affairistes’ et autres usurpateurs de titres sur les réseaux sociaux.

Les journalistes doivent donc rapidement s’adapter en usant des nouveaux canaux de communication que sont les réseaux sociaux. Il est plus que jamais temps de sonner la fin de la récréation et de s’approprier cet espace devenu stratégique. Les pseudo-journalistes qui prolifèrent en ligne et qui sont devenus des experts dans le racolage font beaucoup de mal à la profession, volontairement ou non. Il est devenu impératif de revenir aux règles de base du métier de journaliste, à savoir double-vérifier l’information et s’assurer de la fiabilité des sources. Et comme bien souvent dans ces cas-là, le temps finira par faire le tri entre les vrais journalistes et les autres.

Dessalines Ferdinand
ferdinand@lefloridien.com

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

Contact Us

error: