MIAMI – C’est un secret de polichinelle que de dire que les relations entre le Premier ministre et le chef de l’État n’étaient pas au beau fixe depuis un bon moment. Aujourd’hui, le divorce est consommé. Le parlement vient d’acter l’éjection de Mr Céant en votant une motion de censure contre celui-ci. Mais ce qui inquiète le plus les observateurs, c’est le mouvement de va-et-vient des chefs de gouvernement sous le mandat Moïse, signe d’une certaine fébrilité au sommet de l’État, avec pas moins de 3 nominations en seulement 2 ans. Le cas Céant montre bien à quel point nos politiciens sont prêts à tout pour arriver au pouvoir, sans considération aucune pour les besoins du peuple et ses attentes.
Une nomination déjà controversée
Lors de la nomination le 17 septembre dernier de Mr Céant comme Premier ministre à la place du Dr. Guy Lafontant, beaucoup ne donnaient pas cher de sa peau. Voilà donc un notaire-comptable qui a fait des mains et des pieds pour avoir lui aussi une petite place au soleil. Massivement rejeté par le vote populaire lors des élections présidentielles de 2016 avec seulement 0.75% des voix recueillies, le voilà qui fait un come-back opportuniste pour s’adjuger le poste convoité de Chef du gouvernement. Les Haïtiens l’ont mis dehors par la porte, il est revenu par la fenêtre.
Mais Céant n’a fait que profiter d’un système qui récompense les incompétents et puni les incapables. Le blâme revient également à un pouvoir politique nécrosé qui n’arrive plus à se régénérer. Il est en effet inconcevable qu’une personne qui obtient moins de 1% d’adhésion de la population vienne un an plus tard prendre en main les destinées de tout un pays. Comment un homme qui manque d’expérience dans la gestion de la chose publique peut-il espérer sortir un pays comme Haïti de sa léthargie ? Pour avoir les coudées franches et mener à bien les réformes qui s’imposent, un Chef de gouvernement se doit d’avoir la légitimité des urnes et un soutien sans équivoque de la population. Mais tel ne fut pas le cas de Céant qui a profité de la crise politique et sociale qui a émaillé le pays durant l’été 2018 pour s’infiltrer entre les fissures du mur et accéder aux premières loges d’un pouvoir qui lui tendait les bras.
Bien entendu, une fois à la primature, Céant n’apportait rien de nouveau au marasme économique et n’avait aucun plan concret à proposer pour sortir la population de la misère. Tout au plus faisait-il du colmatage en expédiant les affaires courantes du pays. La stratégie politique de Céant se résumait ainsi en 2 phrases : moi d’abord, la nation après.
Le voilà donc dans le milieu ô combien convoité de la primature. La présidence n’est qu’à deux pas et semble plus accessible que jamais. Céant va donc commencer à aiguiser ses couteaux pour tailler ceux qui viendraient contrarier ses plans personnels. À 62 ans, il sait qu’une telle chance ne se reproduira pas dans sa vie, alors autant la saisir.
Les plans machiavéliques de Céant
Lorsque Moise a nommé Céant comme son Chef de gouvernement, c’était avant tout pour lancer un message à l’opposition. Une manière de dire que le pays doit surmonter les clivages politiques et s’unir face aux nombreux défis qui l’attendent. Mais en déménageant à la primature, Céant avait ramené dans ses cartons des plans on ne peut plus perfides.
Plus le temps passait, plus on constatait que le Premier ministre entendait faire cavalier seul. Selon plusieurs sources crédibles, au moins deux conversations téléphoniques compromettantes de Céant auraient été interceptées par les équipes de la Présidence. Dans l’une d’elles, on pouvait clairement entendre, dit-on, le Premier ministre jubiler en disant «Nou Pran Pouvwa a nan men yo», alors que le pays traversait une énième grave crise sociale ponctuée par le mouvement ‘Pays Lock’. Ce qui n’était que spéculation sur les véritables desseins de Céant est désormais mis en évidence. Plus les manifestations s’accentuaient dans le pays, plus celui-ci prenait un malin plaisir à savourer les critiques adressées à Moise. Sans doute percevait-il là une opportunité pour gravir la dernière marche qui le sépare du Graal.
Dès lors, et après avoir pris connaissance des plans machiavéliques du Chef de gouvernement, la Présidence allait organiser la riposte. Il n’y avait plus de temps à perdre. Dans les coulisses, les hommes de confiance du Chef de l’État scrutaient attentivement les faits et gestes de Céant pour éviter toute mauvaise surprise. En même temps, la machine politique de Moise se mettait en branle pour mettre en échec les plans du Premier ministre. Le combat est lancé !
Un Céant humilié mis à la porte
Ce fut comme une course contre-la-montre où le premier arrivé allait ramasser la mise. Mis au parfum de la contre-attaque organisée en sous-main par Moise pour le destituer, Céant n’entendait pas se laisser faire. Chacun a donc choisi le terrain qui lui était le plus favorable pour passer à l’abordage. Céant a tout naturellement pris la direction du Sénat qui lui était acquis pour espérer se maintenir quelques mois de plus au pouvoir à travers un vote de confiance. Pendant ce temps, le parlement pro-Moise entendait torpiller cette manœuvre en votant le renvoi du gouvernement.
Les hostilités furent lancées le 18 mars dans les deux chambres en concomitance. Au Sénat, c’est un Céant confiant et paré d’un regard conquérant qui débarque. Il n’a aucun doute sur le fait que le soutien sénatorial sera une simple formalité. Mais plus le temps passait, plus sa confiance s’effritait. En effet, les affidés du Premier ministre ont tout le mal du monde à rassembler le quorum requis pour faire passer le vote de confiance. En voyant les heures s’égrener alors que ses acolytes sénateurs débarquent au compte-goutte, Céant commence à trépigner d’impatience. Surtout que de l’autre côté, au niveau de l’Assemblée nationale, les choses semblent avancer beaucoup plus vite. Quelques élus vont bien essayer de retarder l’échéance en semant le trouble au sein de la chambre des députés, mais ce baroud d’honneur sera sans effet puisque la machine anti-Céant était désormais bien lancée. Le vote de motion de censure finit par passer comme une lettre à la poste. Céant est KO debout !
Mis devant le fait accompli, et malgré quelques essais maladroits pour s’accrocher un peu plus à son poste, Céant va finir par céder sa place et remettra sa démission 3 jours plus tard au Président de la République. Ce dernier n’avait d’ailleurs pas perdu de temps puisqu’il avait déjà nommé Jean Michel Lapin comme Premier ministre par intérim (bien que manière anticonstitutionnelle, faut-il le souligner). Après sa cuisante défaite lors des élections de 2016, voilà Céant qui voit une fois de plus son image dégradée sur la place publique. Mais il ne faut pas croire pour autant que ce notaire soit prêt à abandonner la vie politique maintenant qu’il a gouté à son nectar sucré. Car ce genre de politiciens sont insensibles aux humiliations, et leur égocentrisme n’a d’égal que leur opportunisme.
Le Floridien, 27 mars 2019