D’après un récent rapport de la Banque Mondiale, Haïti figure parmi les 20 pays les plus pauvres au monde. Ce classement a été établi selon plusieurs critères comme le produit intérieur brut par habitant ou encore l’indice de développement humain. Mais que se cache exactement derrière cette pauvreté? Comment affecte-t-elle concrètement le quotidien de l’haïtien moyen? Le Floridien a mené une grande enquête inédite pour essayer de trouver une réponse à toutes ces questions, mais aussi pour donner la parole à ceux qui sont rarement entendus.

Une pauvreté systémique qui dure depuis des décennies

Autant mettre les choses au clair dès le départ : le gouvernement de Jovenel n’est qu’en partie responsable de la misère dans laquelle vivent nos concitoyens aujourd’hui. Car il faut bien le dire, la situation précaire des Haïtiens n’est que l’accumulation de la mauvaise gouvernance qui remonte à tellement loin qu’il est difficile de se remémorer quand précisément la dégringolade de notre nation a commencé. Pour revenir au classement de la Banque Mondial, celui-ci catalogue Haïti parmi les pays à très faible revenu avec un PIB par habitant de seulement 756$ par an en 2019. Un chiffre qui a par ailleurs baissé puisqu’il était de 805$ en 2018, et qui montre que le gouvernement Jovenel reste dans la même lignée d’incompétence et de mauvaise gestion que ses prédécesseurs.

Haïti est donc un des pays qui produisent le moins de richesse au monde. Le pire est que ce peu de richesse produite va dans la poche d’une toute petite minorité qu’on n’a pas besoin de présenter ici puisque tout le monde la connaît. Et c’est cette répartition inégale des richesses qui enfonce un peu plus Haïti dans le classement des pays les moins avancés de la planète.

Ce classement peu reluisant ne semble d’ailleurs nullement affecter l’amour propre de nos dirigeants, du moment que leurs comptes en banque restent bien garnis. On estime ainsi que 1% des Haïtiens les plus riches possèdent autant que 45% de la population la plus pauvre.

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Lorsqu’on parle de pauvreté, cela ne touche pas seulement l’aspect financier. Les soins de santé, l’éducation, la nutrition, le logement et l’environnement sont autant de facteurs qui doivent aussi être pris en compte. Là encore, le tableau est sombre puisque notre pays se classe parmi les 20 derniers de la planète pour son indice de développement humain. Autant dire que tous les indicateurs qui touchent le bien-être du citoyen haïtien sont au rouge. Aujourd’hui, presque les 2/3 des Haïtiens vivent dans la pauvreté (avec moins de 2,4$ par jour), et ¼ des Haïtiens vivent dans une extrême pauvreté avec moins de 1,23 $ par jour.

Comment vit un haïtien avec moins de 1.23$ par jour ?

Pour bien mesurer l’extrême misère dans laquelle nos gouvernants ont plongé la population haïtienne, il suffit d’analyser de plus près le quotidien de la catégorie la moins bien lotie, celle qui représente tout de même 2,5 millions de personnes. Comment peut-on donc survivre en Haïti avec moins 1,23$ par jour? Pour répondre à cette question, il faut commencer par avoir un aperçu sur les prix des produits de première nécessité en Haïti, que ça soit le riz, le maïs, la farine, l’huile végétale ou encore les haricots.

Une ménagère qui dispose de 1,23$ par jour n’ira sûrement pas au supermarché où les prix pratiqués sont largement supérieurs à ceux des marchés populaires. 1kg de riz y coute 2,5$ en moyenne (un peu moins en province), alors que dans les marchés populaires, le sac de riz de 15kg ne coute ‘que’ 10$, et entre 16 et 17$ pour les sacs de 25 kg. Ces prix peuvent toutefois vite monter en cas de crise majeure. C’est ce qui est arrivé lors des manifestations anti-jovenel l’année passée où le sac de riz se négociait à 24$. Autant dire que la ménagère qui débarque dans un marché avec 1,23$ risque de ne pas y acheter grand-chose, à part peut-être une petite marmite d’haricots qui ne pourra cependant pas nourrir convenablement toute la famille. Notons que les prix des denrées alimentaires de base n’ont cessé d’augmenter durant la dernière décennie.

Conséquence de ce pouvoir d’achat réduit au strict minimum, on observe une hausse croissante de la malnutrition. Selon un récent rapport de l’UNICEF, la malnutrition chronique touche environ 22% de la population. Ce constat est encore plus préoccupant chez les enfants dont 4% (soit 50 000) souffrent de malnutrition aigüe. Cela a forcément des répercussions sur leur santé, leur développement et leur scolarité. Certains peuvent même en garder des séquelles tout au long de leur vie.

Ceux qui vivent avec moins de 1,23$ par jour ont donc le plus grand mal à boucler leurs journées. Il leur est très difficile de s’acheter les denrées alimentaires de base et de se nourrir convenablement. Les autres dépenses comme le transport, la santé et les loisirs demeurent un luxe qu’ils ne peuvent se permettre. 20 gourdes pour un aller simple en tap-tap, c’est 20 gourdes de trop pour notre ménagère qui préférera les économiser en marchant 4 ou 5 km à pied. Quant au loyer, beaucoup s’en passent et préfèrent habiter dans des bicoques insalubres construites à base de matériaux de récupération. Au lendemain du séisme de 2010, ce qui ne devait être qu’un logement temporaire s’est transformé au fil des années en résidence permanente, bien que les normes de construction ne soient pas respectées.

Sans l’aide de la diaspora, la situation aurait été invivable !

Les transferts de la diaspora haïtienne vers la mère patrie ont connu une hausse constante durant ces dernières décennies, avec un pic de presque 3 milliards de dollars en 2018, ce qui représente à peu près le tiers du produit intérieur brut du pays. Ces fonds reçus depuis l’étranger constituent une véritable bouffée d’oxygène pour de nombreuses familles. Sans cela, beaucoup de ménages haïtiens ne pourraient survivre, ou encore envoyer leurs enfants à l’école. L’argent provient principalement de la diaspora établie aux États-Unis (notamment en Floride), au Canada, en République dominicaine et en France. Notons au passage que le gouvernement haïtien n’a fait aucun effort pour diminuer les frais des transferts qui restent parmi les plus élevés de la région. Certains, comme l’ex-président Michel Martelly, ont même décidé d’augmenter les frais des transferts pour soi-disant financer la scolarité des enfants, avec les résultats que l’en connaît aujourd’hui.

Lorsqu’on sait que le revenu mensuel moyen en Haïti ne dépasse pas les 65$ par mois, alors qu’en même temps, le coût de la vie ne cesse d’augmenter, on comprend mieux pourquoi les transferts des Haïtiens vivant à l’étranger sont devenus cruciaux pour une grande partie de la population. Avoir un proche dans un pays riche est considéré comme le meilleur gage de survie, tant les opportunités sur place sont limitées et l’horizon bouché, surtout pour les jeunes. Quant au gouvernement, il semble incapable d’enrayer cette pauvreté systémique qui ne fait que s’aggraver au fil du temps. Le pire est que nos dirigeants ne font rien pour faciliter la tâche à la diaspora désireuse d’aider son pays natal. Au lieu de favoriser les investissements des Haïtiens de l’étranger, le gouvernement ne fait que dresser des obstacles qui découragent même les plus téméraires. Nombreux sont les cas d’Haïtiens de Floride par exemple qui ont voulu ouvrir une entreprise, et qui n’ont pu concrétiser leur rêve à cause de la corruption et des lourdeurs administratives sur place.

Quant à la situation de nos pauvres, elle ne risque pas de s’améliorer de sitôt. Les conditions de vie des personnes défavorisées ne cessent de se dégrader. Dans la commune de Delmas, nous avons fait la connaissance d’un jeune de 24 ans qu’on appellera Thomas pour garder son anonymat, et qui vit manifestement dans une situation très précaire. Il nous a déclaré qu’il a dû quitter la maison familiale, voyant bien que son père ne pouvait plus nourrir toute la fratrie. Depuis, le jeune Thomas essaie tant bien que mal de se débrouiller en lavant les voitures de clients qui se garent à l’entrée d’un bar branché du coin. Ce soir-là, Thomas astique le 4X4 rutilant d’un haut fonctionnaire, pendant que celui-ci sirote une Prestige, la célèbre bière locale. Ironiquement, le slogan de cette boisson populaire dit qu’elle offre une perspective optimiste de la vie, remplie de couleurs, de rires et d’énergie positive. Mais visiblement, ce n’est pas tout le monde qui y a accès.

Phtoto: Marchands et marchandes étalent leurs marchandises de toute sorte sur les trottoirs d’une rue de Pétion Ville. (Credit Julien Bergeron)

Stéphane Boudin / LE FLORIDIEN
15 Septembre 2020

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