Ariel Henry, un dirigeant sans pouvoir

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À peine arrivé au pouvoir, Ariel Henry déchante déjà. Il se rend compte à quel point il est difficile de gouverner un pays.. ingouvernable. Face à la corruption, face aux violences, face à la crise économique, politique, sociale, Ariel Henry voit qu’il ne suffit pas d’arriver à la tête de l’État pour changer les choses. Il est lui aussi confronté aux forces invisibles qui bloquent l’avancée du pays, notamment ce fameux “système” immuable qui, tel un rouleau compresseur, écrase tout sur son passage.

Il faut dire aussi qu’Ariel Henry a pris ses fonctions au pire moment. Le pays se relève à peine d’un séisme meurtrier suivi d’une tempête, d’une rentrée des classes tronquée, du Covid, de la déportation de migrants venus des États-Unis, de la violence continue des gangs, de l’absence de classe politique… bref, Ariel Henry débarque dans un champ de ruines et il n’a pas l’air de savoir par où commencer pour remettre le pays sur les rails. Le nouveau Premier ministre gère une nation sans Parlement ni Président. Pire, les élections et le référendum prévu pour la fin de l’année viennent d’être reportés pour le début de l’année prochaine (si tout se passe bien).

À l’instar de Moïse, Ariel Henry veut organiser le référendum pour modifier la constitution actuelle afin de reconstruire le pays sur de nouvelles bases. Concernant les élections législatives et présidentielles, elles ne sont pas encore à l’ordre du jour puisque l’ancien conseil électoral provisoire a été dissout. En face, les Haïtiens sont résignés. Ils n’ont plus aucune confiance en leurs gouvernants qui ne cessent de faire des promesses qu’ils ne tiennent jamais. Pour ne pas arranger les choses, la légitimité d’Ariel Henry est contestée aussi bien par l’opposition que par une grande partie de la population qui estime que c’est le Core Group qui l’a imposé. Donc, d’une certaine manière, les grandes puissances, États-Unis en tête, continuent à décider de ce qui est bien ou mauvais pour notre pays. La solution haïtienne, trouvée par les Haïtiens et pour les Haïtiens, attendra.

Quant à Henry Ariel, ce n’est pas la première fois qu’il joue le rôle de pompier de secours. Déjà en 2004, suite au coup d’État qui a renversé Jean-Bertrand Aristide, Henry avait été adoubé par l’administration Bush pour prendre la tête d’un Conseil des Sages temporaire pour gérer les affaires courantes du pays. Preuve de la ‘soumission’ d’Ariel au grand protecteur américain, Ariel avait ouvertement critiqué la déportation jugée inhumaine de milliers de migrants haïtiens, avant de faire volte-face de 180 degrés et clamer, sans gêne aucune, qu’il comprenait parfaitement la décision américaine d’expulser sans ménagement ses compatriotes qui ont tant souffert pour fouler le sol américain. Si le déshonneur avait un nom, il a désormais un visage.

Pire, au moment où Daniel Foote a démissionné de son poste d’émissaire des États-Unis en Haïti pour protester contre la mauvaise gestion de la crise migratoire dont s’est rendu coupable son pays, Ariel Henry n’a apporté aucun soutien à Mr Foote, même pas à demi-mot. Pour lui, ce dossier ne le concerne pas puisqu’il s’agit d’une affaire interne des États-Unis à laquelle il n’a pas son mot à dire. Soit! Mais qu’en est-il alors des migrants entassés dans des camps et déportés à l’aveugle par les services d’immigration américaine? Sauf erreur, ces migrants sont des citoyens haïtiens. Ils ont donc droit à la protection et à l’aide de l’État haïtien.

Ariel Henry a promis (une promesse de plus), que l’État allait faire tout son possible pour aider les migrants déportés à avoir accès plus facilement au crédit bancaire pour qu’ils puissent reconstruire leur vie en Haïti. Ce plan est censé être appliqué ‘immédiatement’. Sauf que dans le langage de nos dirigeants, ‘immédiatement’ peut signifier quelques mois, voire parfois quelques années avant la mise en œuvre.

Quant à l’autre dossier chaud qui risque d’empoisonner son mandat, à savoir l’enquête sur l’assassinat de Jovenel Moïse, là encore, Ariel Henry s’est montré autoritaire. Il a ainsi congédié sans ménagement le juge qui a osé l’inculper pour des appels douteux avec Joseph Badio, un des protagonistes du meurtre de Jovenel Moïse et qui est toujours en fuite. Et lorsqu’on lui demande ce qu’il pense des appels téléphoniques qui le confondent, Ariel Henry devient amnésique et réplique qu’il ne s’en souvient pas. En termes de stratégie de défense, on a vu mieux. Certes, Ariel Henry fait l’objet de soupçons et non d’accusations. Mais sa façon brutale de gérer ce dossier a apporté de l’eau au moulin à ses détracteurs qui y voient la poursuite des méthodes autocratiques de Moïse. Mais que ce soit Ariel Henry ou un autre, les Haïtiens semblent résignés à devoir conjuguer avec un pouvoir qui ne les représente pas. Quant aux élections, qu’elles soient organisées cette année ou l’année prochaine n’y changera rien, car ce n’est pas avec des élections qu’on regagnera la confiance des cœurs, mais avec des actions concrètes.

Stéphane Boudin

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