Alimentation : les haïtiens savent-ils vraiment ce qu’ils mangent?

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On parle souvent de trafic de drogues, d’armes à feu, mais parle-t-on de la contrebande des aliments, ou encore à la vente de produits alimentaires impropres à la consommation. Et pourtant, le consommateur haïtien est souvent exposé à des denrées qui n’ont pas subi le moindre contrôle. Produits périmés, emballage ouvert, aliments périssables mal stockés. Les dangers qui guettent les consommateurs haïtiens sont nombreux, tout cela sous la bénédiction des pouvoirs publics qui, de toute façon, ne s’approvisionnent pas dans les mêmes magasins que le commun des mortels.

Sécurité alimentaire, qui contrôle quoi?

En Haïti, la qualité des aliments devient une préoccupation majeure pour les consommateurs. Dans un contexte où l’État est défaillant, le contrôle des produits alimentaires, surtout ceux importés, est quasi inexistant. Cette absence de surveillance réglementaire est source d’inquiétudes pour la plupart des citoyens qui s’interrogent sur la sécurité alimentaire et la santé publique dans notre pays.

Les marchés informels, mais aussi les petits supermarchés censés proposer des produits de qualité avec une meilleure traçabilité, débordent d’articles alimentaires dont l’origine et la date de péremption suscitent des inquiétudes. Lorsque les ménagères haïtiennes sortent faire leurs courses, elles sont souvent dans l’incapacité de distinguer les produits frais et sains des aliments potentiellement dangereux pour leur santé. Et on ne parle ici que des personnes qui sont conscientes du problème, car malheureusement, beaucoup de nos concitoyens ignorent toutes les magouilles qui entourent l’industrie agro-alimentaire.

À qui la faute alors? À ces contrebandiers qui importent des produits non-conformes ? Certainement. Mais celui qui porte l’entière responsabilité, étant donné que c’est à lui qu’incombe la responsabilité de contrôler les produits alimentaires vendus sur le marché national, c’est bien le gouvernement. En Haïti, la protection des consommateurs, notamment en ce qui concerne la sécurité des produits alimentaires, repose sur plusieurs institutions censées veiller à leur santé et à leurs droits. Cependant, l’efficacité de ces organismes est souvent mise à l’épreuve par des défis structurels, financiers et législatifs.

L’une des principales institutions chargées de cette mission est le Ministère du Commerce et de l’Industrie (MCI), qui, à travers sa Direction du contrôle qualité et de la protection des consommateurs (DCQPC), est supposé réglementer la qualité des produits disponibles sur le marché. Sauf que cette direction navigue dans un cadre juridique vide, puisqu’aucun gouvernement n’a cru bon légiférer une loi qui protège les droits des consommateurs, comme cela se fait ailleurs.

On a aussi le Ministère de la Santé Publique et de la Population (MSPP), dont les départements sont responsables de la surveillance épidémiologique et du contrôle sanitaire des aliments. Mais là aussi, cette entité n’a pas vraiment les moyens logistiques, financiers et humains pour remplir pleinement sa mission. Le MSPP intervient souvent seulement pour constater les dégâts, c’est-à-dire lorsqu’il est déjà trop tard et que le mal est déjà fait.

En théorie, tous ces services gouvernementaux devraient collaborer pour assurer que les produits alimentaires vendus en Haïti respectent des normes de qualité et de sécurité strictes. Cependant, en pratique, le manque de ressources, de coordination et de mise en œuvre de politiques efficaces limite leur capacité à protéger efficacement les consommateurs. Les cas d’intoxication alimentaire et les scandales liés à la qualité des produits alimentaires se succèdent, reflétant les lacunes dans nos systèmes de surveillance et de contrôle.

Des scandales alimentaires à répétition

En Haïti, les problématiques liées à la sécurité alimentaire ont donné lieu à plusieurs cas d’intoxication et à des scandales alimentaires au cours des vingt dernières années, montrant l’urgence d’actions concrètes pour protéger nos concitoyens.

En 2008 par exemple, il a été découvert que du lait maternel en poudre était contaminé par la bactérie Salmonella. La contamination a provoqué la mort de six nourrissons et a rendu malade plusieurs autres. Le lait contaminé provenait d’une banque de lait américaine qui a été fermée après coup, mais le mal était déjà fait. En conséquence, plusieurs mamans ont perdu confiance dans le lait en poudre, préférant ne plus donner de lait à leurs bambins, ce qui a engendré des problèmes de croissance chez un grand nombre d’enfants en bas âge.

4 ans plus tard, en 2012, des cas d’intoxication alimentaire ont été signalés suite à la consommation de riz contaminé par des mycotoxines, un problème qui touche souvent les denrées stockées dans des conditions inadéquates. Alors que les règles en vigueur concernant le stockage sont pourtant claires et strictes, en Haïti, il arrive souvent que le riz, qui reste une denrée essentielle pour nos ménages, soit conservé dans des endroits humides et chauds, ce qui favorise la croissance des champignons. Suite à cela, plus de 100 personnes ont été hospitalisées et plusieurs personnes sont décédées. La même année, 20 personnes sont mortes en consommant du rhum frelaté contenant du méthanol.

En 2015, c’est un autre scandale qui surgit, touchant cette fois de la viande rouge, ou plutôt de la viande avariée. Celle-ci était importée d’abattoirs clandestins en République dominicaine par des contrebandiers qui l’écoulaient sur les marchés locaux, entraînant de nouvelles intoxications. Bien entendu, la viande n’était soumise à aucun contrôle sanitaire, et au final, ce sont des centaines de personnes qui se sont retrouvées avec de sérieux troubles digestifs et des heures passées au petit coin.

Et ne parlons pas bouchers improvisés dans les marchés qui coupent et vendent la viande à même le sol, sans respecter les règles d’hygiènes les plus élémentaire. Résignés face à cette situation, les haïtiens s’amusent à dire qu’ils ont pu développer avec le temps une certaine immunité qui leur permet de limiter la casse, contrairement au système digestif fragile des habitants de pays développés.

Toujours est-il, ces événements sanitaires échelonnés sur le temps soulignent la nécessité pour Haïti de renforcer ses mécanismes de contrôle et de régulation des produits alimentaires. Il est également crucial de sensibiliser et d’éduquer les consommateurs quant aux risques auxquels ils s’exposent lorsqu’ils consomment des aliments impropres. Car si souvent, ces aliments sont moins chers, le prix final que l’on paie lorsque l’on tombe malade peut vite monter en flèche.

Riz américain contaminé, le scandale de trop

Récemment, une étude de l’Université du Michigan, en collaboration avec des organisations agricoles haïtiennes, a révélé que le riz consommé en Haïti et majoritairement importé des États-Unis serait contaminé par des métaux lourds, notamment l’arsenic et le cadmium, à des niveaux préoccupants. Cette révélation est d’autant plus alarmante que le riz représente un aliment essentiel pour la population haïtienne, constituant une part importante de son régime alimentaire quotidien.

Certains échantillons examinés dépassent même les normes internationales de sécurité. Les conséquences d’une telle exposition aux métaux lourds ne sont pas immédiates mais peuvent se révéler dévastatrices sur le long terme, augmentant le risque de développer des maladies graves telles que différents types de cancers ou le diabète, sans parler des effets sur le développement et la croissance des enfants.

La dépendance d’Haïti au riz importé n’est pas nouvelle. Elle trouve ses racines dans les politiques agricoles et commerciales des années 1980, lorsque les États-Unis ont massivement subventionné leur riz, le rendant moins cher que les produits locaux. Cette situation a contribué à évincer la production locale au profit du riz importé, modifiant ainsi les habitudes alimentaires des Haïtiens.

Revers du décor, puisque nous ne produisons plus nous-mêmes nos aliments de base, nous n’avons d’autres choix que de les importer en faisant confiance aux autres, surtout que nos institutions n’ont ni la capacité, ni la volonté de protéger le consommateur haïtien. Pour preuve, la contamination du riz américain n’a pas été révélée par un organisme haïtien, mais… américain. Ce qui veut dire que non seulement nous dépendons de l’extérieur pour manger le riz, mais nous comptons aussi sur les institutions étrangères pour nous dire si le riz que nous mangeons est bon ou pas. Un comble!

Cet énième scandale prouve en tout cas qu’il est plus que jamais important de surveiller la qualité des aliments importés et de s’assurer qu’ils respectent les normes sanitaires en vigueur. Cette situation ne peut plus durer, car il s’agit de notre santé et celle de nos enfants. Et comme on a coutume de dire, nous creusons notre tombe avec notre fourchette.

Dessalines Ferdinand
Le Floridien, 29 février 2024

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